on Reasononline, 26 mai 2006
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Ilan Pappe, historien de l’université israélienne
de Haïfa, tient à transmettre aux universités étrangères ce
message : « Surtout, ne me sollicitez pas ! »
Antisioniste partisan de la dissolution de l’état
juif, Pappe apporte son soutien moral à un mouvement qui en appelle
au boycott des chercheurs israéliens. L’objectif, c’est
d’exercer une pression sur le gouvernement (israélien) jusqu’à
ce qu’il mette un terme à l’occupation de territoires
palestiniens [autant dire : à la Saint-Glinglin, ndt].
« Cela m’affectera, bien sûr, en tant que membre du corps
professoral », dit Ilan Pappe, « mais c’est là un
prix bien modique à payer, si l’opération est couronnée de succès. »
La campagne de boycottage a pris sa vitesse de
croisière, à nouveau, au cours de ce mois de mai en
Grande-Bretagne, pays où elle rencontre le plus de soutien. La
NATFHE, National Association of Teachers in Further and Higher
Education [Association nationale des enseignants de l’éducation
universitaire et des recherches avancées] adoptera une motion de
soutien au boycott lors de sa conférence annuelle, lundi prochain
[lundi 29 mai, ndt]. Certains universitaires britanniques l’ont déjà
signée à titre personnel. Dans le courant du mois, le quotidien
israélien Ha’aretz a rapporté que Richard Seaford, un professeur
de l’université d’Exeter a décliné une proposition de publier
un article dans une revue israélienne de recherche, en raison de
son soutien au boycott. L’Association (britannique) des
professeurs d’universités [AUT – Association of University
Teachers] avait elle aussi adopté un appel au boycott, en 2005,
mais elle s’était dédite, par la suite.
Globalement, ce boycott est une réaction aux
mauvais traitements infligés par Israël aux Palestiniens. M. Pappe
y voit une action similaire au mouvement en cours, dans les
universités américaines, de désinvestissement d’entreprises
ayant une relation d’affaires (aussi minime soit-elle) avec Israël.
« Cela touche à l’image culturelle qu’ont d’eux-mêmes
les Israéliens », explique-t-il, « ce qui n’est pas
moins important, pour eux, que leur niveau de vie ». Mais plus
directement, des universitaires britanniques ont réagi à certaines
occurrences spécifiques aux instances universitaires israéliennes.
En envisageant d’adopter une résolution de boycott, ses partisans
au sein de l’AUT affirmaient que l’Université hébraïque [de Jérusalem,
ndt] avait été édifiée sur un terrain palestinien. Pappe a été
le sujet d’une controverse, au sein de l’université de Haïfa,
en 2002, et il a été confronté au risque d’être licencié après
que l’exactitude d’un étudiant [dont il dirigeait la thèse,
ndt] a été remise en cause. Des défenseurs de la Palestine, au
sein de l’AUT, ont cité les menaces de licenciement suspendues
au-dessus de M. Pappe parmi les motivations du boycott, mais M.
Pappe continue à enseigner à l’université de Haïfa, à ce
qu’on sache…
Le vote intervenu dans le courant du mois par
la NATFHE a allumé tous les voyants rouges dans les cabines de
pilotage du lobby pro-israélien des Etats-Unis, et des pétitions
contre le boycott sont fébrilement échangées via e-mail.
Même auprès des suspects habituels [sic] des
secteurs pro-palestiniens de l’intelligentsia ayant ses quartiers
en Amérique, le mouvement est peu soutenu.
« Un boycott systématique des
universitaires israéliens est une erreur », dit Juan Cole,
professeur d’histoire du Moyen-Orient à l’Université du
Michigan, qui est par ailleurs un contempteur du gouvernement qui ne
mâche pas ses mots. « En tant que corporation, ils n’ont
rien fait de mal. La plupart critiquent les brutalités israéliennes
à l’encontre des Palestiniens. Ils enseignent et sont en
relations avec des Arabes. L’analogie avec l’Apartheid ne tient
tout simplement pas la route. »
Tony Judt, professeur à l’université de New
York et éminent contempteur d’Israël [ouais… tout est relatif !
ndt] se refuse à soutenir un quelconque boycott des chercheurs israéliens
tant qu’une masse critique d’universitaires israéliens ne le
soutiendront pas eux-mêmes. Le journaliste radical [sic], éduqué
en Ecosse et vivant en Californie, Alexander Cockburn, est contre ce
boycott, même si sa newsletter politique, Counterpunch, a publié
des auteurs qui y sont favorables. Il pense qu’il serait
hypocrite, de sa part, d’être personnellement favorable à un tel
boycott alors même qu’il lutte contre la censure à l’encontre
d’intellectuels de gauche. « De manière générale, je suis
contre les boycotts ! », dit-il [chouette : on va
pouvoir lui proposer certains textes ! ndt]
Mais en Grande-Bretagne, des personnes telle
Jacqueline Rose, écrivain et professeur à Queen Mary [une
université londonienne], n’a pas de problème avec
l’hypocrisie. Entre autres raisons, elle a affirmé dans la presse
progressiste qu’un boycott universitaire est nécessaire parce que
les institutions internationales n’ont pas empêché les crimes
allégués [sic] d’Israël.
Les universitaires britanniques, dit Judt [qui
est lui-même un ex-pat britannique] « ont toujours été très
à gauche du consensus national, et ils vivent dans une culture où
ce même consensus est bien mieux informé – et bien plus critique
– au sujet d’Israël que ce n’est le cas ici, aux Etats-Unis. »
Reste que, si les Grands-Bretons sont si bien
informés au sujet de l’injustice et tellement remontés contre
les Etats qui se conduisent mal, pourquoi n’y a-t-il pas des
associations dans le genre de la NATFHE, qui appelleraient à un
boycott des universitaires américains en raison de l’occupation
de l’Irak par leur gouvernement, ou à celui d’universitaires de
ces nombreux pays arabes aux états de sévices abyssaux, en matière
de droits de l’homme ? Pourquoi pas un boycott contre les ingénieurs
chinois, en raison de la colonisation par la Chine du Tibet ?
Pourquoi pas un boycott des profs de littérature britanniques, en
raison de la répression en Irlande du Nord ? [Vous m’avez
compris : suivez mon regard : l’anti-bidulisme !…]
Quelle que soit l’issue du vote, lundi [il a
été favorable au boycott, Grâce au Ciel ! ndt], il est peu
vraisemblable que la campagne de boycott aille bien loin [litt. :
parvienne à traverser la mare, ndt]. Aux Etats-Unis, contrairement
à ce qui se passe en Grande-Bretagne, il y a un consensus, parmi
les chercheurs, qui est que même si les agissements d’un
gouvernement donné sont condamnables, les intellectuels du pays
concerné ne doivent pas en être tenus responsables. [Sauf en Iran ?
ndt]
« Je
ne vois pas ce mouvement de boycott prendre de l’ampleur à
l’avenir », commente Cole. « Je pense qu’il
s’agit-là d’une gesticulation d’arrière-garde, de la part de
gens qui ont déjà été recalés à plusieurs reprises. »
|