Haaretz, 20 mars 2006
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Si Israël veut se désengager unilatéralement de
territoires de Cisjordanie, il lui faut prendre en considération
que cela pourrait revenir aussi à se désengager de la communauté
internationale
Il
n’est pas nécessaire d’attendre la présentation au Parlement
du gouvernement Kadima pour proclamer la victoire de la « voie »
d’Ariel Sharon. La présentation attendue du gouvernement Hamas
devant le parlement palestinien est l’expression la plus pure de
la voie sur laquelle s’est engagé le ‘révéré
Maître’ de Kadima : celle de l’unilatéralité. L’opération
de Jéricho, tout comme les engins de chantier dans la zone occupée
E-1 [entre Jérusalem et Ma’aleh Adoumim - NdT] ou encore la déclaration
que la colonie d’Ariel faisait partie de l’Etat d’Israël,
nous garantissent que le disciple Ehoud Olmert surpassera encore son
maître. Il montre au peuple d’Israël et au monde entier qu’il
n’y a que deux voies possibles : un statu quo violent selon
la formule de la droite ou un désengagement/rassemblement selon la
formule de Kadima. Fin des accords de Madrid, d’Oslo et de Genève.
Dorénavant, Jérusalem décide seul de sa route et qu’on ne
vienne pas nous casser la tête avec des feuilles de route !
D’après
les sondages, le public israélien qui a acheté à longueur d’années
et avec frénésie cette fiction d’une « occupation
éclairée », se jette maintenant sur la nouvelle
marchandise. Des hommes sérieux, des femmes sensées croient dans
la nouvelle start-up israélienne :
un arrangement dans lequel le camp A fixe les conditions, sans le
camp B. La victoire du Hamas témoigne de ce que l’opinion
publique palestinienne a bien reçu le message. La grande majorité
des Palestiniens, qui soutient encore la solution à deux états, a
compris qu’Israël n’était pas intéressé par le Fatah, le
parti qui représente la bilatéralité, comme partenaire de négociations.
Le Président Mahmoud Abbas (Abou Mazen) s’accroche encore, mais
il a laissé entendre qu’il commençait à en avoir assez de jouer
le rôle du « camp B non pertinent ».
Mais
si le camp B n’est pas nécessaire, qui a besoin d’un camp C ?
Quand Israël fait comme chez lui à Gaza, montre son mépris pour
les arrangements pris avec la Secrétaire d’Etat américaine, quoi
d’étonnant à ce que James Wolfensohn, l’émissaire du Quartet
pour la question du désengagement, fasse ses valises ? Il a
compris que le bien-être des Palestiniens préoccupait Israël
autant que neiges d’antan, a fortiori leur liberté. Il y a quatre
mois, il déclarait à « Haaretz » qu’il lui semblait
parfois que les deux camps se figuraient que leur conflit était la
chose la plus importante sur terre, et cela alors que le monde est
occupé par de graves problèmes de pauvreté, d’épidémies et
d’immigration. « L’idée
que vous et les Palestiniens pourrez à longueur de temps maintenir
votre conflit au centre, est extrêmement dangereuse »,
mettait en garde ce Juif de 72 ans qui n’a pas manqué une
occasion de raconter que son père avait servi dans la Brigade
juive.
Alors
que le Président Bush cherche le moyen de crier victoire et de se
retirer d’Irak, on peut difficilement supposer qu’il s’entêtera
à remettre dans notre bourbier la moitié du pied qu’il en avait
ôté. L’Université de Harvard a, ces jours-ci, accueilli une
recherche qui exprime crûment la lassitude à l’égard d’Israël.
Les deux professeurs, auteurs de la recherche en question, affirment
qu’Israël est un fardeau sur les épaules des Etats-Unis et que
la politique pro-israélienne, que le lobby juif et ses amis de la
droite chrétienne imposent à l’administration américaine, ruine
clairement les intérêts stratégiques de la grande puissance –
ainsi que les intérêts d’Israël.
Les
partenaires des Etats-Unis au sein du Quartet, l’Union Européenne,
l’ONU et la Russie, montrent eux aussi des signes de fatigue. Si
Israël préfère s’arranger seul avec le Hamas, pourquoi les
Européens maintiendraient-ils des inspecteurs à Rafah ? Après
que des soldats israéliens ont fait se déshabiller des
Palestiniens dans la prison de Jéricho, il serait dommage de mettre
en danger les geôliers américains et britanniques. Les membres de
la force spéciale multinationale en ont eux aussi assez de servir
de punching ball aux colons d’Hébron d’un côté et à des
voyous palestiniens de l’autre.
Si
Israël veut se désengager unilatéralement de territoires
cisjordaniens, il lui faut prendre en considération que cela
pourrait revenir aussi à se désengager de la communauté
internationale. Le jour n’est pas loin où le monde nous dira :
« Vous voulez faire de
la Bande de Gaza un Etat des Frères musulmans ? On vous
souhaite bien du plaisir ! Vous voulez affamer les enfants
palestiniens ? Vous paierez le prix de la catastrophe
humanitaire. Vous avez décidé de vous désengager unilatéralement
de territoires en Cisjordanie également ? Ne venez pas chez
nous quand Al Quaïda ouvrira une succursale à Ramallah. En un mot :
on en a marre de vous. »
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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