on Dissidentvoice, 6 juin 2006
http://www.dissidentvoice.org
Traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier
Les récentes résolutions
de boycott adoptées par le CUPE et la NAFTHE contre l’apartheid
israélien ont – sans surprise – sorti les apologues zélés
d’Israël de leur torpeur, ce qui a donné lieu aux cris
d’orfraie d’un chœur de condamnations et d’auto-apitoiement
dans l’ensemble des médias occidentaux, pour ne pas parler de la
blogosphère.
Toutefois, leurs
arguments sont faibles, pour ne pas dire vermoulus. Je vais les
passer tour à tour en revue.
Mais, auparavant :
une clarification. La campagne de boycott – désinvestissement –
sanctions [BDS] est une campagne très diverse. Chaque organisation
s’est formé sa propre vision critique de ce qu’elle condamne.
Les politiques israéliennes agressives de colonisation en
Cisjordanie et à Gaza sont le plus petit commun dénominateur, mais
certaines organisations voient plus loin, et vont au-delà. De même,
chaque organisation a une approche différente du type d’action
que ses membres devraient mener. Mais toutes sont unanimes sur la nécessité
et le caractère judicieux d’une forme (à définir) d’action
collective susceptible d’exercer une pression réelle sur Israël.
J’ai personnellement mon approche propre de ces deux questions –
que condamner ? / comment répliquer ? – mais les remarques
que je vais formuler ci-après ne concernent que le plus large
consensus.
1. Boycotter Israël, c’est hypocrite. Il y
a bien d’autres violations – pires – des droits de l’homme.
Pourquoi ces organisations ne boycottent-elles pas le Royaume Uni,
qui occupe l’Irak, ou la Russie, qui massacre les Tchétchènes en
masse ?
Si une organisation
devait participer à la campagne BDS contre Israël, tout en
soutenant l’invasion de l’Irak et les massacres en Tchétchénie,
cette organisation serait à n’en pas douter hypocrite, ou au
minimum sérieusement bordélique. En existe-t-il ? Je n’en
connais aucune. Mais s’il en existe véritablement, elles
devraient impérativement repenser leur position. Toutefois, il
n’y a pas de lien de causalité directe entre la condamnation et
le choix de passer à l’action. Au moment d’examiner quel type
d’action adopter, une organisation doit prendre en compte
d’autres considérations, au-delà du caractère insupportable de
ce qui est condamné.
La
responsabilité : Les
universitaires et chercheurs russes sont-ils impliqués dans
l’occupation de la Tchétchénie de la même manière que les
chercheurs et universitaires israéliens sont impliqués dans la légitimation
de l’apartheid ? A l’évidence : non. Si certains
apologues d’Israël pensent le contraire, qu’ils viennent nous
en faire la démonstration : ils seront les bienvenus. La démonstration
de la complicité du monde universitaire israélien a été faite,
de manière tout à fait conclusive.
La
faisabilité : Est-il
envisageable de tenter d’influencer la politique américaine en
Irak au moyen d’un boycott des universitaires américains ? A
l’évidence : non. Le monde académique israélien,
relativement peu nombreux, est en revanche vulnérable. Il est donc
sensible aux pressions extérieures. La résolution britannique de
boycott a d’ores et déjà réussi à saborder une proposition de
coopération avec l’Université Hébraïque de Jérusalem et
l’appareil sécuritaire israélien. Inutile d’essayer de
recourir à cette même tactique à l’encontre des Etats-Unis.
C’est triste. Mais adopter une attitude de « tout, ou rien »,
en matière de droits de l’homme – c’est ce que souhaiteraient
certains apologues d’Israël – serait absurde. Ne parlons même
pas de l’hypocrisie bien réelle de ceux qui attirent
l’attention sur les violations des droits de l’homme au Soudan
ou en Russie sans manifester le moindre intérêt probant pour les
droits de l’homme, mais bien au contraire, un désir patent de défendre
des violations de ces mêmes droits.
