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Ha¹aretz, 28 avril 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Compte tenu de l¹action du ministre de la défense sortant, le général
(de réserve) Shaul Mofaz, le civil Amir Peretz va succéder à un
personnage bien falot, mais qui aura fait du mal et léguera des ruines au nouveau
gouvernement, et pas seulement au nouveau ministre de la défense.
Il laisse derrière lui les graves dommages causés par deux théories stratégiques
erronées, théories qui ont fait du tort à Israël et au Moyen
Orient tout entier. Toutes les deux ont attribué à des leaders arabes aux
capacités militaires très limitées d¹intention de détruire l¹Etat d¹Israël.
Toutes les deux ont été le produit de la pensée dogmatique d¹Amos Gilad,
chef du département politique et sécurité au ministère de la défense.
Mofaz, dénué de toute pensée politique propre, a adopté les théories de
Gilad sans aucun esprit critique.
L¹échec de la première théorie a été révélé, en même
temps que ses graves répercussions, par la commission Steinitz. Selon cette théorie,
Saddam Hussein avait l¹intention de tourner ses armes de destruction
massive contre Israël, une fois "le dos au mur". Gilad et Mofaz ont
estimé que l¹invasion de l¹Irak par les Américains améliorerait la position stratégique
d¹Israël.
Au lieu de quoi, elle a conduit à des liens de plus en plus
resserrés entre le régime chiite en Irak et son voisin iranien.
Selon la seconde théorie, Yasser Arafat est entré dans le
processus d¹Oslo et a commencé l¹Intifada avec pour objectif final la création d¹une
"Grande Palestine", qui devait inclure Israël et la Jordanie. Cette
théorie du complot concernant les Palestiniens a conduit les services de sécurité
à adopter une approche agressive, unidimensionnelle et à courte
vue.
Dans la communauté du renseignement, un groupe important constitué
de membres haut placés du renseignement militaire (Amos Malka et
Ephraïm Lavie), du Shin Bet (Avi Dichter, Youval Diskin et Mati Steinberg)
et du Mossad (Yossi Ben-Ari) ont considéré cette théorie comme
inepte. Certains en temps réel, d¹autres à retardement. Mofaz et Gilad ont fait en
sorte qu¹ils soient réduits au silence. Il n¹y a là aucune consolation pour
les dizaines de milliers de victimes innocentes du conflit militaire, y compris
les 1.200 morts israéliens. Et les enfants de la troisième Intifada qui s¹annonce
ne naîtront pas dans un monde meilleur.
Carl Maria von Clausewitz, l¹un des pères de la polémologie
moderne, a écrit que la guerre "n¹est rien d¹autre que la continuation de la
politique par d¹autres moyens". Le succès d¹une guerre se mesure à l¹aune
de la marge de manœuvre qu¹elle apporte à l¹échelon politique, au moins
autant qu¹à celle du degré de sécurité qu¹elle apporte à ses citoyens. Cette
marge de manœuvre permet à la victoire militaire de se traduire par un accord
politique. Le chaos qui règne dans la bande de Gaza et en Cisjordanie et les
attentats terroristes en Irak et en Israël, prouvent que la supériorité
militaire ne garantit ni la réussite politique ni la sécurité. Le retrait
unilatéral de la bande de Gaza, le "plan de convergence" unilatéral
en Cisjordanie, la clôture de sécurité, la victoire du Hamas et la détérioration
des relations entre Israël et l¹Autorité palestinienne :tous ces facteurs,
pris individuellement ou de manière cumulative, témoignent du fait
que cinq ans et demi de conflit militaire ont réduit la marge de manœuvre
de
l¹échelon politique à un niveau jamais atteint depuis la guerre de Kippour.
Clausewitz disait aussi qu¹aucune personne sensée ne part en
guerre sans avoir au préalable défini ses objectifs. Le grand succès de
Mofaz chef d¹état-major, selon Mofaz lui-même, a été de préparer des
forces importantes en prévision de la confrontation avec les Palestiniens à l¹automne
2000.
Cette préparation minutieuse, dit-il, a permis à l¹armée israélienne
de mener une guerre totale contre le rival palestinien. Et quel était
l¹objectif ? Faire prendre conscience aux Palestiniens du
"prix de la défaite". Graver dans leur conscience que le prix de la
violence est plus élevé que ses bénéfices. Et qu¹allait-il arriver après la
"victoire" ? Qui remplirait le vide laissé par Arafat et les autres dirigeants de
l¹Autorité palestinienne une fois qu¹ils auraient été éliminés ? Quel
accord politique allait remplacer le désordre dans les territoires créé par la
destruction de leurs infrastructures ? Qui allait remplacer le leader
relativement modéré du Hamas envoyé au paradis par une attaque éclair de l¹armée
de l¹air ?
