avril 2006
Traduit de l'anglais en français
par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de
traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft.
“…
Des réactions réflexes qui, ordinairement, volent automatiquement
au secours d’un débat ouvert et de la liberté d’investiguer
sont supprimés – tout du moins dans la majorité de l’élite
politique américaine – dès lors qu’il est question d’Israël
et, par-dessus tout, du rôle joué par le lobby pro-israélien dans
la détermination de la politique étrangère des Etats-Unis… Le
chantage moral – la peur que toute remise en question de la
politique israélienne et du soutien que lui apportent les
Etats-Unis n’entraîne des accusations d’antisémitisme – représente
une puissante dissuasion de publier des opinions iconoclastes. Cela
conduit aussi à la réduction au silence du débat politique sur
les campus des universités américaines, en partie en raison de
campagnes ciblées contre les rares fortes têtes… Rien, de surcroît,
ne porte plus atteinte aux intérêts des Etats-Unis que
l’incapacité à avoir un débat correct au sujet du conflit israélo-palestinien…
Contraindre les Américains à un consensus au sujet de la politique
israélienne est mauvais pour Israël, et empêche les Américains
de formuler leurs propres intérêts nationaux… “ [Editorial du
Financial Times, samedi 1er avril 2006]
Introduction
Noam Chomsky a été qualifié
d’intellectuel phare des Etats-Unis par la plupart des mandarins
universitaires et même certains secteurs des mass media. Il bénéficie
d’une large audience dans le monde entier, en particulier dans les
milieux universitaires, en grande partie en raison de ses critiques
acerbes et fortes contre la politique étrangère américaine et
beaucoup des injustices qui en découlent. Chomsky a néanmoins été
traîné dans la boue par toutes les grandes organisations et tous
les grands médias juifs et pro-israéliens, en raison de ses
critiques de la politique israélienne envers les Palestiniens. Et
le fait qu’il défende le droit à l’existence de l’Etat
sioniste d’Israël ne fait rien à l’affaire. En dépit de sa réputation
respectable, que lui doivent son instruction, sa dissection par le
menu et sa dénonciation de l’hypocrisie des régimes américain
et européens, ainsi que la finesse de son analyse des tromperies
intellectuelles des apologues de l’impérialisme, ces vertus
analytiques disparaissent totalement lorsqu’il s’agit de
discuter de la genèse de la politique étrangère américaine au
Moyen-Orient, et tout particulièrement du rôle que joue le groupe
ethnique auquel il appartient, à savoir le lobby juif pro-israélien
et ses soutiens sionistes au sein du gouvernement. Cette cécité
politique n’est ni sans précédent, ni rare. En effet,
l’histoire regorge de ces intellectuels extrêmement critiques
envers tous les impérialismes – sauf le leur propre – et
impitoyables pour tous les abus de pouvoir commis par d’autres –
mais pas pour ceux perpétrés par leurs congénères.
La longue histoire du déni
par Chomsky du pouvoir et du rôle joué par le lobby pro-israélien
dans la formation décisive de la politique moyen-orientale des
Etats-Unis a atteint un point culminant, récemment, lorsqu’il a
joint sa voix à la machine à propagande sioniste des Etats-Unis,
en attaquant une étude faisant la critique du lobby israélien. Je
fais ici référence à l’essai publié par la London Review of
Books, intitulé « Le Lobby israélien et la politique étrangère
des Etats-Unis » [The Israel Lobby and US Foreign Policy],
co-rédigé par le Professeur John Mearsheimer, de l’Université
de Chicago et le Professeur Stephan Walt, le doyen évincé de la
Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard [Une version complète
de cette étude a été publiée par la Kennedy School of Government
en mars 2006].
