Lettre au Premier
ministre
Vous avez tué le « grand débat », vive
le vrai débat !
EÉLV

Mercredi 30 janvier 2019
Monsieur le Premier ministre,
Le mouvement des gilets jaunes a
contraint le chef de l’État à initier un
« grand débat ».
Cette concession
avait vocation à recueillir fidèlement
la parole des Françaises et des Français
qui sont aux prises avec un modèle dit
« de développement » dont les
conséquences sont la prédation sur les
ressources naturelles et la destruction
de notre environnement, la vie chère, la
fragilisation du modèle de protection
sociale et des solidarités, l’explosion
des inégalités, le délitement de notre
démocratie.
A la place de voir
les gilets jaunes comme une chance pour
remettre en question les injustices que
de nombreuses et nombreux citoyen·ne·s
subissent, vous les avez d’emblée perçus
comme une menace.
La grande erreur de
votre gouvernement est de ne pas prendre
au sérieux ce mouvement qui n’est pas
seulement l’expression d’un ras le bol
fiscal, mais la traduction d’une crise
de subsistance, au sens propre. La crise
de civilisation à laquelle l’humanité
est confrontée et les détresses qu’elle
entraine devrait être considérée avec
lucidité si votre volonté d’apporter des
solutions véritables est sincère.
Hélas, aucun signe
ne le laisse penser.
Pour que ce « grand
débat » puisse être utile, trois
conditions étaient indispensables:
–
D’abord l’apaisement. La brutalisation
des débats dans la société est un
symptôme qu’il faut regarder en face et
auquel il faut apporter des réponses. La
captation du grand débat par la parole
présidentielle et gouvernementale
constitue une violence symbolique vis à
vis de celles et ceux qui expriment avec
force leur volonté d’être écouté·e·s et
d’être vu·e·s.
A cette violence
symbolique s’ajoute une violence bien
réelle : celle d’armes dîtes
« semi-létales » (LBD, grenades de
désencerclement) dont l’usage répété et
disproportionné ajoute au climat de
brutalisation et de violence. Il faut le
redire : ces armes n’ont rien à faire
dans l’arsenal nécessaire au maintien de
la paix civile dans une démocratie. Elle
doivent être interdites. Pour l’heure,
leur usage doit être suspendu. Les
écologistes condamnent depuis toujours
et sans réserve la violence, d’où
qu’elle vienne, comme mode d’action
politique. C’est au nom de ce principe
qu’il appartient à l’État d’être
exemplaire en prenant l’initiative de la
désescalade des violences.
–
La seconde condition qui a été
« habilement » contournée par votre
Gouvernement, était la garantie que ce
débat soit mené par une institution
indépendante afin de permettre une prise
en compte fidèle et sincère de
l’expression des Françaises et des
Français. La mise à l’écart de la
Commission national du débat public qui
dispose de cette indépendance, des
compétences et de l’expérience pour
mener cette mission constitue un coup de
force de la part du chef de l’État et de
votre Gouvernement.
C’est ainsi que ce
grand débat a été finalement « cadré »
par le président de la République dans
sa lettre aux français. Plus grave, dans
cette lettre, le Président a indiqué que
c’est lui qui assurerait le rendu des
travaux. En clair, le Président pose les
questions, y répond, et fait le
compte-rendu. Pourtant, dans ce grand
débat, le rôle du chef de l’État n’était
pas qu’il parle, mais qu’il écoute.
– Enfin,
pour que ce « grand débat » ait du sens,
il aurait fallu que le chef de l’tat et
votre Gouvernement soient sincèrement
ouverts à changer de cap politique en
fonction de l’expression des Françaises
et des Français. Là encore, les
déclarations successives des
représentant·e·s de la majorité montrent
qu’il n’en est rien. Plus grave encore,
les questions posées sur le site mis à
disposition des citoyen·ne·s pour
participer au débat escamotent le champs
des réponses possibles. Sur la question
des dépenses publiques, par exemple, les
choix proposés en matière d’économies
sont la défense, la sécurité,
l’environnement, l’éducation… mais pas
les niches fiscales. Elles constituent
pourtant le premier budget de l’État.
Ces trois
conditions indispensables ont été
foulées au pied ou contournées. Nous ne
participerons donc pas au comité de
suivi d’une initiative qui passe à côté
des objectifs démocratiques affichés.
Mais nous mènerons
malgré tout ce débat, un vrai débat,
auprès de celles et ceux qui le
souhaitent vraiment: les Françaises et
des Français.
Nous contribuerons
donc de bon cœur et avec sincérité à cet
élan et cette attente de discussions, de
démocratie, de changements, mais pas
dans le cadre limité que vous avez
souhaité imposer.
Je me permet
d’ajouter, Monsieur le Premier ministre,
qu’en tournant le dos aux aspirations
démocratiques légitimes d’une partie
importante de nos compatriotes, vous
contribuez à fissurer encore d’avantage
la confiance déjà fragile qui subsiste
entre les représentant·e·s politiques et
leurs mandant·e·s. Au fond, cette cécité
et cet entêtement constituent sans doute
votre faute la plus grave car ses
conséquences, si elles adviennent, sont
sans retour.
David Cormand
Secrétaire national d’Europe Écologie –
Les Verts
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