Le
point fort : La plupart
des organisations qui appellent au boycott d’Israël ont leurs
propres missions, différentes, et non nécessairement centrées sur
le Moyen-Orient. Chacune doit examiner le rôle que la solidarité
avec les Palestiniens et les pressions sur Israël jouent dans leur
position globale propre, et la manière dont cette solidarité et ce
boycott sont le reflet de ses buts et de son identité spécifiques.
Les associations vouées à la défense des droits de l’homme sont
complètement en droit, par exemple, de considérer qu’Israël
porte plus atteinte au cadre général des droits humains que ne le
fait la Chine, même si la Chine a emprisonné plus de personnes
qu’Israël. La rhétorique démocratique d’Israël et sa prétention
à être un phare de civilisation et de moralité signifient que
l’occupation en Palestine ne viole pas simplement des droits de
l’homme : elle discrédite et dégrade les principes des
droits de l’homme au moins aussi gravement que le font d’autres
états voyous.
Le
leadership local : Comme
la plupart des stratégie d’action collective, la campagne BDS dépend
d’un large consensus. La première exigence, pour qu’un tel
consensus puisse se former, c’est que la campagne soit activement
soutenue et réclamée par les victimes, en l’occurrence :
les Palestiniens. Pour l’instant, tout au moins, il n’y a pas de
demande de campagne de boycott, ni de la part des Irakiens, ni de la
part des Tchétchènes. En revanche, les Palestiniens sont à la tête
de la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions à
l’encontre d’Israël. Tout aussi important est le soutien
manifeste d’une minorité d’associations israéliennes qui
soutiennent les droits des Palestiniens. Cela évoque la manière
dont la campagne pour l’Afrique du Sud était entraînée par l’ANC
[African National Congress, ndt] et soutenue par une minorité
agissante de Sud-Africains blancs. Sans leadership local, une
campagne n’est pas légitime, et elle a beaucoup moins de chance
de prendre. Les organisations sont par conséquent entièrement
justifiées à prendre cet élément en considération dans la phase
de détermination de leurs priorités.
Mettre au point des réponses
différentes à des transgressions différentes en se basant sur des
considérations complexes, cela n’est pas nécessairement
hypocrite, même si cela peut aussi l’être parfois. Le
qualificatif le plus approprié, s’appliquant à ce cas
particulier, serait « réfléchi », plutôt qu’ « hypocrite »…
2. La comparaison entre Israël et l’Afrique du Sud est partiale. Israël
est très différent de l’Afrique du Sud de l’apartheid ;
les situations ne sont pas comparables
« Apartheid »
est un mot afrikaner qui signifie « séparation ». Il en
va de même du terme « ha-frada », en hébreu, qui désigne
la politique actuelle d’Israël vis-à-vis des Palestiniens. Mais
personne n’affirme qu’Israël et l’Afrique du Sud, ce serait
« la même chose ». Un regard sur la mappemonde suffit,
de fait, à vérifier qu’il s’agit de deux pays bien différents,
et qui ont, par conséquent, chacun une histoire et des institutions
bien particulières, uniques et spécifiques. Non. Ce que nous
affirmons, en revanche, c’est que le régime d’apartheid en
Afrique du Sud et le régime israélien actuel ont en commun un
nombre significatif de caractéristiques et que ces caractéristiques
communes sont des caractéristiques qui rendent ces régimes
abjects.
Ce n’est pas ici le
lieu pour s’engager dans un débat exhaustif. Pour ceux qui
souhaitent approfondir leur connaissance de cette question, Chris
McGreal propose une excellente introduction dans le quotidien
britannique The Guardian. Mais on observera que les défenseurs d’Israël
ne sont pas en excellente position, de nos jours, pour arguer du
fait que le régime israélien serait moins répugnant que le régime
d’apartheid dans l’Afrique du Sud d’hier. Les organisations
sionistes ont célébré les similarités entre les Afrikaaners et
les juifs, et l’Anti-Defamation League, entre autres, a même
espionné les militants anti-apartheid aux Etats-Unis. Israël,
quant à lui, a soutenu le programme nucléaire sud-africain, après
quoi il a aidé le régime à échapper aux sanctions. Par ailleurs,
les militants noirs sud-africains et juifs anti-apartheid qui sont
allés en Cisjordanie disent que les conditions faites aux
Palestiniens sont similaires, voire pires, à ce que les Noirs ont
eu à endurer sous l’Apartheid.