Les discours et les écrits de
Chomsky consacrés au Lobby affirment plusieurs propositions éminemment
douteuses :
1) Le lobby pro-israélien ne
se différencierait en rien des autres lobbies ; il n’aurait
ni influence particulière, ni place indue dans la politique des
Etats-Unis ;
2) Le pouvoir des groupes qui
soutiennent le lobby israélien ne serait pas plus important que
celui d’autres groupes de pression influents ;
3) Si le programme du Lobby
connaît le succès, c’est parce qu’il coïnciderait avec les
intérêts des puissants du moment et avec ceux de l’Etat américain ;
4) La faiblesse du Lobby
serait démontrée par le fait qu’Israël ne serait qu’un
« simple outil » pour la construction de l’empire américain,
utilisé quand on en a besoin, et marginalisé quand ce n’est pas
le cas ;
5) Les principales forces qui
modèleraient la politique moyen-orientale des Etats-Unis seraient
les « gros intérêts pétroliers » [‘Big Oil’] et
le « complexe militaro-industriel », ni l’un ni
l’autre n’étant connecté au Lobby pro-israélien ;
6) Les intérêts des
Etats-Unis coïncideraient, pour l’essentiel, avec ceux d’Israël ;
7) La guerre contre l’Irak,
les menaces contre la Syrie et l’Iran… seraient essentiellement
des produits des « intérêts pétroliers » et du
« complexe militaro-industriel », et absolument pas le résultat
du rôle joué par le lobby pro-israélien ou ses collaborateurs au
sein du Pentagone et dans d’autres instances gouvernementales…
Bien qu’en général Chomsky
s’abstienne délibérément de dénoncer spécifiquement le lobby
pro-israélien dans ses discours, dans ses interviews et dans ses
publications où il analyse la politique américaine vis-à-vis du
Moyen-Orient, les très rares fois où il le fait, c’est en
recourant au répertoire décliné ci-dessus.
Le problème de la guerre et
de la paix au Moyen-Orient et le rôle du lobby israélien sont
choses bien trop sérieuses pour être marginalisées comme s’il
s’agissait d’arrière-pensées. Mais il y a plus grave : la
censure qui s’exerce de plus en plus à l’encontre de notre
liberté d’expression et l’érosion de nos libertés civiques et
de notre liberté académique par un lobby agressif bénéficiant de
soutiens puissants tant dans le pouvoir législatif qu’à la
Maison Blanche menacent notre démocratie, déjà sérieusement écornée.
Il nous incombe, par conséquent,
d’examiner les quatorze thèses erronée de l’éminemment
respecté Professeur Chomsky, afin d’aller de l’avant et
d’affronter les menaces que représente le Lobby pour la paix, à
l’extérieur, et nos libertés civiques, à l’intérieur des
Etats-Unis.
Quatorze thèses à dormir
debout
1) Chomsky affirme que le
Lobby ne serait qu’un lobby parmi d’autres, comme il en existe
beaucoup, à Washington. Ce faisant, il ignore que le lobby s’est
assuré des plus confortables majorités au Congrès en faveur de
l’allocation à Israël du triple des aides internationales
annuelles destinées à l’ensemble de l’Afrique, de l’Asie et
de l’Amérique latine (pour un montant de plus de 100 milliards de
dollars sur les quarante années écoulées). Le Lobby dispose de
cent cinquante fonctionnaires à plein-temps qui travaillent à l’AIPAC
(American-Israel Public Affairs Committee), secondés par une armée
de lobbyistes de toutes les grandes organisations juives (Anti-Defamation
League, American Jewish Committee, American Jewish Congress, etc.)
et par les fédérations juives nationales, régionales et locales,
qui suivent fidèlement la ligne des « grandes » et sont
actives dans le monde politique et dans l’opinion locale au sujet
d’Israël, assurant la promotion et le financement de candidats législateurs
sur la base de leur adhésion à la ligne du parti définie par le
Lobby. Aucun autre lobby n’associe de cette manière la richesse,
les réseaux d’influence jusqu’aux fondements de la société,
l’accès aux médias, le levier législatif et l’objectif
obsessionnel propre au lobby pro-israélien.
2) Chomsky n’analyse pas les
majorités quasi unanimes au Congrès, qui soutiennent année après
année tous les privilèges et les aides promus par le Lobby en
faveur d’Israël, en matière militaire, économique et
migratoire. Il se garde bien d’étudier la liste des cent
initiatives parlementaires couronnées de succès que publie
pourtant chaque année l’Aipac, même durant les années marquées
par la crise budgétaire, la désintégration des budgets intérieurs
destinés à la santé et les pertes en hommes générées par la
guerre.
