Palestine
Chant de leur propre épouvante
Smaïl Hadj Ali
Samedi 7 mars 2015
Pour la Palestine
-Il y a un Etat, et il est différent de
tous les autres. Il est juif, et pour
cela il est plus humain que n’importe
quel autre. Elie Wiesel, Kansas City,
1970.
-L’armée israélienne est la plus morale
du monde. Bernard-Henri Lévy. 2010.
« Nous sommes les
oiseaux de la mort
Venus sur vos cités
Femmes pour vos
enfants
Vouées à trembler »
Avec nos
yeux
Ceux de nos machines
Eveillés
émerveillés
Nous vous avons
ciblé
Pour tuer détruire
C’est vrai y a
rien à y redire
Mais
nous avons
Une autre raison
Essayer de la
découvrir
Devinez ? Vous ne
trouvez pas ?
C’est
assez
simple croyez-moi
Allez je
vous mets
au parfum
C’est pour que
vous ayez
En chœur
et encore
La peur au corps
La
peur
encorps
Chaque jour et
toujours
C’est pour vous
apprendre
Et réapprendre la
terreur
Chaque heure
Chaque jour
Dans vos corps
Dans vos cœurs
Nous,
Nous connaissons
admirablement
Le chemin étroit
Qui conduit à l’abîme
En dormant en priant
En riant en tuant
En même temps
Nous le
trouvons
Au bon moment
Suivez-nous
Regardez-nous
Nous sommes
monde
libre
« Civilisation » « tolérance »
« Sagesse »
« conscience »
Nos passages
Des fumées noires
Les font voir
Adeptes « de
la pureté des armes »[1]
Missionnaires
du feu qui
tue
Des bombes et des
flammes
Et du phosphore blanc
Ce « nouveau napalm »
Apôtres du meurtre
ciblé
Notre combat est légitimé
C’est
pour cela
Que nos amis nous livrent
Sans bourse déliée
Et sans discontinuer
Des armes sans compter
Et des
« chants d'amour »
Ils font la différence
Comme le Président de France
Récemment en conscience
Au nom des
Français
Il s’est exclamé[2]
« C’est une inoubliable soirée »
Puis il s’est adressé
A notre boss amusé
« Je
ne sais pas chanter
Mais j’aurais
toujours trouvé
Un chant d’amour
pour Israël
Et pour ses
dirigeants
Entre nous maintenant
On ne pourra voir
Que la vie en
rose »
C’est que voyez-vous
Notre pays en impose
De telles paroles
Sont compréhension
Absolution compassion
Elles nous
encouragent
À vénérer le néant
Ecoutez à cet effet
Ce que racontait
Un des nôtres
Il est aussi des
vôtres
Il fut chef
d’état-major
À toi Dan[3]
Merci Ariel
Pilote de
chasseur-bombardier
Je sais aussi larguer
Des bombes au
phosphore
Du crépuscule à
l’aurore
J’ai été aussi
Chef d’escadrille
D’avions Phantom
C’est eux qui
chargèrent
Des bombes nucléaires
Sur ordre de Golda
Meir
Pour se
préparer
À
toute
éventualité
On ne sait jamais
C’était en 1973
ll y en avait 13
On aurait pu tout
foutre en l’air
Mais après-nous le
déluge
Mais qu’y suis-je ?
Dans la vie
psychanalyste
Petit fils de gazés
d’Auschwitz
J’ai effacé
totalement
Le regard
des miens
Et ne sais plus
Ce que
ma
grand-mère fut
Elle n’a pas de
tombe
Quand je largue une
bombe
Je ressens dans mon
F16
« Une très légère secousse [4]»
Sensuelle
infiniment
douce
Une seconde après
elle a disparu
Je jouis alors en
trombe
C’est ce que je
ressens
Quand je largue une
bombe
Sur les Arabes
Voluptas necandi
Mais passons
Où plutôt revenons
A nos moutons
Notre combat est
intemporel
C’est une guerre
perpétuelle
Du crépuscule
à l’aurore
D’un commun accord
Aux
Palestiniens tout le temps
Aux Libanais de temps
en temps
Nous distribuons
La fin et la terreur
Guidées par des
« désignateurs lasers »
Nos bombes de
haute
précision
Comme
chalumeaux
Transforment
ces
multitudes en charbon
Les engins
étatsuniens
Entre nos mains
Tuent de jour de nuit
Et parfois même
Sans
faire de
bruit
Un tir précis
Sur un immeuble
Un lot
d’habitations
Une école une
maison
Une ambulance
Un service
d’urgence
Grâce à nos bombes
standards
Ne nous coûte pas
plus d’un dollar
Il n’y a pas de
petits profits
Dernièrement on
a détruit
Chez les ghazaouis
Seize mille maisons
Grâce à nos
images
satellites
Tels des « cancrelats[5] »
ou des « criquets[6] »
Comme à Rafah
où
Jabaliyé
À
Marhawine
et
Shadjaiyé
