"Pour les hommes et les femmes de Palestine, la victoire du
Hamas est une terrible défaite dans leur lutte pour un Etat laïque
et démocratique."
Mercredi dernier, la plupart des
journalistes étrangers parlaient d’ambiance festive dans les
villes et les villages palestiniens où la population était en
train de voter, massivement d’ailleurs, puisque le taux de
participation dépassait les 75%. « Fête de la démocratie »
annonçait une chaîne européenne, en insistant sur l’absence
d’incidents ou d’irrégularités. Mentionnons pourtant une irrégularité
majeure : les menaces des puissances américaine et européenne
de couper l’aide économique au cas où les Palestiniens éliraient
au Conseil législatif une majorité de membres du Hamas.
Puis vinrent les résultats : il s’avère
que les menaces n’ont pas eu le succès attendu, et c’est avec
une majorité écrasante que le Hamas entre au Conseil législatif
palestinien, à la surprise de tous, y compris de la direction du
parti islamiste. Car s’il était évident que ce dernier allait
faire un bon score, capitalisant la déception populaire de la
gestion catastrophique du Fatah qui avait monopolisé le pouvoir dès
la mise en place de l’Autorité palestinienne en 1994, personne
ne s’attendait à un tel ras de marée.
Sur les 132 députés du nouveau Conseil Législatif,
le Hamas a 76 élus, le Fatah 43, et les diverses listes de gauche
13. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans le collège
proportionnel (le conseil étant composé à moitié de députés
élus à la proportionnelle sur des listes nationales et à moitié
par des représentants de districts élus à la majorité des
voix) les chiffres sont sensiblement différents : sur 66 députés,
le Hamas a 30 élus (45%), le Fatah 27 (41%) et la gauche 9 (14%),
ce qui représente plus fidèlement le véritable rapport de
forces politique dans les territoires palestiniens.
Des l’annonce des résultats, commence une
immense campagne de mystification internationale : « nous
n’avons plus de partenaires » affirment les dirigeants
israéliens ; avec la victoire du Hamas, renchérissent les médias
occidentaux, le processus de paix est maintenant enterré. Comme
si, à la veille des élections, il y avait eu un processus de
paix ou pour le moins des négociations israélo-palestiniennes !
Comme si Mahmud Abas, le Président de l’Autorité
palestinienne, et avant lui, Yasser Arafat n’avaient pas été
eux aussi disqualifies comme partenaires par Ariel Sharon !
Ariel Sharon a fait, depuis longtemps, le choix de
l’unilatéralisme et systématiquement refusé de considérer
les dirigeants du Fatah comme des interlocuteurs, y compris dans
le « retrait unilatéral de Gaza ». Ce n’est pas
l’élection du Hamas qui a mis fin au processus négocié mais
le refus, déclaré, du gouvernement israélien de continuer le
processus d’Oslo.
Pas plus qu’Ariel Sharon aurait été, sur le
tard, un homme de paix, la victoire du Hamas serait le signe
d’une reprise de la guerre... qui, malgré la treve unilatérale
des Palestiniens, et en particulier du Hamas, n’a jamais été
arrêtée par les forces d’occupation israéliennes.
Autre composante de la campagne de mystification,
ouvertement raciste cette fois, est la description du Hamas comme
un courant « fanatique », irrationnel, pour qui la
violence est un but en soi, et la mort des Juifs un devoir sacré.
Le Hamas est un mouvement islamiste intégriste, guidé par une
certaine lecture de l’Islam avec un projet de société où il
ne ferait pas bon vivre pour quiconque est épris de liberté et
d’égalité. Il prône en outre la destruction de l’Etat d’Israël
et la constitution d’une république islamiste sur l’ensemble
du monde ou la culture musulmane est majoritaire. Pour les hommes
et les femmes de Palestine, la victoire du Hamas est une terrible
défaite dans leur lutte pour un Etat laïque et démocratique.