3) L’attribution, relevant
du cliché, des objectifs de la guerre aux « grossiums du pétrole »,
à laquelle procède Chomsky, est totalement infondée. En réalité,
les guerres moyen-orientales des Etats-Unis obèrent leurs intérêts
pétroliers à plusieurs titres, notamment stratégiques. Les
guerres génèrent une hostilité généralisée envers les
compagnies pétrolières entretenant des relations sur le long terme
avec des pays arabes. Les guerres (dites « américaines »)
ont pour résultat de saper la conclusion de nouveaux contrats dans
des pays arabes, pour des investissements pétroliers américains.
Les compagnies pétrolières américaines sont bien plus favorables
à une résolution pacifique des conflits que ne l’est Israël, et
tout particulièrement ses Lobbyistes : toutes les revues spécialisées
et tous les porte-parole de l’industrie pétrolière y insistent.
Chomsky choisit d’ignorer totalement les activités et la
propagande pro-guerre des organisations juives pro-israéliennes et
l’absence de propos favorables à la guerre, en revanche, dans les
médias de « Big Oil » [les magnats du pétrole, ndt].
Il ignore, de la même manière, la tentative déployée par ces médias
de « Big Oil » afin de préserver des liens avec des régimes
arabes opposés aux ambitions hégémoniques belliqueuses d’Israël.
Contrairement à ce qu’affirme Chomsky, en allant faire la guerre
au Moyen-Orient, les Etats-Unis sacrifient les intérêts vitaux des
compagnies pétrolières au profit de la quête israélienne d’hégémonie
au Moyen-Orient, sur l’injonction et au profit du Lobby pro-israélien.
Dans la compétition des lobbies, il n’y a absolument pas photo
entre le bloc de pouvoir pro-israélien et les compagnies pétrolières,
quand il s’agit de favoriser les intérêts israéliens au détriment
des intérêts pétroliers, qu’il s’agisse de guerre, ou de
contrats pétroliers. Chomsky n’examine jamais la force relative
des deux lobbies en ce qui concerne la détermination de la
politique moyen-orientale des Etats-Unis. En général, ce chercheur
habituellement actif à exhumer une documentation quasi introuvable,
est particulièrement relax dès lors qu’il s’agirait de dévoiler
des documents pourtant d’ores et déjà disponibles, qui anéantissent
ses assertions au sujet de Big Oil et du Lobby israélien.
4) Chomsky refuse d’analyser
les désavantages diplomatiques qu’encourent les Etats-Unis en
opposant leur veto automatique aux résolutions du Conseil de sécurité
qui condamnent les violations systématiques des droits de l’homme
perpétrées par Israël. Ni le complexe militaro-industriel, ni Big
Oil n’ont la moindre prise sur le comportement des Etats-Unis en
matière de votes à l’ONU. Les lobbies pro-israéliens sont les
seuls lobbies à exercer des pressions en faveur de tels veto allant
à l’encontre des alliés les plus proches des Etats-Unis, de
l’opinion publique mondiale et, cela, au prix d’un rôle, quel
que soit ce rôle, que les Etats-Unis seraient susceptibles de
jouer, en tant que « médiateurs » entre le monde
arabo-musulman et Israël.
5) Chomsky refuse d’analyser
le rôle du Lobby dans l’élection des membres du Congrès, son
financement de candidats pro-israéliens et les plus de cinquante
millions de dollars qu’il dépense en dons aux partis, aux
candidats et au financement des diverses campagnes électorales.
Avec, pour résultat, un vote à 90 % du Congrès sur les thèmes
prioritaires mis en avant par le Lobby, avec le soutien des
associations pro-israéliennes locales et régionales qui y sont
affiliées.
6) Il n’entreprend pas plus
d’analyser le cas de ces candidats battus électoralement par le
Lobby, les excuses abjectes extorquées à des membres du Congrès
qui ont osé remettre en question les politiques et les tactiques du
Lobby, ni l’effet d’intimidation que ces « châtiments
pour l’exemple » ont sur tous les autres membres du Congrès.