Qui a plus de crédibilité
sur la question de savoir à quel point la variété israélienne
d’apartheid, la « hafrada » peut être répugnante :
Abe Foxman, le président d’une organisation qui a soutenu l’Apartheid
en Afrique du Sud, ou bien l’Archevêque Desmond Tutu ?
3. Exercer des pressions sur Israël serait
unilatéral, et donc inéquitable. Il vaudrait mieux encourager les
deux camps à s’engager dans un dialogue mutuel
Les apologistes d’Israël
nous servent un narratif simpliste de l’histoire des relations
entre juifs et Palestiniens. Dans ce narratif, les juifs seraient
venus en Palestine les mains vides, et ils auraient depuis lors
toujours cherché à coexister pacifiquement avec les Palestiniens.
Mais ils auraient été constamment en butte à des Palestiniens
hostiles et belliqueux. En se fondant sur ce narratif, les partisans
d’Israël exige plus de « dialogue », et ils excusent
toutes les exactions d’Israël en les présentant comme des actes
d’autodéfense. Malheureusement pour eux, le leadership sioniste a
été très clair, depuis le début, quant à son intention de déplacer
et de déposséder les Palestiniens, afin de dégager le terrain en
vue de l’instauration d’un Etat [exclusivement] juif.
Cet objectif a été
largement atteint, en 1948. Après quoi, Israël a trouvé le statu
quo confortable, et il n’a considéré qu’il n’y avait
absolument aucune urgence à résoudre son conflit avec les
Palestiniens. A la moindre occasion, les dirigeants israéliens ont
exprimé leur désintérêt pour la paix. Ben Gourion a ainsi dit
que la solution du problème palestinien serait que la Palestine
deviennent de la « poussière humaine ». Moshé Dayan a
dit aux Palestiniens, après l’occupation de 1967 : « Nous
avons une solution : vous allez continuer à vivre comme des
chiens ! » Golda Meir a déclaré qu’il n’y avait nul
besoin d’instaurer un quelconque dialogue, puisque, pour elle, le
peuple palestinien n’existait pas ! Begin et Shamir ont refusé
de négocier à propos des droits des Palestiniens, même sous une
forte pression des Etats-Unis. Begin a même envahi le Liban
essentiellement pour éviter de se voir confronté à la nécessité
de parler à Arafat (bien que celui-ci eût déjà convenu d’une
« solution à deux Etats » [ sic – on ne rit pas !],
dès 1974). Après Oslo, en dépit de leurs paroles verbales au
sujet de leur promotion d’une « solution à deux Etats »,
Rabin, Netanyahou et Barak ont tous refusé d’évacuer ne
serait-ce qu’une seule colonie. Tous les trois ont fait construire
de nouvelles colonies, Barak étant le plus industrieux. A aucun
moment un quelconque dirigeant israélien n’est convenu de se
retirer totalement de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Quant
à la reconnaissance des droits des réfugiés palestiniens :
n’en parlons même pas !
L’évacuation de
Gaza, contrairement au conte de fées qu’on a fait circuler, n’était
en rien un retrait. Israël demeure la force d’occupation, à
Gaza. La situation, aujourd’hui, à Gaza, c’est une situation où
Israël se rapproche le plus du modèle sud-africain d’apartheid ;
Gaza est effectivement un bantoustan séparé, soumis au contrôle
militaire total d’Israël. Enfin, les derniers plans mis au point
par Olmert en vue d’une « séparation unilatérale »
en Cisjordanie pointe dans cette même direction : celle de
l’Apartheid intensifié.
