Le
sionisme des fossés
Meron Benvenisti
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=732752
Version
anglaise :
A ridiculous war
against the gaps
www.haaretz.com/hasen/spages/732551.html
Les yeux de
ceux qui sont sensibles aux manifestations de discrimination à
l’égard de la population arabe ont dû s’illuminer à la
lecture des titres annonçant un développement incroyable :
le Congrès Sioniste a décidé d’inclure les Arabes d’Israël
également dans les programmes de développement que l’Agence
Juive promeut. Au moment précis où le gouvernement israélien décide
de prolonger la validité d’une directive qui porte atteinte au
droit des Arabes d’épouser l’élu(e) de leur cœur, le
« Parlement Sioniste »
accourt pour établir la « réduction des écarts, la coexistence et le dialogue » au
titre d’objectif sioniste important.
Au Forum de Césarée,
un rapport accablant a été publié, qui montre la discrimination
dont les Arabes font l’objet dans le système d’enseignement,
dans l’établissement de zones industrielles, dans l’aide aux
investissements et dans le niveau des salaires, et qui entraîne
le fait que le taux de pauvreté est parmi eux trois fois plus élevé
que dans la population juive. Et comme pour répondre à cela,
l’Agence Juive s’empresse de « promouvoir
le bien être et l’enseignement arabes ».
La surprise
est grande car on sait que les « institutions
nationales » – Agence Juive et Fonds National Juif –
existent essentiellement pour permettre d’établir une
discrimination instituée sur une base ethnique, tout en lavant
l’Etat de l’accusation de dévier de normes universelles en
usage dans les démocraties libérales. Et effectivement, les plus
surpris étaient les fonctionnaires de l’Agence Juive, qui
qualifiaient d’ « illogique »
la décision prise, car « le
principe fondateur des institutions nationales est de s’occuper
des Juifs ».
Pendant de
trop nombreuses années, ils ont été habitués à mettre en œuvre
une politique de discrimination fondée sur la suprématie de
privilèges individuels et collectifs de la communauté juive –
au nom du sionisme. Aucun Juif vivant hors d’Israël et ayant
des idées de gauche, libérales, n’imposera à ces idées de
s’appliquer aussi aux « Arabes,
Druzes et Tcherkesses ».
Mais
l’opposition a été réduite et même des cercles typiquement
de droite auxquels le sionisme sert de cri de guerre nationaliste,
ne se sont pas émus. Ils ont dû percevoir que la décision
sonnait bien sans avoir la moindre valeur concrète.
Cette décision
s’ajoute aux décisions adoptées ces dernières années pour
faire face aux tensions qui règnent entre les principes de l’Etat
juif, sioniste et démocratique. Ces décisions ont l’air d’établir
de courageuses positions morales contre la discrimination, mais
elles l’ont en réalité renforcée en n’abordant les problèmes
que marginalement ou en étant impraticables. Ces décisions ont
essentiellement renforcé la discrimination parce
qu’effectivement des décisions douloureuses ont été prises,
lavant ainsi les consciences et offrant le sentiment que justice a
été faite.
Un exemple
frappant en est l’arrêt de la Cour Suprême dans l’affaire de
la famille Kada’an, arrêt qui avait alors été perçu comme
une première occasion d’affronter le principe d’égalité et
comme une confrontation avec le principe sioniste de la « rédemption
de la terre », arrêt qui avait été présenté alors
comme une victoire de la démocratie sur l’apartheid incarné
par la politique de répartition des terres des institutions
nationales. Les institutions ont vite appris comment « limiter
les dommages » et poursuivre la politique de
discrimination.
Au début de
2005, le conseiller juridique du gouvernement, Meni Mazouz, a pris
une autre « décision
historique » en interdisant au Fonds National Juif de ne
faire d’offres qu’aux Juifs exclusivement. Et une fois encore
s’est trouvée une voie permettant de contourner cette décision
par le biais d’ « échanges
de terres » qui n’ont fait que renforcer le Fonds
National Juif en tant qu’institution discriminante, adoptant une
politique raciste.
La vive polémique
survenue chaque fois qu’on a menacé la discrimination « sioniste »,
a permis de vivre en paix avec la discrimination dans tous les
autres secteurs – économie, planification, enseignement, etc
– qui, elle, ne se heurte pas aux « principes fondamentaux du sionisme ».
Le fait que
la décision du Congrès Sioniste n’ait suscité aucune polémique
est peut-être la preuve que la manœuvre consistant à gonfler
des positions anti-discriminatoires n’ayant aucun effet concret,
s’est épuisée. Et si effectivement des Juifs libéraux
veulent contribuer à la lutte contre la discrimination visant la
population arabe, il serait bon qu’ils s’engagent dans
l’abolition des « institutions
nationales » dont l’existence même est à la base de
la discrimination. Essayer d’atteler l’Agence Juive à la
guerre contre les fossés est ridicule.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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