L’effet « boule de neige » des sanctions électorales
et des pots de vin est une des explications de ces majorités sans
précédent en faveur de toutes les initiatives de l’Aipac. Les
pitoyables tentatives déployées par Chomsky afin de mettre un
signe d’égalité entre les initiatives pro-israéliennes de l’Aipac
et des intérêts politiques américains plus larges est
manifestement absurde, pour quiconque a étudié l’alignement des
groupes politiques associés à l’élaboration, au soutien, aux
pressions et au co-parrainage des mesures de l’Aipac : la
puissance du lobby juif excède de très loin son électorat, comme
le démontre le déversement de fric (un million de dollars) consacré
à la défaite de Cynthia McKinney, une femme représentant la Géorgie
au Congrès. Le fait qu’elle ait été réélue, par la suite,
essentiellement parce qu’elle a mis la sourdine à ses critiques
envers Israël, montre l’ampleur de l’impact du Lobby, y compris
sur des Démocrates dignes de ce nom.
7) Chomsky ignore le pouvoir
sans égal qu’a le Lobby de rameuter l’élite. Son congrès
annuel attire tous les principaux leaders du Congrès, les membres
clés du Gouvernement, plus de la moitié des membres du Congrès,
qui jurent soutien inconditionnel à Israël et vont jusqu’à
identifier les intérêts d’Israël à ceux des Etats-Unis. Aucun
autre lobby n’est en mesure d’assurer une telle participation de
l’élite politique, ni ce degré de servilité abjecte, depuis
tant de temps, au sein des principaux partis politiques. Particulièrement
important est le fait que l’ « électorat juif »
représente moins de 5 % de l’électorat américain total, les
juifs pratiquants ne représentant que moins de 2 % de la
population, et encore, tous ne sont pas des partisans « d’Israël,
avant tout », loin de là ! Aucun des principaux lobbies
des Etats-Unis, ni la NRA, ni l’AARP, ni l’Association nationale
des Industriels, ni la Chambre Nationale de Commerce ne peuvent
convoquer une telle brochette de dirigeants politiques, ni encore
moins s’assurer de leur soutien inconditionnel à des lois et des
décrets exécutifs favorables à Israël. C’est rien moins
qu’une autorité en la matière, tel que le Premier ministre d’Israël,
Ariel Sharon, qui a vanté la puissance du lobby pro-israélien en
matière de politique moyen-orientale des Etats-Unis. Néanmoins,
impavide, Chomsky se contente d’affirmer que le lobby pro-israélien
ne diffère en rien des autres lobbies, sans faire le moindre effort
pour comparer leurs influences relatives, ni leur capacité de
mobilisation et le caractère bi-partisan des soutiens dont ils bénéficient,
ni leur efficacité en matière d’obtention de l’adoption en
urgence de textes législatifs à leur convenance.
8) Dans son analyse de la montée
en puissance de la guerre américaine contre l’Irak, le passage en
revue par ailleurs méticuleux auquel procède Chomsky de documents
relatifs à la politique étrangère, des analyses des liens
politiques entre décideurs politiques et centres de pouvoir, est
totalement abandonné, en faveur de commentaires impressionnistes
totalement vides du moindre fondement empirique. Les principaux
architectes gouvernementaux de la guerre, ses promoteurs
intellectuels, leur stratégie publiquement énoncée et publiée
pour cette guerre, ont été, dans leur totalité, profondément liés
au lobby israélien, et ont apporté de l’eau au moulin de l’Etat
d’Israël. Wolfowitz, le numéro 2 du Pentagone, Douglas Feith, le
numéro 3, du Conseil National de Sécurité, et des dizaines
d’autres décideurs clés au sein du gouvernement et d’idéologues
dans les mass médias étaient des activistes en faveur d’Israël
depuis toujours, certains d’entre eux ayant même perdu leur accréditation
auprès d’Administrations américaines précédentes, au motif
d’avoir communiqué des documents au gouvernement israélien.