Deux ans après le début de ce conflit, la communauté du
renseignement posait sur le bureau de Mofaz un document qui aurait dû fournir des réponses
détaillées à toutes ces questions : un numéro de la revue du
Hamas, "Falastin al-Muslama", consacré à un résumé des leçons
à tirer de l¹Intifada. Khaled Meshal, chef de la branche politique de l¹organisation,
y écrivait : "le stade actuel est une tentative de profiter de
l¹usure de l¹ennemi pour instiller chez les sionistes le doute concernant
leur avenir". Meshal ajoutait que les sionistes et les Américains offraient aux
Palestiniens le choix entre une mort dans la soumission et une
mort d¹une autre manière (c¹est-à-dire : dans l¹honneur). En conséquence,
concluait-il, "l¹Intifada et l¹opposition sont un choix inévitable".
Les contributeurs du magazine définissaient un prochain objectif
politique à atteindre comparable au retrait israélien unilatéral du Liban.
Ils soulignaient que, comme dans le cas du Liban, leur objectif était
de persuader l¹opinion israélienne, par le moyen de l¹Intifada,
que la "sécurité sioniste" dépendait d¹un pareil retrait. L¹article
qui concluait la revue affirmait qu¹il fallait s¹attendre à une escalade du côté
israélien, qui provoquerait une escalade du côté palestinien,
ce qui démontrerait ainsi à tout le monde que seul le Hamas était
capable de frapper l¹ennemi, établir un équilibre de la terreur, épuiser
ses forces et semer la confusion dans son débat politique et influencer sa
situation intérieure.
Mofaz, chef d¹état-major puis ministre de la défense, a régulièrement
fourni à Meshal la preuve que le Hamas pouvait effectivement obtenir par
des moyens militaires ce que l¹Autorité palestinienne n¹avait pas su
obtenir d¹Israël par des moyens politiques. "Le point culminant a été la décision
de s¹en prendre à Jibril Rajoub", dit le Dr Mati Steinberg, à l¹époque
conseiller spécial du responsable des affaires palestiniennes au sein du
Shin Bet. "Les forces qu¹il commandait n¹ont pas tiré sur nous, n¹ont pas opéré
contre nous, et n¹ont pas utilisé la méthode de la porte-tambour
(1)", dit Steinberg. Un officier haut gradé qui était au courant des plans
de cette attaque a parlé d¹ "intoxication opérationnelle " et
d¹un "enchaînement d¹événements sans aucune rationalité".
Steinberg accuse Mofaz d¹être responsable des conséquences
graves d¹une politique qui n¹a pas fait la différence entre les différentes
forces palestiniennes et a puni la population dans son ensemble. "La
politique du Oprix à payer pour la défaite¹ a été ce qui a légitimé les
attentats
suicides, même dans les cercles qui ne croyaient pas aux vierges
qui attendaient les martyrs au Paradis. C¹est le prix inévitable à
payer à cause du seul choix que leur a laissé cette politique agressive : le
choix entre la reddition sans conditions et la révolte jusqu¹à la
mort".
Shlomo Ben-Ami était ministre des affaires étrangères et membre
du cabinet de sécurité au début de l¹Intifada. Il écrit dans un livre
que le ministre Amnon Lipkin-Shahak, qui coordonnait les actions destinées à
ramener le calme, lui a exprimé sa colère et sa frustration devant le
comportement de Mofaz et l¹esprit que celui-ci insufflait aux forces sur le
terrain. "Les produits qui étaient censés parvenir à la population étaient
bloqués aux check points, des bulldozers détruisaient des serres, des crèches
et des récoltes, soi-disant pour des raisons de sécurité, d¹une manière
qui faisait monter la fureur palestinienne à des sommets sans précédent. La
politique des punitions collectives, y compris économiques, dont il était
clair qu¹elle ne servait pas les intentions de l¹échelon politique
qui tentait d¹obtenir une certaine accalmie, était un programme établi par
la direction militaire, qui a ignoré les instructions et les intentions de la
direction politique".
