Editorial
du quotidien israélien Haaretz
Mercredi 22 mars 2006
Traduit
de l'anglais en français par Marcel Charbonnier, membre de
Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique
(www.tlaxcala.es). Cette
traduction est en Copyleft.
Deux
universitaires américains très connus ont publié un article qui a
suscité un grand intérêt dans les milieux diplomatiques américains
et israéliens. Dans cet article intitulé “Le lobby israélien et
la politique étrangère des Etats-Unis”, les professeurs John J.
Mearsheimer et Stephen Walt écrivent que le lobby israélien auprès
du Congrès des Etats-Unis est en train de causer une sérieuse déviation
de la politique américaine, et qu’il a été un facteur critique
dans la décision prise par l’administration Bush de faire la
guerre à l’Irak. Les deux auteurs concluent en écrivant que
l’image négative de l’Amérique au Moyen-Orient a pour origine
son attitude indûment favorable à Israël.
En
dépit du fait que l’article comportait une tentative d’accuser
les juifs de développements dans lesquels ils n’ont aucune
responsabilité, et même si ses commentaires ont pour origine une
opposition croissante à la guerre en Irak et une tentative de
rechercher des motifs occultes à ce que les auteurs considèrent
comme un échec de la politique étrangère américaine, il serait
irresponsable d’ignorer le message sévère et dérangeant véhiculé
par cet article.
La
conclusion qu’Israël serait bien avisé de tirer des sentiments
anti-israéliens exprimés dans cet article, c’est qu’il ne
jouira pas éternellement de l’immunité. Le soutien résolu de
l’Amérique à Israël et sa détermination à s’abstenir de
toute colère motivée par les fautes d’Israël peuvent être
interprétés comme entrant en conflit avec les intérêts
essentiels de l’Amérique, et sont susceptibles de s’avérer
lourds à porter. Le fait que les Israéliens considèrent tout à
fait naturels le soutien et l’énorme assistance des Etats-Unis à
Israël est cause d’excès de complaisance et empêche les Israéliens
de prendre conscience de l’existence de certains courants à
l’intérieur de l’opinion publique américaine, extrêmement
profonds et susceptibles d’amener un changement drastique dans la
politique américaine.
Au
lieu de renforcer les lobbies juif et israélien et de les
encourager à influencer les décideurs politiques américains afin
de les inciter à soutenir Israël inconditionnellement, le
gouvernement israélien doit comprendre que le monde n’attendra
pas jusqu’à la Saint-Glinglin qu’Israël se retire des
territoires et que les opinions exprimées dans l’article dont il
est ici question risquent de s’enraciner dans la politique américaine,
au cas où Israël ne changerait pas rapidement la réalité
politique. Le retrait unilatéral de Gaza a certes amélioré
l’image d’Israël aux yeux du monde, en particulier en Europe,
mais cela ne suffit pas.
Le
projet du Premier ministre intérimaire Ehud Olmert visant à
obtenir un très large soutien international au programme politique
qu’il va bientôt rendre public, et qui est basé sur un retrait
significatif de Cisjordanie et l’évacuation de dizaines de
milliers de colons, est une décision avisée et nécessaire. Il est
impossible de tracer une frontière avec les Palestiniens de manière
unilatérale, si ce tracé n’est pas entériné au minimum par les
Etats-Unis et l’Europe. A Gaza, Israël s’est retiré jusqu’à
une frontière internationalement reconnue. Mais en Cisjordanie,
l’intention est de maintenir la souveraineté israélienne sur des
blocs de colonisation situés en territoire occupé.
Un
retrait unilatéral qui ne serait pas fondé sur un accord avec les
Palestiniens serait dépourvu de signification, à défaut d’un
soutien international. Renforcer les liens entre Israël et l’Europe
et impliquer les Etats-Unis dans le processus sont des nécessités
stratégiques de première importance. Le lobby juif et israélien
aux Etats-Unis ferait bien d’expliquer dès maintenant le futur
retrait, après toutes ces années qu’il a passées
essentiellement à conquérir un soutien à la continuation de
l’occupation et à l’entreprise de colonisation. Peut-être
alors serait-t-il plus facile d’expliquer la politique israélienne
et de consolider les véritables intérêts américains et israéliens ?
L’article
des deux universitaires ne mérite certainement pas d’être
condamné. Il devrait plutôt nous servir d’avertissement…
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