Bulletin n°374 bis
Merci Maestro !
COMAGUER
Photo M-A Patrizio, 0910, Paris
Sorbonne, Séminaire MARX21-Jean Salem.
Reproduction avec mention de l’auteur.
Lundi 2 juillet 2018
À la mémoire de notre
camarade Domenico Losurdo,
en gratitude, pour sa disponibilité et
son enseignement
MERCI MAESTRO !
Marseille, 1er juillet 2018
La rédaction de ce bulletin,
qu’aucun événement ponctuel particulier
ne rendait nécessaire à cette date a été
achevée alors que notre ami et camarade
le philosophe Domenico Losurdo vivait
ses dernières heures.
Sans suivre au jour le jour son
immense activité théorique et militante
nous étions toujours dans l’attente de
la parution d’un nouvel ouvrage que nous
aurions lu dés sa sortie en attendant
une traduction française pour le faire
connaitre aux lecteurs français en
interviewant le maitre dans une émission
de COMAGUER sur RADIO GALERE.
Sa parfaite maitrise du français
parlé, sa clarté, sa pugnacité
intellectuelle rendait la tâche de
l’intervieweur facile. La pensée de
Losurdo se déployait dans toute sa
plénitude à la moindre question. A
l’écouter on pouvait à l’instar d’un
journaliste sportif commentant les
derniers mètres d’un 100 m victorieux d’Usain
Bolt, tant la victoire semblait facile,
souriante et décrispée, dire : « il
déroulait ».
La République Populaire de Chine
occupait une place importante dans la
pensée et les œuvres de Domenico Losurdo.
Il considérait la révolution chinoise
comme un événement historique aussi
important que la révolution bolchévique,
idée développée dans "Fuir l’Histoire
?». Il suivait de prés l’actualité
chinoise et avait à plusieurs reprises
répondu à des invitations d’universités
chinoises pour y donner des conférences.
Il avait souligné que l’objectif
de Mao et du PCC d’assurer
l’indépendance alimentaire complète du
pays était un objectif prioritaire de la
révolution chinoise et la condition
première de son développement
historique. Mao disait que si la Chine
restait dépendante des gros exportateurs
internationaux de céréales, Etats-Unis
au premier chef, elle demeurerait une
semi-colonie comme elle l’avait été au
19° siècle. En 1949 la Chine nourrissait
500 millions d’habitants qui, pour une
part d’entre eux, avaient souvent connu
des périodes de famine ; aujourd’hui
premier producteur mondial de blé et de
riz, elle nourrit seule 1300 millions de
personnes soit 800 millions de plus
qu’en 1949 sur le même territoire
cultivable.
Dans son analyse de la lutte des
classes internationale Domenico Losurdo
considérait que la Chine Populaire
contemporaine continuait à prendre toute
sa place dans la lutte de classe
internationale pour émanciper l’humanité
de la férule impérialiste.
Le stade suprême atteint au début
du 20° siècle est en voie de dépassement
quand la direction politique de la
première ou seconde économie mondiale
(selon les modes de calcul du PIB) n’est
pas dirigée par les impérialistes
occidentaux aux mains de leurs
multinationales mais par le plus grand
parti communiste du monde : 80 millions
d’adhérents, une avant-garde très active
et où se poursuit aussi, contre
l’arrivisme, l’opportunisme et la
corruption, la lutte des classes dans
une économie aujourd’hui déjà bien
développée et dans un société d’un
niveau de formation élevé.
Domenico Losurdo était toujours là
pour accompagner, stimuler et donner de
l’ampleur à toute réflexion sur la Chine
contemporaine.
Ce bulletin rédigé les jours
précédents son décès lui doit beaucoup.
Car la géographie est aussi une
métaphore politique et elle a toute son
importance pour la pensée chinoise. Que
l’on songe que pour les Chinois il n’y a
pas 4 points cardinaux mais 5 : les 4
que nous connaissons et LE CENTRE
autrement dit le MILIEU de l’Empire du
Milieu. La division du monde entre
l’Occident et l’Orient entre l’Est et
l’Ouest de Kipling « qui jamais ne se
rencontreront» est une vision à la
Mercator de l’impérialisme déclinant. La
terre est ronde il n’y a pas UN OUEST ni
UN EST.