Nous les voyons
grouiller
Pour enterrer leurs
macchabées
Dans des fosses
fraîchement creusées
Et parfois dans des
caisses
De mauvais bois
A deux
à quatre
A la fois
Et plus parfois
Maintenant
Dans ces décharges
Charniers sauvages
Ces cadavres en vrac
A Gaza
comme en
Iraq
Sont
mis en sacs
Poubelles pêle-mêle
Nous avons pu
d’ailleurs
Avec les tout
derniers viseurs
Nos
fameuses
« Têtes hautes »
Voir qu’ils n’en
n’ont plus
Pour
leurs
débris
Leurs organes
déchiquetés
En
monceaux dispersés
Et ce qui
subsiste
encore
De leurs dépouilles
putréfiées
Par les chiens
errants
Sont
dévorées
De ces cadavres
abondants
Ils
n’en
peuvent plus
Ces pauvres canidés
Ils en ont la nausée
De là-haut
Malgré la nuit noire
On peut les voir
Vomir dégueuler
Le trop plein
De leur festin
Pour l’essentiel
C’est des
cadavres de
terroristes
Certes il y a des
vieux des gamins
Des malades de toutes
sortes
De folie et
d’Alzheimer
Des
grands-pères
Et des grands-mères
Et des
mongoliens
Mais c’est du
collatéral
On n’y
peut rien
Bon
j’en ai
trop dit
Je vais céder la
parole
A
Peretz[7]
ce cher
Amir
Il est si l’on peut
dire
Car il n’est pas du
métier
N’y voyez pas une
offense
Le nouveau
patron de
la Défense
Mais
il s’est
vite adapté
Amir Peretz :
« Merci Dan c’est
sympa
De partager la parole
avec moi
Chef des soldats élus
Cela me fait drôle
De tenir un tel rôle
C’est vrai je
viens du
syndicat
Avec ses meetings et
son blabla
Je ne suis pas un pur
militaire
Certes j’ai déjà fait
cette guerre
Mais en devenir le
chef
C’est une autre
affaire
A vrai dire et à tout
faire
C’est quand même tout
bénef
En somme et fort
heureusement
Nous sommes
polyvalents
Et n’avons point
besoin
De nous recycler
Pour prendre notre
part
À la défense de la
liberté
Et comme Malraux
disait
BHL
me l’a
soufflé
C’est parce qu’on
fait cette guerre
Sans vraiment l’aimer
Qu’on finit toujours
par la gagner
« Notre armée est
pure
Elle ne tue pas
d’enfants »
« Nous avons une conscience
Et des valeurs
en veux-tu
En voilà
Grâce à notre morale
Il y a très peu de
victimes »
De plus
notre
Tsahal
Est tellement
« sympathique »
Ouverte
démocratique
Ni guindée, ni
martiale
Ni sûre d’elle-même
Plus décontractée
Qu’elle tu meurs
Diriger une telle
armée
Est un
bonheur une
destinée
Elle a « la
parole libre »
La plus libre du
monde
C’est vrai nous la
critiquons
Mais une fois
la besogne
terminée
Et seulement dans le
but d’améliorer
Nos méthodes notre
efficacité
Mais
c’est aussi
On ne le dira jamais
assez
Pour éviter
De trop tuer
Cette armée est
« Joyeuse
bousculade »
Belle cavalcade
Pareils à ces jeunes
« républicains espagnols »
Que Malraux a célébré
et décrit
C’est encore
Bernard-Henri
Qui me l’a dit
Il le cite souvent
dans ses écrits
Et dans ses
nombreuses sorties
Nos troupes sont
formées
De
merveilleux
soldats-savants »
Le nez collé sur
leurs viseurs
Les yeux sur les
écrans
Ils calculent la
vitesse de déplacement
De toutes les
cibles
possibles
Et le degré de
proximité
De civils et
d’enfants
Pour pratiquer
« l’évitement »[8]
Car Tsahal
est
virginale
Et dans cette guerre
totale
Elle ne tue pas les
innocents
Oui
Il y a eu ces quatre
enfants
Sur une plage de
Ghaza
On dit qu’ils
jouaient au football
Ça reste à
vérifier
Si c’est vrai c’est
marginal
Ah ! Il faut dire
Que ces petits arabes
Sont
tout à fait
intenables
Mais
nous allons
enquêter
Le plus
« consciencieusement
Sur cet incident »
C’est très
naturellement
On ne leur demandait
pas tant
Que les médias et
les
journaux
BFM
I-Télé le
Figaro
Ont repris cette
morale
décision
En boucle dans
leurs
infos
Avec nos propres mots
Rien de plus normal
Puisque nous
partageons
Les mêmes valeurs et
idéaux,
C’est
grâce
à tout
ça
Je le redis
Encore une fois
Qu’il y a si peu
De « victimes[9]
Chez eux »
Quelques milliers au
plus
On dit que ce sont
des civils
Mais comment les
distinguer
Qu’il y a aussi
des
enfants
Mais nos
soldats-savants
