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Ha'aretz, 19 septembre 2005
Trad. : Gérard pour LPM
Ce week-end, plus de 150.000 personnes (d'après les estimations des
médias palestiniens) ont traversé la frontière entre Gaza et l'Egypte
(axe Philadelphie). Les habitants l'ont traversée dans les deux
sens, transportant ce qui leur semblait bon, sans aucun contrôle.
C'était comme si toutes les discussions, propositions et
arrangements qu'Israël avait évoqués concernant cette frontière
n'avaient jamais existé. Le fait que des policiers palestiniens, et
des policiers et soldats égyptiens ont pu fermer un certain nombre
de points de passage ces deux derniers jours ne change en rien la
conclusion : il n'y plus grand chose qu'Israël puisse faire en la
matière.
Dans cet énorme flot de gens d'un côté à l'autre de la frontière,
il y avait cet élément de réjouissance qu'on éprouve à voir une
brèche dans une frontière, et aussi celui de retrouver des
proches après des années de séparation. Le gouvernement israélien
est inquiet à l'idée que des armes aient pu être infiltrées à
Gaza pendant ces journées. Et les efforts immenses consentis par
l'armée israélienne pour découvrir les tunnels par lesquels ces
armes étaient infiltrées, ainsi que d'autres brèches dans la
frontière, sont apparus ce week-end comme de vains sacrifices.
Mais le souci principal des habitants de Gaza n'était ni les réunions
de famille ni les armes, mais l'économie. Pour comprendre cela , il
faut simplement comparer les prix des deux côtés de la frontière.
Un paquet de Marlboro coûte 5 shekels du côté égyptien, et 14
shekels à Gaza. Un agneau prêt à être abattu pour un repas du
soir pendant le mois de Ramadan, qui commence dans 15 jours, coûte
environ 200 shekels du côté égyptien, et 1.000 shekels à Gaza.
Ces écarts de prix se retrouvent pour une longue liste de produits,
en particulier les produits laitiers. Ainsi, il n'est pas surprenant
qu'une chaîne de télévision du Golfe ait montré des magasins d'El-Arish
(en Egypte) complètement dévalisés. Des dizaines de milliers
d'habitants de Gaza, et en particulier les commerçants, se sont jetés
sur ces magasins. D'après certaines estimations, en 3 jours, des
biens d'une valeur de 15 millions de $ sont passés depuis le Sinaï
vers Gaza.
Parmi les choses liées à cette disparition de frontières, il y a
des informations concernant de grosses quantité de drogue entrées
dans Gaza, des hommes recherchés par Tsahal qui, après des années
de planque, sont allés se baigner à El-Arish. Des journalistes de
Gaza rapportent que des étudiants gazaouis qui font leurs études
au Caire se sont précipités vers la frontière pour rencontrer des
proches qu'ils n'avaient pas vus depuis des années. Un chanteur égyptien
célèbre est venu du Caire à Rafah et a traversé la frontière
pour chanter dans des night clubs de Gaza.
Mais, à part ces histoires humaines et la question économique, ce
qui est véritablement important à propos de cette frontière est
son aspect diplomatique. Le contrôle de ses frontières, de qui
entre ou sort, est peut-être l'élément essentiel de la
souveraineté. Ce n'est pas par hasard si les accords d'Oslo
stipulaient qu'Israël conserverait le contrôle total des passages
de frontière vers le territoire palestinien, dans la bande de Gaza
comme en Cisjordanie.
Dans cette perspective, on peut dire, sans négliger le traumatisme
israélien dû au démantèlement de colonies à Gaza et en
Cisjordanie, que l'évacuation de l'axe Philadelphie constitue un
tournant diplomatique au moins aussi important que le plan de désengagement.
Le gouvernement israélien peut se mettre en colère, tempêter et
menacer à propos de ce qui s'est passé sur cette frontière ces
derniers jours, et de ce qui s'y passera à l'avenir, ceux qui détermineront
ce qui s'y passera vraiment seront les deux pouvoirs souverains de
chaque côté de la frontière : les gouvernements de l'Egypte et de
l'Autorité palestinienne. Les Palestiniens le comprennent très
bien. Vendredi dernier, Mahmoud Abbas s'est rendu sur la frontière,
et du fait de ce contrôle de facto par l'Autorité palestinienne,
il va être possible d'organiser samedi prochain une fête de l'indépendance
sur le parvis de la Mouqata. "Venez en masse manifester pour la
fête de l'indépendance et de la liberté Depuis Gaza, en route
vers la Cisjordanie et Jérusalem", proclament les panneaux et
encarts qui annoncent l'événement.
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