Chomsky ignore les documents
stratégiques fondamentaux rédigés par Perle, Feith et d’autres
Sionocons, dès 1996, afin de réclamer une action belliqueuse
contre l’Irak, l’Iran et la Syrie, qu’ils ont mise en
application plus tard, après avoir pris le pouvoir grâce à l’élection
de Bush. Chomsky ignore totalement le bureau de désinformation créé
au sein du Pentagone par l’ultrasioniste Douglas Feith –
l’ainsi dit « Bureau des Plans Spéciaux » - géré
par son collègue sionocon Abram Shumsky, afin d’aiguiller des
« données » bidonnées vers la Maison Blanche, en
court-circuitant et en discréditant la CIA et les services du
renseignement militaire qui contredisaient cette désinformation. Un
spécialiste non-sioniste du bureau « Moyen-Orient » du
Pentagone, la colonelle Karen Kwiatkowski, a décrit avec force détails
le flot constant et très à l’aise d’officiers du Mossad et de
l’armée israélienne, entrant dans le bureau de Feith et en
sortant, alors qu’au même moment des experts américains de très
haut niveau s’en voyaient interdire l’accès. Aucun de ces décideurs
politiques clés, qui ont prôné et obtenu la guerre, n’ont eu le
moindre contact direct, ni avec le complexe militaro-industriel, ni
avec Big Oil, mais tous étaient profondément et activement liés
à l’Etat d’Israël et soutenus par le Lobby. Etonnamment,
Chomsky, qui est connu pour sa critique des intellectuels entichés
de pouvoir impérial et des universitaires obéissants, suit une
voie similaire dès lors qu’il s’agit d’intellectuels pro-israéliens
au pouvoir et de leurs collègues universitaires sionistes. Le problème,
ce n’est pas seulement le « lobby » exerçant des
pressions depuis l’extérieur, mais bien, en revanche, les
comparses dudit lobby à l’intérieur de l’Etat.
9) Fréquemment, Chomsky se
moque des critiques formulées du bout des lèvres par les libéraux
au sujet de la politique étrangère des Etats-Unis. Néanmoins, il
ne soulève pas la moindre objection au sujet du silence absolu des
progressistes juifs en ce qui concerne le rôle majeur joué par le
Lobby dans la promotion de l’invasion de l’Irak. A aucun moment
il n’engage le débat, ni ne formule de critiques, sur les
dizaines de partisans universitaires israéliens de premier plan
soutenant la guerre contre l’Irak, l’Iran ou la Syrie. En lieu
et place, sa critique de la guerre se contente de tourner autour des
leaders de partis, de l’administration Bush, etc… sans jamais
tenter de comprendre quelle était la base organisée et les mentors
idéologiques des militaristes va-t-en-guerre.
10) Chomsky n’analyse pas
l’impact de la campagne concertée et ininterrompue de tous les
principaux lobbies et personnalités pro-israéliens américains
afin de réduire au silence les critiques d’Israël et le soutien
apporté à la guerre par le Lobby. Le refus de Chomsky de critiquer
l’abus fait par le Lobby de l’accusation d’antisémitisme (allégué)
afin de détruire nos libertés civiles, de chasser des
universitaires de leurs universités et d’autres positions
sociales au motif qu’ils ont osé critiqué Israël et le Lobby
est particulièrement évident dans le cas de la récente campagne
de diffamation à l’encontre des Professeurs Walt et Mearsheimer.
Alors que le Lobby a exercé – on sait avec quel succès – des
pressions énormes sur l’Université Harvard, afin qu’elle révoque
le Professeur Walt et que, finalement, elle le contraigne à démissionner
de son poste de Doyen de la Kennedy School d’Harvard, Chomsky, se
joignant à la meute du Lobby, a condamné leur étude critique
exhaustive et leur analyse méticuleuse. A aucun moment Chomsky ne
traite des faits centraux de leur analyse consacrée au pouvoir
actuel du Lobby sur la politique moyen-orientale des Etats-Unis.
L’ironie veut que Chomsky soit pourtant lui-même une victime
occasionnelle des épurations académiques sionistes. Mais, cette
fois-ci, il est du côté du manche.
