on CounterPunch, 5 juin 2006
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Traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau
de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft.
J’ai écrit mon premier article consacré aux Palestiniens en
1973. A l’époque, je venais tout juste de démarrer une rubrique
pour un hebdomadaire new-yorkais, The Village Voice [~Les potins du
village]. Mon article portait sur une information donnée par le New
York Times au sujet d’un raid « de représailles » de
l’aviation israélienne, après que deux guérilleros du Fatah
aient tiré sur une unité des Forces Israéliennes de Défonce. Je
ne me rappelle pas s’il y avait eu ou non des victimes militaires
israéliennes. Mais qu’importe : les avions israéliens
avaient foncé vers le nord, et déversé des explosifs surpuissants
sur un camp de réfugiés au Liban, tuant une douzaine d’hommes,
de femmes et d’enfants.
J’écrivis alors un bref commentaire, relevant l’absence
habituelle d’une quelconque gêne morale dans l’article du Times
relatant cette vengeance mortelle infligée à des réfugiés
innocents. Dan Wolf, rédacteur en chef de la revue, m’appela au téléphone
pour me suggérer de modifier la teneur de ma rubrique. Je me
souviens que ce fut la première fois où un de mes articles ne fut
pas publié. Mais l’acte involontaire de censure échappé à Dan
ne fit que m’aiguillonner, et je me mis à écrire beaucoup
d’articles sur le sort des Palestiniens.
C’était une époque où les Palestiniens bénéficiaient de bien
moins d’importance aux yeux des éditeurs que la lotion Furbish à
base d’herbe aux poux [Scrophularia, ndt]. Mais il faut reconnaître
qu’aucun homme politique ne se serait avisé de prétendre que
cette plante malodorante et méprisée n’existait pas. En
revanche, c’est bel et bien ce que prétendit Golda Meir, Premier
ministre d’Israël, parlant des Palestiniens…
A l’époque, il vous fallait creuser un peu plus profond si vous
vouliez exhumer ce que les juifs israéliens étaient bel et bien en
train de faire subir aux Palestiniens. Mais avisez-vous simplement
d’exposer les faits : le racisme institutionnalisé, les
confiscations de terres, la torture… et une avalanche d’insulte
se déversera dans votre boîte à lettres. C’est ce qui m’est
arrivé après avoir publié un long interview (toujours dans la
revue Voice, en 1980) du regretté Israël Shahak, un professeur
courageux de l’Université Hébraïque de Jérusalem.
C’est quelque peu étrange, aujourd’hui, de relire ce que
Shahak expliquait alors, et de découvrir la véridicité de ses
analyses et de ses prédictions : « Les tendances de base
ont été établies dans les années 1974 – 1975 ; notamment :
les organisations de colons, l’idéologie mystique et l’énorme
soutien financier dont Israël bénéficie de la part des Etats-Unis.
Entre l’été 1974 et l’été 1975, les décisions clés ont été
prises et, depuis lors, tout en découle en droite ligne. »
Parmi ces décisions, m’avait dit Shahak, il y avait celle de
« conserver les territoires palestiniens occupés », ce
qui n’était qu’un détail dans le développement de projets
bien plus anciens, devenus faits accomplis en 1967.
Progressivement, tout au long des années 1980 – et bien souvent
grâce aux articles traduits de la presse hébraïque que Shahak
nous envoyait régulièrement – les délinéaments du plan israélien
émergeaient, comme la quille et les renforts de bois de la coque
d’un vieux navire : un réseau routier contournant les villes
et les villages palestiniens et reliant les colonies juives et les
avant-postes militaires ; des grappes de colonies en expansion
constante ; un plan directeur destiné à s’assurer du contrôle
de toutes les ressources hydriques de la région…
Il n’était pas difficile d’obtenir des descriptions
impressionnantes des conditions de vie de plus en plus intolérables
des Palestiniens : prisonniers torturés systématiquement,
barrières entravant le moindre déplacement, harcèlement des
paysans et des écoliers, démolitions de maisons. Beaucoup de
personnes revenant d’Israël et des territoires occupés
relataient des histoires poignantes, mais très peu de ces récits
parvenaient au terme de leur voyage : dans les colonnes d’un
grand journal ou dans les programmes d’une chaîne de télévision
nationale.