La vision de Mofaz, qui a souhaité se présenter au poste de
Premier ministre pour le Likoud, n¹a jamais dépassé celle qu¹on pourrait
attendre d¹un médiocre commandant de brigade (Mofaz a échoué trois fois aux
tests d¹officiers). Au sein de Tsahal, on a coutume de nommer cela
"le syndrome du cordonnier" : tout problème peut être résolu avec un
marteau. Si un marteau d¹une demi-tonne ne le résout pas, utilisez un marteau d¹une
tonne. Fin 2000, quand le gouvernement Barak a voulu adopter les propositions
de Clinton dans l¹espoir de restaurer un canal de rapprochement, le
chef d¹état-major Mofaz a prétendu que la direction politique
mettait en danger la sécurité du pays. Ben-Ami écrit que Mofaz n¹a pas tenu
compte du fait que l¹alternative à un accord, même à un accord qui ne
satisfaisait pas tous les souhaits d¹Israël en matière de sécurité, était la rébellion
de la nation palestinienne, le terrorisme, un retour à l¹occupation, un
isolement sur le plan international et une conflagration dans le monde arabe et
musulman. En écrivant cela, il ne savait pas combien il avait raison. Le contrôle
des territoires par le Hamas a fonctionné comme un pont entre les
chiites iraniens et les Frères musulmans sunnites, et placé ainsi le
conflit à un niveau plus global, plus fondamentaliste.
Le costume et la cravate n¹ont pas changé le mode de pensée de
Mofaz. Avant de comprendre que son Premier ministre, Ariel Sharon, ne tolérerait
pas un ministre de la défense qui n¹en fait qu¹à sa tête, Mofaz s¹est
opposé véhémentement au plan de désengagement. Cette fois encore, la
seule alternative qu¹il proposait était davantage d¹assassinats, de
bouclages et de check points. Depuis le retrait, il a fait tout ce qui était
en son pouvoir pour empêcher l¹Autorité palestinienne sous la
direction du président Mahmoud Abbas de présenter le désengagement comme
faisant partie d¹une politique bilatérale. Cette fois, c¹est Amos Gilad qui a
servi de conducteur des travaux de démolition. Pour des prétextes sécuritaires,
dont certains se sont révélés douteux, ils ont fermé les passages
entre Israël et la bande de Gaza, coupant ainsi celle-ci complètement de la
Cisjordanie. Et cette fois aussi, le Hamas a célébré l¹échec des partisans d¹un
accord [avec les Israéliens], et ses militants riaient en se rendant aux
urnes.
Un avertissement à Amir Peretz
Un ancien haut responsable du renseignement militaire conseille à
Peretz de se méfier de l¹habitude qui a pénétré le renseignement
militaire ces dernières années : la surestimation de la force du rival. Selon
lui, à la lumière de la domination dommageable qu¹a exercée l¹état-major
sur la prise de décisions au niveau national, cette tendance à la
surestimation de l¹adversaire est devenue l¹un des obstacles majeurs, qui
pourrait, de plus, engendrer une escalade supplémentaire du côté palestinien et,
peut-être, sur d¹autres théâtres d¹opérations, ajoute cet officier. (S)
Un général de réserve prévient Amir Peretz de faire attention
au syndrome du magasin de jouets: un civil qui devient ministre de la défense
pourrait être tenté de se comporter comme un enfant qui entre dans un
magasin Toys "R" Us et ne résiste pas à la tentation d¹appuyer sur
tous les boutons. Pour faire comprendre le danger, il suggère d¹imaginer qu¹un
officier entre dans le bureau du nouveau ministre et lui dise qu¹il a le pouvoir de
lui dire ce que sa femme pense de lui à ce moment précis. "Parce que
nous jouissons d¹une supériorité militaire absolue", dit Steinberg pour
illustrer les propos du général, "le nouveau ministre doit faire
attention à la tentation de croire que nous disposons aussi du pouvoir de conquérir les
esprits des Palestiniens et de s¹attendre à ce qu¹ils acceptent notre
interprétation de la Feuille de route ou des propositions Clinton".
Mati Steinberg dit que la menace iranienne, la puissance
croissante des Frères musulmans et le jihadisme mondial offrent des
circonstances favorables à la consolidation d¹un axe pragmatique dans la région.
"Notre conflit est devenu un trou noir au c¦ur du monde musulman. Seul
un accord politique, même partiel, et un équilibre judicieux entre les
considérations sécuritaires et les aspirations plus générales peuvent sauver
les Palestiniens du Hamas, et nous d¹une guerre de religions." A
partir de conversations avec Amir Peretz, et de certaines choses qu¹il a
dites à Mahmoud Abbas et à Hosni Moubarak, entre autres, nous pouvons en
déduire qu¹il considère qu¹il préfère la coordination sécuritaire
aux bombardements, et des négociations en vue d¹un règlement définitif à un
retrait unilatéral. Tout cela, il est vrai, avant qu¹il soit entré dans le magasin
de jouets.
(1) "méthode de la porte-tambour" : pendant la période
de collaboration entre services de sécurité israéliens et palestiniens, les Israéliens
ont souvent accusé les Palestiniens d¹arrêter les hommes recherchés
par Israël pour les libérer immédiatement après.