11) Chomsky se refuse à évaluer
la puissance du Lobby, par comparaison avec d’autres forces
instituées. Ainsi, des hauts gradés de l’armée américaine se
sont fréquemment plaints du fait que l’armée israélienne reçoive
des équipements sophistiqués de dernière génération avant même
qu’ils ne soient devenus opérationnels aux Etats-Unis. Grâce au
Lobby, leurs plaintes sont rarement examinées. Les industries américaines
de la défense (dont certaines ont conclu des contrats de coopération
avec des entreprises israéliennes de la défense) se sont plaintes
amèrement de la concurrence déloyale d’Israël, ainsi que de la
violation par ce pays des accords commerciaux et de la vente illégale
par Israël de haute technologie militaire à la Chine. Or, menacé
de perdre toutes ses relations lucratives avec le Pentagone, Israël
a bel et bien été contraint d’annuler ces ventes à la Chine, au
grand dam du Lobby…
Durant la préparation de
l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, beaucoup de
responsables militaires, d’active et en retraite, ainsi que
beaucoup d’analystes de la CIA se sont opposés à cette guerre,
remettant en question les présupposés et les projections des idéologues
pro-israéliens du Pentagone, comme Wolfowitz, Perle, et du Conseil
de Sécurité Nationale, du Département d’Etat et du cabinet du
Vice-président (comme le sionocon Libby). Ils ont été mis en
minorité, leur avis a été mis à la poubelle par les sionocons et
ils ont été sous-estimés par leurs soutiens idéologiques, qui écrivent
dans les principaux médias imprimés. La position des sionocons
dans le gouvernement leur permit de dépasser leurs critiques
institutionnelles, dans une large mesure du fait que leur opinion et
leurs politiques relatives à la guerre étaient acceptées sans
aucune critique par les mass médias, en particulier le New York
Times, dont la propagandiste de guerre Judith Miller entretient des
relations serrées avec le Lobby. Ce sont là des liens et des débats
historiques bien connus, dont un lecteur attentif des mass médias
comme l’est Chomsky, avait nécessairement conscience, mais
qu’il a néanmoins choisi délibérément d’omettre et de dénier,
en substituant une critique plus « sélective » de la
guerre en Irak, basée sur l’omission de faits pourtant absolument
essentiels.
12) Dans ce qui passe pour la
« réfutation » chomskienne de la puissance du Lobby,
mentionnons son passage en revue historique superficiel des
relations américano-israéliennes, dans lequel il cite ces conflits
d’intérêts occasionnels à propos desquels, encore plus
rarement, le lobby pro-israélien n’a parfois pas eu gain de
cause. Les arguments historiques invoqués par Chomsky ressemblent
à un rapport d’avocat beaucoup plus qu’à un inventaire
exhaustif du pouvoir du Lobby. Par exemple, alors qu’en 1956 les
Etats-Unis refusèrent de se joindre à l’attaque tripartite
franco-britannico-israélienne contre l’Egypte, tout au long des
cinquante années suivantes, les Etats-Unis ont financé et livré
à Israël une machine de guerre d’un ordre de 70 milliards de
dollars, grâce, dans une très large mesure, aux pressions exercées
par le Lobby. En 1967, l’aviation israélienne a bombardé un navire espion
recueillant du renseignement pour les Etats-Unis, l’USS Liberty,
dans les eaux internationales, tuant ou blessant plus de deux cents
marins et officiers américains.
L’administration Johnson –
geste sans aucun précédent historique – refusa de sévir, et
elle fit taire les survivants de cette agression non-provoquée en
les menaçant de la « cour martiale ». Aucune des
administrations suivantes n’a jamais soulevé cette question,
quant à diligenter une investigation officielle du Congrès, n’en
parlons même pas. Tout au contraire, l’administration Johnson a
considérablement augmenté l’aide américaine à Israël et
s’est tenue prête à recourir à l’arme atomique pour défendre
Israël en un moment critique où ce pays fut sur le point de perdre
la guerre d’Octobre 1973. Cette défense américaine d’Israël
aboutit à un très coûteux boycott pétrolier arabe, qui entraîna
une hausse massive du prix du pétrole et l’animosité d’anciens
alliés arabes, qui menaça la stabilité monétaire mondiale.