Et même dans les témoignages qui ont été publiés dans ces
colonnes, ce qui manquait, c’était une quelconque reconnaissance
de l’existence du projet remontant loin dans le passé de faire
table rase de toutes ces résolutions emmerdantes de l’Onu, d’écraser
les aspirations nationales des Palestiniens, de voler leurs terres
et leurs sources, de les confiner dans des enclaves de plus en plus
réduites et enfin de les balkaniser au moyen du tristement célèbre
Mur, dont les plans étaient sur la table à dessin depuis bien des
années. En effet, écrire au sujet d’un quelconque plan
directeur, c’était immanquablement vous exposer à des tombereaux
d’insultes supposées méritées en raison de vos fantasmes supposés
« paranoïaques » sur la mauvaise foi d’Israël,
insultes accompagnées de l’invocation essentiellement vaine et
relevant du vœu pieu d’un soi-disant « processus de paix »…
Mais les gouvernements israéliens successifs avaient bel et bien
un tel plan de long terme. Peu importe qui était aux manettes du
pouvoir ; les routes étaient tracées, l’eau était volée,
les oliviers et les arbres fruitiers étaient coupés (plus d’un
million…), les maisons étaient démolies (12 000), les colonies
étaient imposées (300) et les protestations effrontées de bonne
foi étaient adressées à la presse américaine (au-delà de tout
comput…)
Tandis que le nouveau millénaire s’enfonçait dans le délire,
il était certes devenu impossible de croire à une quelconque
protestation émanant d’Israël que ce pays était en train de
marchander, voire même qu’il était désireux de marchander en
toute bonne foi. Désormais, les « faits accomplis sur le
terrain », en Israël et dans les territoires, sautaient aux
yeux d’une manière aussi criante que sur une peinture surréaliste
de Salvador Dali.
En mai dernier, le Premier ministre israélien Ehud Olmert est venu
à Washington et il s’est adressé à une session conjointe du
Congrès, au cours de laquelle il a notamment déclaré : « J’ai
toujours pensé, et j’en suis encore aujourd’hui convaincu, que
notre peuple a un droit éternel et historique à posséder la
totalité de ce pays. » Autrement dit : il ne reconnaît
pas le droit des Palestiniens ne serait-ce qu’aux cantons déshérités
actuellement pris en compte dans son projet de « recentrage »
[hitkansut].
Dans ces conditions, pourquoi le Hamas croirait-il à une seule
syllabe des inepsies d’Olmert ?
Quand Arafat et son OLP donnèrent des signes inquiétants qu’ils
étaient impatients de trouver un « accommodement », la
réponse d’Israël n’avait-elle pas consisté à envahir et dévaster
le Liban ?
Dans le plan de « recentrage » d’Olmert, la « Barrière
de Séparation » désormais prévue pour représenter la
« frontière démographique » définitive d’Israël
annexe 10 % de la Cisjordanie, tout en incluant du côté israélien
de vastes implantations peuplées d’un demi million de colons. Les
Palestiniens sont en train de perdre leurs meilleurs terres
agricoles et la plus grande partie de leurs sources. Le grand Jérusalem
fait un sort définitif à toute possibilité d’un Etat
palestinien viable et séparé. Le mini-archipel des cantons
palestiniens résultant est clôturé, vers l’Est, par la frontière
de sécurité d’Israël, qui parcourt toute sur toute sa longueur
[et au beau milieu, ndt] la vallée du Jourdain.
La presse, ici, aux Etats-Unis, à la fois timorée et ignorante,
accueille le « réalignement » d’Olmert avec un
respect serein. Pendant ce temps, une effroyable tragédie
historique en est à ses chapitres conclusifs. Avec la connivence de
celle que l’on qualifie parfois d’une manière cruellement
comique de « communauté internationale » –
principalement des Etats-Unis et de l’Union européenne – Israël
est en train d’affamer délibérément les Palestiniens jusqu’à
ce qu’ils capitulent, en « récompense » pour avoir démocratiquement
élu le parti de leur choix. Des communautés entières sont sur le
point de connaître la famine, Israël leur ayant coupé tout
approvisionnement tant en vivres qu’en médicaments.
La Banque Mondiale prédit un taux de pauvreté supérieur à 67 %,
dès l’été. Un rapport de l’Onu, publié à Genève le 30 mars
dernier, indique que 4 Palestiniens sur 10, dans les territoires,
vivent au-dessous du seuil officiel de pauvreté (correspondant à
des revenus quotidiens inférieurs à 2,10 dollars). L’Organisation
Internationale du Travail estime quant à elle le taux de chômage
à 40,7 % de la main-d’œuvre palestinienne totale.
La fin de cette
histoire ? Je dirais que la stratégie de fonds est ce
qu’elle a toujours été, dès 1948 : transferts de
population, à obtenir en rendant la vie tellement invivable pour
les Palestiniens que la plupart d’entre eux s’en iront, laissant
derrière eux quelques ghettos financièrement ruinés comme mémoriaux
de tous ces espoirs illusoires placés en un Etat palestinien indépendant.
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