En fait le Hamas n’est pas différent de
nombreux partis intégristes israéliens dont le projet de société
est assez proche de celui du Hamas, et de certains partis israéliens
d’extrême-droite qui s’opposent farouchement à l’autodétermination
des Palestiniens et appellent à leur expulsion et leur dispersion
à travers le monde arabe. Ces partis ont participé à des
gouvernements israéliens divers, que ce soit celui de Yitshak
Rabin (le Parti National Religieux, le Shass) ou le gouvernement
du pacifiste Ariel Sharon (Moledet, l’Union Nationale), et cela
n’a pas provoqué le boycott d’Israël ou la rupture de
l’accord d’association entre Israël et l’Union Européenne.
Mais, contrairement aux images racistes propagées
par les médias israéliens et internationaux, le Hamas est un
mouvement politique extrêmement rationnel et pragmatiste :
si l’Islamisation du monde arabe est son objectif à long terme,
y compris, pour l’instant, la disparition d’Israël, il est
tout à fait prêt à accepter un cadre de coexistence avec l’Etat
sioniste, à négocier avec ses dirigeants et à respecter les
accords signés par l’OLP avec l’Etat juif. Il l’a
clairement annoncé, dès lors qu’il acceptait de prendre part
au jeu démocratique et de revendiquer le pouvoir.
L’acceptation d’une trêve à long terme avec
Israël, et ce malgré le fait qu’Israël pour sa part s’est
opposé à une trêve dans sa guerre de pacification, prouve que
le mouvement islamiste sait être pragmatique, et le respect
scrupuleux de cette trêve, malgré les innombrables provocations
israéliennes montre en outre que c’est un mouvement extrêmement
discipliné.
Trois décisions prises par la direction du Hamas
ces derniers jours montrent la voie qu’il entend suivre :
d’abord, l’acceptation de l’autorité de l’OLP (toujours
encore dirigée par le Fatah) sur l’Autorité nationale
palestinienne, ce qui laisse au président Abas une très grande
marge de manoeuvre dans la poursuite d’un éventuel processus négocié...
si Israël décide de mettre fin à son sabotage.
Ensuite l’appel à un gouvernement d’union
nationale avec le Fatah, ou les portefeuilles les plus importants
seraient aux mains d’experts et de technocrates et dans lequel
les dirigeants du Hamas seraient en fait minoritaires.
Finalement, la dissolution de ses propres milices
dans des forces armées nationales palestiniennes.
On est donc loin d’un projet de guerre sainte,
comme on nous en rabat les oreilles depuis quelques jours. En
fait, la balle est dès à présent dans le camp du Fatah : répondra-t-il
aux appels à l’union du Hamas ? Acceptera-t-il de renoncer
au monopole du pouvoir, en particulier sur les finances et les
forces armées officielles ?
Le Fatah est profondément divisé face aux enjeux
nouveaux auquel il est confronté, et les risques de
confrontations entre tendances rivales de la formation d’Abou
Mazen sont tout à fait réels.
Des tensions similaires menacent également le
mouvement de solidarité internationale, avec le risque de voir
poindre des tendances à réduire une solidarité plus nécessaire
que jamais, à cause du « mauvais vote » des
Palestiniens. Or la tâche centrale du mouvement de solidarité en
Europe est aujourd’hui de combattre avec vigueur et sans
compromis aucun le chantage exerc& par certains gouvernements
européens et certains dirigeants de l’UE : les
Palestiniens ont besoin du soutien international, les Palestiniens
ont droit au soutien international, indépendamment du choix démocratique
qui a été le leur.
Se dérober à une telle tâche reviendrait à
confirmer l’horrible discours défendu par le gouvernement israélien
depuis près de six ans, selon lequel en soutenant une direction
terroriste (il s’agissait à l’époque de Yasser Arafat !),
le peuple palestinien prouve qu’il est un peuple terroriste et
qu’en conséquence, il a perdu tous ses droits.
Transmis et traduit par la CCIPPP. Réagir le cas échéant à la
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