Autrement dit, dans ce cas comme dans bien d’autres, le lobby
pro-israélien fut plus influent que l’armée américaine dans la
prise de décision d’une réplique à un acte d’agression délibérée
d’Israël contre des hommes servant le drapeau américain dans des
eaux internationales. Au cours des dernières années, la puissance
du Lobby a sérieusement inhibé la poursuite, par le FBI, de
dizaines d’espions israéliens entrés aux Etats-Unis en 2001. Le
plus qui ait été fait, à ce sujet, ce fut de les muter à un
poste pépère.
L’arrestation récente de
deux responsables de l’Aipac accusés d’avoir remis des
documents gouvernementaux ultra secrets à des responsables de
l’ambassade d’Israël à Washington a amené le lobby pro-israélien
a mobiliser une campagne médiatique massive afin de tenter de se défendre,
en faisant passer un acte d’espionnage à l’encontre des
Etats-Unis pour l’exercice de sa liberté d’expression. Les éditoriaux
et tribunes favorables à l’abandon des poursuites ont fait leur
apparition dans la plupart des grands journaux, au cours de ce qui
fut sans doute une campagne sans précédent en faveur d’agents
d’un gouvernement étranger, de toute l’histoire des Etats-Unis.
La puissance et la portée de la propagande du Lobby excèdent de très
loin tout pouvoir susceptible de s’y opposer, même si les preuves
qui accablent les responsables de l’Aipac sont très étayées, y
compris le témoignage d’un responsable clé du Pentagone, dont il
a été prouvé qu’il a remis les documents en question aux
espions israéliens.
13) Chomsky, pourtant un
critique hautement fiable en matière des partis pris des médias,
attribue leurs informations anti-ouvrières à leurs liens avec le
grand patronat. Toutefois, dès qu’il s’agit du parti pris
massif en faveur d’Israël, il n’analyse jamais l’influence du
Lobby israélien, ni le lien entre l’élite médiatique pro-israélienne
et le parti pris pro-israélien des médias. S’agit-il d’un
simple problème de point aveugle, ou bien d’une amnésie
intellectuelle d’origine idéologique ? Nul ne le sait…
14) Chomsky invoque
l’importance d’Israël, pour la stratégie impérialiste des
Etats-Unis en matière d’affaiblissement du nationalisme arabe,
ainsi que son rôle dans la fourniture d’aide et de conseillers
militaires à des régimes totalitaires terroristes (Guatemala,
Argentine, Colombie, Chili, Salvador, etc.), dans les cas où le
Congrès impose des restrictions à un engagement militaire direct
des Etats-Unis dans ces pays. Nul doute qu’Israël soit au service
des objectifs impériaux des Etats-Unis, en particulier dans des
situations où des politiques sanglantes sont impliquées. Mais Israël
l’a fait parce qu’il en tirait bénéfice – ses revenus
militaires accrus, la conquête de nombreux partisans de la
politique coloniale d’Israël, des marchés assurés pour les
marchands d’armes israéliennes, etc. Toutefois, une analyse plus
complète des intérêts américains démontre que les coûts générés
par le soutien à Israël excède de très loin les bénéfices
occasionnels, que l’on prenne en considération les avantages pour
les objectifs impériaux des Etats-Unis, ou – a fortiori –
l’avantage notable que constituerait une politique étrangère américaine
qui soit démocratique. En prenant en considération les guerres coûteuses
et destructrices faites à l’Irak sous la houlette d’Israël et
de ses lobbies, la politique pro-israélienne des Etats-Unis a
gravement sapé leur capacité militaire de défendre l’empire.
Elle a entraîné une perte de prestige et elle a discrédité les
prétentions des Etats-Unis à être les champions de la liberté et
de la démocratie. Du point de vue d’une politique extérieure démocratique,
cette politique a renforcé l’aile militariste du gouvernement,
elle a sapé les libertés démocratiques aux Etats-Unis mêmes.
C’est Israël qui, seul, en bénéficie, bien entendu, parce que
la guerre a détruit un de ses principaux ennemis laïcs, tout en
permettant à Israël de resserrer son emprise sur les Territoires
palestiniens occupés.
L’alignement inconditionnel
sur l’Etat colonial israélien a érodé les relations des
Etats-Unis avec les pays les plus riches et les plus peuplés du
monde arabo-musulman. En termes de marché, la différence se situe
entre des centaines de milliards de dollars d’exportations américaines
et la défense inconditionnelle et particulièrement mal avisée
d’un récipiendaire d’aides financières massives des Etats-Unis.
