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La fille de la plage
Mohamed Salmawy
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Il s’est rendu à la plage à Gaza et a jeté
dans la mer l’appareil photo qu’il avait longtemps économisé
pour posséder. Depuis qu’il l’avait acheté, il a pu jouir
d’une certaine stabilité dans son métier de photographe. Il
avait réussi de nombreuses prises de vues sensationnelles
beaucoup plus que d’autres. Au point que les agences de presse
l’appelaient lors d’un incident ou d’une opération kamikaze
pour prendre des photos.
Il s’empressait de se rendre aussitôt sur
les lieux et d’en revenir avec les plus importantes prises de
vues susceptibles de devancer tous les autres photographes. Pour réaliser
ce but, il ne ménageait aucun effort pour l’achat d’une caméra
japonaise avec toutes ses économies.
Ce jour-là, une agence de presse de Beyrouth
le contacte, lui demandant des photos sur un massacre qui se déroulait
en ce moment sur la plage. Il n’en savait rien. Il régla son
appareil, mais très vite, il découvrit des cadavres d’hommes,
de femmes et d’enfants sur le sable. Ces gens-là visiblement étaient
venus passer une agréable journée au bord de la mer avant d’être
décimés par le feu des avions israéliens qui les ont bombardés
de manière subite et pour une raison incompréhensible.
Les sables dorés de la plage avaient commencé
à prendre la couleur rougeâtre à de nombreux endroits.
Il savait que les matchs de la Coupe du monde
captaient actuellement l’attention de tous les médias, et que
toutes les caméras s’y trouvaient. Mais parce qu’il était
palestinien, il savait que les événements sanglants dans les
territoires occupés ne s’arrêteront pas et que de nombreux
incidents catastrophiques se dérouleront même durant les jours
des matchs. Cependant, il ne s’attendait guère à témoigner
d’un incident de cette ampleur, ni de cette atrocité.
Il prit alors des photos des cadavres qui
baignaient dans leur sang. Ensuite, il prit une photo panoramique
couvrant toute l’étendue de la plage couverte de cadavres.
Soudain, il entendit un cri de douleur, il se
tourna vers l’origine du cri, et vit une fille sortir toute
mouillée. Elle hurlait de toutes ses forces en recherchant sa
famille qui se bronzait calmement au soleil au bord de la mer
alors qu’elle était dans l’eau. Elle trouva ses parents et
ses cinq frères et sœurs baignant dans une marée de sang.
Il braqua sur elle sa caméra comme s’il
ajustait une mitraillette et se mit à prendre des photos coup sur
coup. La fille s’était mise à genoux devant le cadavre de son
père en hurlant : « Mon père ! Mon père ! ».
Il s’approcha et prit davantage de photos. Il
avait dans l’esprit l’image de l’enfant Mohamad Al-Dorra
devenu un symbole incarnant les souffrances de son peuple occupé.
Il sentait alors qu’il prenait des photos de « la fille de la
plage » qui pleurait avec détresse son père, qu’il avait découvert
un nouveau symbole que les agences de presse de par le monde
saisiraient au vol. Son cœur s’était mis à battre rapidement
et les larmes lui vinrent aux yeux. Mais il se ressaisit et
poursuivit sa mission, celle de prendre la photo de cette fille
qui invoque le ciel en pleurant son père.
Graduellement, la plage fut peuplée et les
ambulances arrivèrent pour transporter les blessés et les
victimes. Il avait cependant obtenu ce qu’il désirait et rentra
rapidement chez lui. Il connecta la caméra à son ordinateur et
choisit les scènes les plus réussies et les envoya par courrier
électronique à l’agence à Beyrouth. Le lendemain, ses photos
faisaient la une de la plupart des journaux internationaux, et
apparurent également sur les écrans des télévisions. Il se mit
à les contempler encore une fois, comme s’il les voyait pour la
première fois. Il remarqua que la fille lui demandait secours. En
regardant de nouveau les photos, cette sensation s’empara de lui
davantage à chaque fois qu’il fixait ses yeux. Il se demanda
comment il n’avait pas remarqué son appel au secours et comment
il n’avait pas accouru pour la secourir en l’éloignant de
cette odieuse scène sanglante.
La fille accapara son esprit toute la journée,
et il suivit ses nouvelles sur les diverses chaînes télévisées.
Il su qu’elle s’appelait Hoda Ghalia et qu’elle était
atteinte d’une crise nerveuse, se trouvant à l’hôpital à la
suite de ce dont elle avait témoigné. A chaque fois qu’elle
s’éveillait, elle appelait son père.
Il eut un fort sentiment de culpabilité.
N’aurait-il pas pu alléger ses peines en l’éloignant de la
scène du massacre atroce qui l’avait privée de toute sa
famille pour la vie ? N’aurait-il pas mieux agi ainsi au lieu de
la prendre en photo alors qu’elle était en train de hurler
comme un animal blessé ? Comme il avait honte ! Une honte qui
remplaça graduellement son sentiment de satisfaction qui s’était
emparé de lui le lendemain, en voyant ses photos faisant la une
de la presse internationale.
Il n’a pu s’empêcher de revenir sur le
lieu du crime, mais toutes les traces avaient disparu et le sable
doré étincelait sous les rayons du soleil estival. Cependant, en
regardant la mer, il vit la couleur rouge sang. Il s’approcha du
bord de l’eau et contempla l’horizon lointain. Il jeta à
longueur de bras l’appareil à la mer, spontanément, sans réfléchir.
Les vagues l’avalèrent aussitôt. A cet instant et seulement à
cet instant, il commença à ressentir un certain apaisement .
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