Sont aussi de grands
enfants
Ils ne peuvent
à chaque
instant
Appliquer
correctement
Notre principe d’ « évitement »
Et puis la technique
n’est jamais sûr
A cent pour cent
Ah oui j’allais
oublier
De vous parler
De toutes nos
précautions
Comme par exemple
Nos
« tirs
d’avertissement »
Ce sont des missiles
Largués par nos
avions
Sur leurs immeubles
Et leurs maisons
Vous voyez
tout est
fait
Pour ne pas trop tuer
Nous venons même de
créer
Une
« banque de
cibles »
Car nous ne sommes
pas infaillibles
Nous avons aussi
établi
Une
« carte de la
souffrance »
Ça
améliore
nos performances
Ça limite les « bavures »
et la
« malchance »
Mais les Arabes
Ça
bouge tout
le temps
Comme l’a bien
martelé
Un
de nos
comiques troupiers[10]
A la télé des
Français
Les Arabes doivent
mieux contrôler
Leurs impossibles
nichées
Ils doivent les tenir
en laisse
Ce cher
Anthony
Burgess
Bien avant notre
comique
Il y a quelques deux
décennies
L’avait
dit
redit :
« Ces gens
sont comme
les chiens
Ils ne comprennent
que le bâton »
Menahem en
avait dit autant
Avec
raison
il y a si longtemps
Ce sont
« des bêtes
Qui marchent sur
deux pieds »
« Des criquets qui
devraient être écrasés »
A ce propos je ne
résiste pas à l’envie
De citer quelques
bons mots
De nos chefs et
généraux
Ça peut
paraître
exagéré
Mais je vous assure
Je n’ai rien inventé
En voici quelques
extraits
« Les palestiniens
Sont des criquets
…
Ils seront écrasés
Et leurs têtes
éclatées
Contre
les murs et
les rochers »[11]
« Comme des
cafards drogués[12]
Dans une
bouteille
« Les arabes
« tournent
en rond
« Ils sont comme
des crocodiles
Plus vous leur
donnez de viande
Plus ils en
veulent »[13]
« Ce sont des
cancrelats
dans un bocal »
Bon, j’arrête là ce festival
On m’apprend que nous
venons de pulvériser
Une zone du Mal
C’est leur quartier
général
Pardon
on me dit
que c’est
un hôpital
Le devoir m’appelle
Je vais aux nouvelles
Les plus fraîches
Je vous vois
plus tard,
Probablement ce soir
Je viendrais
parler
À vos journaux
télévisés
De notre combat
civilisé
Voix de quatre
enfants palestiniens assassinés par une
bombe alors qu’il jouait au foot.
Venez voir le sang
dans nos rues
Venez voir le sang
dans nos rues
Le sang dans nos rues
Dans nos rues
Le sang
Nos rues
Venez voir
Venez voir
Nous vivons dans des
mouroirs
Ils nous tuent à bout
portant
À tout bout de champs
À Ghaza sur la plage
Hier nous jouions
Au ballon
Nous
quatre
Zakaria
Ahed
Mohamed
Ismaël
Deux
missiles
d’Israël
Nous ont
pulvérisés
Par le travers en
mille
Et trahi notre belle
insouciance
Mais
soyez sans
crainte
Le cœur de la
Terre bat
À
Jenin
à
Ghaza
À Deir Yassine
à Ramallah
À Khan Younes et
à Qana
« Le cœur de la
Terre bat
Il saigne, mais il
bat»
Nous continuerons à
jouer au ballon
Sur nos plages notre
sable
Nous grandirons
garçons et
filles
Et de nos mains
surgira un fusil
D’où jailliront les
balles
Qui trouveront
l’endroit
du cœur
De ces assassins
chacals
Que le chacal
repousserait
Charognardes hyènes
Que l’hyène fuirait
Pierres que la pierre
En crachant mordrait
Venins de vipères
Que les vipères
vomiraient
Mais soyez sans
crainte
Nous cultivons
l’amour la vie
Pour notre humble
patrie
Et la certitude du
yasmine
Pour notre
Falestine
Smaïl Hadj Ali
Texte réouvert en 2006 …
[1]
Bernard –Henry Lévy, dixit.
[2]
Le Président F. Hollande lors
d’un voyage d’Etat en Israël en
novembre 2013.
[3]
Propos de Dan Halutz,
ancien chef d’état-major
de l’armée israélienne.
[4]
Propos de Dan Halutz.
[5]
Le personnel militaro-politique
israélien qualifie ainsi les
Palestiniens.
[7]
Il fut ministre de la défense,
anciennement chef du syndicat
Histadrout, et responsable du
Parti travailliste, membre de
l’International socialiste.
[8]
Extrait d’un texte de Bernard
Henry Lévy
[9]
« Tsahal »
, film de Claude Lanzmann
[10]
Michel Boudjenah, chez Drucker ,
dans Vivement dimanche.
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