Les pays arabes sont des acheteurs nets de matériel militaire américain.
Au contraire, l’industrie israélienne de l’armement représente,
pour les Etats-Unis, un impitoyable concurrent.
Les compagnies américaines du
pétrole et du gaz sont des perdants nets en matière
d’investissements, de profits et de marchés, à cause des liens
entre les Etats-Unis et Israël qui, en raison du marché très
limité de ce pays, a très peu à offrir dans chacune des catégories
mentionnées ici.
Enfin, le nettoyage ethnique
des Palestiniens par Israël et la campagne efficace du Lobby visant
à assurer le veto des Etats-Unis à l’encontre de toute résolution
internationale placent les Etats-Unis dans le camp d’une torture
à grande échelle et légalisée, d’exécutions extrajudiciaires
légalisées et de déplacements massifs de populations, totalement
illégaux. Le résultat final, c’est l’affaiblissement du droit
international, et une volatilité accrue dans une région de grande
importance stratégique. Chomsky ne tient aucun compte des coûts géostratégique
et énergétiques, ni des pertes de nos propres libertés, qui résultent
directement des guerres au Moyen-Orient au nom et pour Israël, et
encore moins de l’ascension d’une forme virulente de néo-maccarthysme
sioniste, qui se répand dans l’ensemble de nos institutions
universitaires, artistiques et autres, aussi bien publiques que privées.
S’il y a une chose qui démontre éloquemment la croissance du
pouvoir des sionistes et l’étendue de leur autoritarisme, c’est
bien la campagne brutale et particulièrement efficace contre les
Professeurs Mearsheimer et Walt, qui les confirme de manière éclatante.
Conclusion
Dans des circonstances
normales, on n’apporterait à juste titre qu’une attention limitée
à des polémiques académiques, à moins qu’elles n’aient
d’importantes conséquences politiques. Dans le cas qui nous
occupe, toutefois, Noam Chomsky est une icône des mouvements
anti-guerre américains, et pour tout ce qui passe pour de la
dissidence intellectuelle. Le fait qu’il ait choisi d’absoudre
le lobby pro-israélien et les groupes qui lui sont liges, ainsi que
leurs supplétifs médiatiques, est un événement politique considérable,
en particulier quand les questions de la guerre ou de la paix sont
sur la balance, et quand la majorité des Américains est opposée
à la guerre. Laisser « la bride sur le cou » aux
principaux auteurs, architectes et lobbyistes favorables à la
guerre, voilà qui représente un obstacle indéniable devant la
volonté de faire la lumière sur ceux contre qui nous nous battons,
et pour quelles raisons. Ignorer le lobby pro-israélien, cela
revient à lui laisser les mains libres pour pousser à
l’intervention contre l’Iran et la Syrie. Pire, détourner
l’opinion des responsabilités de ce lobby, en pointant du doigt
des ennemis imaginaires, cela revient à affaiblir notre compréhension,
non seulement de la guerre, mais aussi de qui sont les ennemis de la
liberté dans notre pays. Par-dessus tout, cela permet à un
gouvernement étranger de jouir d’une position privilégiée,
d’où il nous dicte notre politique au Moyen-Orient, tout en
proposant des méthodes de police d’Etat et des législations afin
de prohiber le débat et d’inhiber le désaccord chez nous, aux
Etats-Unis. Permettez-moi de conclure en disant que les mouvements
pour la paix et la justice, tant aux Etats-Unis qu’à l’étranger,
sont plus puissants que n’importe quel individu ou que n’importe
quel intellectuel – quels que soient leurs états de service passés.
Hier,
les principales organisations sionistes nous ont dicté qui nous
pouvions ou ne pouvions pas critiquer, au Moyen-Orient.
Aujourd’hui, elles nous disent qui nous pouvons critiquer, aux
Etats-Unis. Demain, elles nous intimeront l’ordre de baisser la tête
et de nous soumettre à leurs mensonges et à leurs tromperies, afin
de nous engager dans de nouvelles guerres de conquête, au service
d’un régime colonial moralement répugnant.
|