Ceux qui
redouteraient que cette allusion historique reviendrait à puiser en
eau trouble doivent considérer la manière dont le conseiller de
Sharon Dov Weissglass a récemment décrit l’objectif de l’évacuation
des colonies de la bande de Gaza :
« … Nous
avons réussi à éliminer la question du processus politique de
l’agenda. Et nous avons appris au monde à comprendre qu’il
n’y a personne avec qui discuter… Dès lors qu’il n’y a
personne à qui parler, le statu quo géographique demeure inchangé…
jusqu’à ce que la Palestine devienne la Finlande. »
Dans cette phrase,
vous avez la situation, pour l’essentiel. La politique constante
d’Israël consiste à éviter tout dialogue afin de maintenir sa
domination. Sur la base de cette analyse, la paix ne peut progresser
que si des pressions sont exercées sur Israël. C’est exactement
ce que vise la campagne de désinvestissement, de boycott et de
sanctions.
4. Les partisans du boycott sont antisémites
Foutaises ! Dans
un article publié par le Boston Globe, la journaliste Cathy Young,
de la revue Reason, insinue que Mona Baker serait coupable d’antisémitisme…
Voici la preuve
qu’avance Young : Mme Baker dit qu’aux Etats-Unis, « les
lobbies sionistes sont extrêmement puissants, tant au Congrès que
dans les médias. » Apparemment, d’après Mme Young, soit on
est antisémite, soit on est idiot. Car seul un idiot pourrait
remettre en cause ce qu’affirme Mme Baker.
L’accusation
diffamatrice de Young, pour dire les choses sobrement, est méprisable.
Mais elle est tout à fait de rigueur dans la quasi totalité des
apologues standards d’Israël. Chère Mme Young, lisez, s’il
vous plaît, la première moitié du livre de Norman Finkelstein,
Beyond Chutzpah [Au-delà du culot ; on espère pouvoir lire
prochainement cet ouvrage en traduction française, ndt], et
recopiez cinq cent fois la phrase suivante, dans votre calepin :
« Je ne recourrai pas à des accusations d’antisémitismes
afin de salir les détracteurs d’Israël et /ou du sionisme. »
Bien sûr, il y a
certainement quelques âmes damnées, dont la motivation à soutenir
les droits des Palestiniens est l’antisémitisme. C’est
regrettable. Ces gens sont l’image reflétée dans un miroir des
sionistes, qui ne soutiennent les droits de l’homme au Soudan
qu’à seule fin de détourner l’attention de l’opinion
publique [des exactions] d’Israël. Nous souhaitons un prompt
et complet rétablissement aux deux catégories d’extrémistes.
Mais nous ne cesserons pas de manger des brocolis, même si on nous
démontrait qu’il s’agit en l’occurrence du légume préféré
d’Adolf Hitler. De la même manière, nous ne cesserons pas de
soutenir les droits des Palestiniens, au motif que David Duke les
soutient, lui aussi…
De plus, en-dehors de
l’imagination bouillonnante des apologues zélés d’Israël, le
problème de l’antisémitisme est négligeable. Et négligeable,
pour jauger à quel point il l’est, il suffit de savoir qu’en
2003, l’Anti-Defamation league, qui est censée diriger la lutte
contre l’antisémitisme, a honoré l’ancien Premier ministre
Berlusconi, quelques semaines seulement après que celui-ci ait fait
des commentaires sympathiques sur Mussolini – l’acolyte italien
d’Hitler durant la Seconde guerre mondiale – c’est-à-dire un
dictateur qui fit adopter des lois racistes et qui envoya des juifs
dans des camps d’extermination. De plus, en prenant en considération
la droite chrétienne sioniste, aux Etats-Unis, et la droite
anti-musulmane en Europe, je pense qu’il y a peu de risques de se
tromper si l’on dit qu’il y a plus d’antisémites chez les
amis d’Israël que chez ceux qui expriment leur solidarité avec
les Palestiniens…
[* Gabriel Ash est un
militant et un écrivain, qui écrit parce que la plume est parfois
plus puissante que l’épée. Mais aussi, parfois, non. Il recevra
volontiers vos commentaires à l’adresse e-mail suivante :
g.a.evildoer@gmail.com
]
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