L'association IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire)
a pris connaissance d'un projet de décret créant une « Commission
nationale de déontologie des services de communication au
public en ligne » [1]. Les missions et prérogatives de
cette commission rappellent étrangement les dispositions
principales du texte de l'article 15 de la loi de réglementation
des télécommunications, telle qu'adoptée par le Parlement le
18 juin 1996 [2]. Introduites à l'époque sous le nom d'« amendement
Fillon », ces mesures furent censurées par le Conseil
constitutionnel le 23 juillet 1996 [3].
IRIS dénonce cette nouvelle tentative d'atteinte aux libertés
fondamentales, en particulier à l'exercice de la liberté
d'expression publique en ligne. Que la censure administrative
soit confiée au Conseil supérieur de la télématique en 1996
ou à une Commission nationale de déontologie des services de
communication au public en ligne en 2007, ou que le gouvernement
procède aujourd'hui par décret plutôt que par la loi, ne
change au fond pas grand-chose. Il s'agit toujours de réglementer
et contraindre l'expression publique utilisant les réseaux électroniques,
au mépris des libertés fondamentales, en échappant chaque
fois un peu plus aux règles de la démocratie et de l'État de
droit.
Dans ce projet de décret, la Commission est chargée de
formuler des « recommandations tendant à assurer le
respect des principes de déontologie ». Ces
recommandations s'appliqueront de manière directe aux
professionnels des services de communication (opérateurs de
communications fixes ou mobiles, fournisseurs d'accès et d'hébergement,
éditeurs et distributeurs de services). Mais elles
s'appliqueront aussi, de manière indirecte, aux utilisateurs de
ces services, via les clauses contractuelles d'abonnement. La
contrainte s'exercera sur les professionnels au moyen d'un système
de « label de qualité », que la Commission aura le
pouvoir de délivrer mais surtout de retirer, lorsqu'elle
estimera que ses « recommandations déontologiques »
ne sont pas respectées. Cette contrainte vient compléter celle
déjà introduite par la loi pour la confiance dans l'économie
numérique [4]. Le procédé est encore plus insidieux puisqu'au
risque judiciaire encouru par l'intermédiaire technique
viendrait s'ajouter à présent le risque commercial. Si ce décret
devait être adopté, la censure par ces intermédiaires
techniques de l'expression publique de leurs abonnés
deviendrait d'autant plus facile qu'elle serait prévue par des
conditions contractuelles dictées par une Commission dite de
« déontologie ».
Ce projet de décret est l'aboutissement de deux propositions :
l'une de création d'un « certificat citoyen », émise
dans le rapport Breton du 25 février 2005 [5] et l'autre de création
d'un « label famille », contenue dans le rapport
Thoraval présenté en septembre 2005 à l'occasion de la Conférence
de la famille [6]. Ces propositions ont été détaillées par
une recommandation du Forum des droits sur l'Internet du 4 avril
2006 [7]. Le projet de décret met en oeuvre les mesures ainsi détaillées.
Le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions de
l'amendement Fillon, « considérant qu'aux termes de
l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles
concernant les droits civiques et les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ;
qu'il appartient au législateur d'assurer la sauvegarde des
droits et des libertés constitutionnellement garantis ;
que s'il peut déléguer la mise en oeuvre de cette sauvegarde
au pouvoir réglementaire, il doit toutefois déterminer lui-même
la nature des garanties nécessaires ; que, s'agissant de
la liberté de communication, il lui revient de concilier, en l'état
actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de cette
liberté telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen, avec, d'une part, les
contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication
concernés et, d'autre part, les objectifs de valeur
constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le
respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère
pluraliste des courants d'expression socioculturels ».
IRIS considère que ces arguments demeurent valides, et
pourront, si nécessaire, être soutenus devant la juridiction
compétente.
Pour plus de détails, voir :
[1] Projet de décret créant la Commission nationale de déontologie
des services de communication au public en ligne.
http://odebi.org/docs/Projetdecretcommissiondeontologie.pdf
[2] Sénat. Séance du 18 juin 1996 (texte de l'amendement
Fillon).
http://www.senat.fr/seances/s199606/s19960618/sc19960618027.html
[3] Conseil constitutionnel. Décision n°96-378 DC du 23
juillet 1996.
http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1996/96378dc.htm
[4] IRIS. Dossier sur la loi pour la confiance dans l'économie
numérique.
http://www.iris.sgdg.org/actions/len
[5] Thierry Breton. « Chantier sur la lutte contre la
cybercriminalité ». Rapport au ministre de l'Intérieur.
25 février 2005.
http://www.telecom.gouv.fr/fonds_documentaire/rapports/cybercriminalite.pdf
[6] Joël Thoraval et al. « Protection de l'enfant et
usages de l'Internet ». Rapport au ministre de la famille.
Septembre 2005.
http://www.famille.gouv.fr/doss_pr/conf_famille2005/rapport_protection.pdf
[7] Forum des droits sur l'Internet. Recommandation « Création
d'une marque de confiance des fournisseurs d'accès à
l'Internet et de services en ligne ». 4 avril 2006.
https://www.echosdunet.net/dossiers/forum-droits-sur-internet