[l¹article, qui expose de façon très claire la position israélienne
sur la question du droit au retour des réfugiés palestiniens, s¹adressait
aux lecteurs palestiniens du quotidien Al-Quds qui a finalement
refusé de le publier. Baskin y appelait les lecteurs à faire
preuve de réalisme en
renonçant à la revendication du droit au retour]
http://www.ipcri.org/
(article proposé mais non publié - au quotidien palestinien Al
Quds)
16 mai 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Si les Palestiniens ont ouvert un dialogue national sur les
objectifs de leur mouvement de libération nationale, le temps est
venu pour eux de réétudier la question des réfugiés.
Le peuple palestinien vient de marquer le 59ème anniversaire de la
Nakba. En novembre 1947, les Nations Unies ont adopté la résolution
181, qui appelait à la création de deux Etats (un Etat juif et un
Etat palestinien) sur le territoire qui se trouvait sous mandat
britannique. Le peuple juif, de manière écrasante, accepta la
partition, bien que Jérusalem ne fût pas comprise dans le nouvel
Etat juif. A l¹exception du Parti communiste palestinien, tous les
partis et dirigeants palestiniens rejetèrent la résolution des
Nation Unies.
Cette résolution aurait accordé aux Palestiniens un Etat qui se
serait étendu sur 49% de la Palestine historique. Il aurait compris
toute la Cisjordanie, la Galilée et la bande de Gaza. Jérusalem et
Bethléem devaient être placées sous le contrôle d¹une instance
internationale, nommée "Corpus Separatum". Mais les
Palestiniens et leurs dirigeants ont cru qu¹un compromis n¹était
pas nécessaire, et que toute la Palestine appartenait aux
Palestiniens et à personne d¹autre.
Aujourd¹hui, 58 ans plus tard, les Palestiniens n¹ont toujours pas
leur Etat, et dans le meilleur des cas, l¹Etat qu¹ils pourraient
créer ne s¹étendrait plus que sur 22% de la même Palestine
historique. Les Palestiniens continuent à souffrir, et la fin du
conflit semble plus loin que jamais. D¹après les chiffres de l¹UNWRA
(2), il y a environ 5 millions de réfugiés et de descendants de réfugiés
palestiniens. Environ 1,5 million d¹entre eux vivent dans des camps
de réfugiés du Moyen-Orient. La moitié environ des Palestiniens
de Cisjordanie et de Gaza sont des réfugiés. Le problème des réfugiés
demeure la plaie ouverte du conflit israélo-palestinien et le problème
le plus difficile à résoudre.
Avant la deuxième Intifada, il semble qu¹Israël ait été
relativement prêt à accepter le retour d¹un nombre limité de réfugiés
palestiniens en Israël "proprement dit" (sans les
territoires occupés, ndt). Aujourd¹hui, après presque six années
de violences, cela n¹est plus vrai. Les Israéliens, de
tout le spectre politique, sont contre le retour ne serait-ce que d¹un
seul réfugié palestinien en Israël proprement dit. La décision récente
de la Haute cour israélienne de ne pas modifier la loi sur le
regroupement familial est l¹expression la plus évidente de cet état
d¹esprit en Israël.
Le fait que les Palestiniens continuent d¹exiger la pleine
application du droit au retour constitue l¹élément le plus
important qui donne à penser aux Israéliens qu¹une paix avec les
Palestiniens n¹est pas possible. Aux yeux des Israéliens, il y a
une contradiction absolue entre le soutien à "deux Etats pour
deux peuples" et la revendication du droit au retour. Si un
nombre important de Palestiniens devait exercer le droit au retour,
cela signifierait qu¹en une génération, l¹Etat d¹Israël
deviendrait un Etat bi-national, alors que l¹Etat de Palestine
resterait un Etat palestinien. Au fond, les Israéliens disent que
le droit au retour donnerait aux Palestiniens deux Etats en
Palestine, et que les Israéliens deviendraient une minorité dans
leur propre Etat. En conséquence, les Israéliens disent :
"oui au droit au retour, mais dans l¹Etat palestinien !"
Je pense qu¹Israël serait prêt à participer généreusement à
un fonds international qui aiderait les réfugiés palestiniens à
se réinstaller dans l¹Etat palestinien ou dans d¹autres pays.
Israël fournirait une assistance à partir de son savoir-faire et
de son expérience dans le domaine de la réinstallation de réfugiés,
mais Israël ne permettra à aucun de ces réfugiés de se réinstaller
en Israël. A mon avis, Israël ne changera pas de position sur
cette question, même si tous les autres problèmes sont résolus.
Israël considère la question démographique comme vitale, et c¹est
ce qui explique fondamentalement, le désir israélien de se retirer
de toutes les zones peuplées de Palestiniens de Cisjordanie et de
Gaza, et même de certaines parties de Jérusalem Est. Pour les Israéliens,
le problème démographique constitue le défi stratégique le plus
important pour son avenir et pour sa survie en tant qu¹Etat juif.
Il est important pour les Palestiniens qu¹ils comprennent les peurs
profondément enracinées que les questions liées aux réfugiés
suscitent chez les Israéliens. Il est très clair que les Israéliens
préféreraient n¹avoir ni paix ni retour des réfugiés plutôt qu¹une
paix qui impliquerait ce retour.
On peut facilement comprendre que, pour les Palestiniens, c¹est
peut-être l¹inverse. Pour les Palestiniens, pas de retour, cela
pourrait signifier : pas de paix. On peut facilement comprendre que
des réfugiés palestiniens, originaires de plus de 400 villes et
villages détruits avec la création de l¹Etat d¹Israël ne
puissent pas facilement renoncer à ce qu¹ils perçoivent comme étant
leur droit absolu de retourner chez eux. Mais, outre l¹opposition d¹Israël
au droit au retour, ces villes et ces villages n¹existent plus. Il
n¹y a nulle part où retourner. Certains Palestiniens disent : d¹accord,
retournons sur des terres inoccupées, près de nos maisons. Cela ne
se produira pas.
La plupart des Israéliens se sont faits à la question
palestinienne sous son angle territorial. La plupart des Israéliens
sont plus que prêts à voir se créer un Etat palestinien sur 22%
de la Palestine historique. La plupart des Israéliens sont prêts
à diviser Jérusalem, et à ce que Jérusalem soit une capitale
pour les deux Etats. La seule question où aucun compromis n¹est
possible, car il n¹y a pas de place pour le compromis, est celle
des réfugiés. Le seul aspect de cette question sur lequel Israël
pourrait être prêt au compromis serait d¹accepter d¹endosser une
responsabilité partielle pour la naissance du problème des réfugiés.
Israël pourrait être prêt à exprimer ses regrets pour la
souffrance des réfugiés, et à contribuer financièrement à résoudre
ce problème à l¹intérieur de l¹Etat palestinien.
Le processus de paix israélo-palestinien est gelé, et l¹on ne
voit aucune percée poindre à l¹horizon. La seule question capable
de provoquer un dégel est celle des réfugiés. Si la direction
palestinienne pouvait dire aux Israéliens : Nous sommes d¹accord
pour appliquer le droit au retour à l¹intérieur des frontières
de l¹Etat palestinien, et non de celles d¹Israël, on assisterait
à une bien plus grande souplesse de la part d¹Israël sur toutes
les autres questions, et le processus de paix pourrait redémarrer.
Dans ce cas de figure, les Israéliens comprendraient que le peuple
palestinien souhaite véritablement vivre en paix avec Israël et
que le rêve palestinien qui consistait à détruire Israël s¹est
transformé en autre chose.
Sari Nusseibeh, président de l¹université Al Qods, l¹a fait avec
Ami Ayalon : ils ont rédigé en commun un texte, signé par plus de
150.000 Palestiniens (3). La plupart des dirigeants palestiniens
avec lesquels j¹ai parlé ces dernières années disent qu¹ils
reconnaissent, comme la plupart des Palestiniens, que le droit au
retour ne s¹exercera pas à l¹intérieur d¹Israël proprement
dit. Je me suis toujours demandé pourquoi ils pouvaient le dire en
privé, mais non en public. À partir du moment où la majorité de
l¹opinion reconnaît qu¹il sera impossible d¹exercer le droit au
retour en Israël, pourquoi ne pas le dire ouvertement, et bénéficier
ainsi de l¹impact de cette déclaration qui permettrait de
reprendre le processus de paix ?
Il est difficile de renoncer à un rêve. Et cela est encore plus
difficile lorsqu¹on a le sentiment que la justice est de son côté.
Pour les Palestiniens, le droit au retour est leur droit en tant qu¹êtres
humains, et il n¹est pas facile de faire une quelconque concession
sur ce droit. Les Palestiniens ont déjà fait de nombreux pas pour
réviser le rêve palestinien.
L¹obstacle qui se dresse sur le chemin qui mène à la réalisation
de la plus grande partie de leur rêve (se libérer de l¹occupation,
créer un Etat indépendant et souverain sur une partie de la
Palestine), c¹est la question des réfugiés. Entretenir l¹illusion
que le droit au retour des réfugiés à leurs foyers d¹origine s¹exercera
un jour est rendre un mauvais service aux Palestiniens. Quiconque
comprend quelque chose à Israël et aux Israéliens doit comprendre
qu¹il n¹y aura pas de retour en Israël.
Je suis parfaitement conscient du fait que ma brutalité va
provoquer la colère de nombreux Palestiniens. Mais j¹écris ces
mots en tant qu¹ami véritable du peuple palestinien et en tant qu¹Israélien
qui milite pour la paix depuis 30 ans, et j¹espère que cet appel
donnera du courage à mes lecteurs palestiniens.
(1) Gershon Baskin est le co-directeur israélien de l¹IPCRI (Israel/Palestine
Center for Research and Information) www.ipcri.org
(2) UNWRA (United Nations Works and Relief Agency) : organisation
sous l¹égide des Nations Unies chargée de venir en aide aux réfugiés
palestiniens
(3) Pour voir le texte de la déclaration "Ayalon Nusseibeh"
:
http://www.lapaixmaintenant.org/communique186
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