La ROUTE c’est la Contradiction
principale : la marche vers le
socialisme et la fin de l’impérialisme ;
la CEINTURE c’est l’ensemble des
contradictions secondaires : le
cheminement complexe en suivant des
côtes plus ou moins hospitalières, en
franchissant des détroits, en traversant
des mers dangereuses, en trouvant sur la
parcours des havres portuaires sûrs, ce
sont toutes les péripéties d’une très
longue traversée.
MERCI MAESTRO !
Sun Tzu, pseudonyme d’inspiration
chinoise de l’auteur de ce bulletin
***
一带一路
LA CEINTURE ET LA ROUTE
Ou le dépassement de la
contradiction géopolitique classique
***
Le lancement en 2013 par le
président de la république populaire
chinoise de l’initiative de « LA
CEINTURE ET LA ROUTE» est une avancée
capitale en matière de géopolitique et à
en juger par l’ampleur de ses
développements ne constitue rien moins
qu’une politique
planétaire d’aménagement du territoire.
A plusieurs titres :
Elle recentre la géopolitique
mondiale sur ce que les géopoliticiens
nomment depuis la fin du 19° siècle
l’ILE MONDE (World Island) espace
regroupant, selon la terminologie
établie par le géographe britannique Mac
Kinder, l’Asie, l’Europe et
l’Afrique soit un espace couvrant
environ les 2/3 des terres
émergées (antarctique exclu) où vit
plus de 80% de la population mondiale.
Elle re-situe le continent
américain (nord et sud) à la
périphérie (Mac Kinder le nomme
précisément les ILES PERIPHERIQUES). Du
point de vue de l’histoire, si aucune
découverte paléontologique majeure ne
vient remettre en cause l’actuelle
théorie de la propagation de l’espèce
humaine sur la terre, ces iles
périphériques le sont doublement
puisqu’elles sont les dernières à avoir
été peuplées.
Elle réduit l’impérialisme
étasunien qui s’est fait le porteur de
la théorie géopolitique de l’amiral
MAHAN à une puissance militaire qui
s’impose à la marge de l’ILE MONDE par
sa présence navale massive sur tous les
océans et par environ un millier de
bases militaires à l’étranger.
Elle dépasse cet état présent du
monde en proposant l’intégration
maritime des trois continents par « LA
CEINTURE », et leur intégration
terrestre par « LA ROUTE » lointain écho
de la Route de la Soie. Ce qui donne à
l’ensemble une grande versatilité : tout
point de l’ILE MONDE peut être atteint
par des moyens de transport modernes et
rapides soit par voie maritime soit par
voie terrestre, tout blocus peut
donc être contourné.
En ajoutant, ce qui est en cours,
la construction de barreaux nord-sud, il
devient possible en divers points de
passer de la ceinture à la route ou de
la route à la ceinture. La trame
initiale « est-ouest » devient ainsi un
réseau.
Cet immense projet est directement
le fruit de l’expérience historique
chinoise.
1-La Chine impériale humiliée au
19°siècle et au début du 20° a compris
qu’elle avait été attaquée par la mer
alors que les précédentes invasions
(mongole et mandchoue) étaient venues de
la terre. Elle a donc choisi de
s’affirmer sur la mer. Les signes sont
patents : puissance de la construction
navale qui se traduit par la puissance
croissante des compagnies maritimes
chinoises, création d’une flotte bientôt
dotée de 2 porte-avions et d’une forte
flotte de sous-marins. La République
Populaire Chinoise peut aujourd’hui
commercer dans et avec le monde entier
et peut assurer elle-même la sécurité de
ses échanges massifs tant de matières
premières que de produits manufacturés.
2- En lançant au début des années
80 la politique des Zones économiques
spéciales côtières elle a pris le risque
calculé d’ouvrir ses ports au commerce
international et au grand capitalisme
industriel occidental et a de ce fait
assuré l’essor économique et le progrès
technologique –un véritable bond en
avant- des zones côtières d’un bout à
l’autre du pays.
3- Une fois cette opération
réussie elle a entamé son rééquilibrage
économique territorial vers l’Ouest et
l’intérieur pour éviter le creusement
des inégalités entre les provinces
côtières et les provinces de
l’intérieur. Ainsi des villes (grandes
ou très grandes) comme Chongqing,
Chengdu, Lanzhou, Kunming et Urumqi,
toutes distantes de milliers de
kilomètres des ports côtiers chinois,
sont devenues des pôles de développement
industriel maintenant reliés à
l’intérieur du cœur de l’Eurasie par la
ROUTE. Celle-ci constitue la réplique
plus au Sud du Transsibérien qui a été
pendant un siècle la seule voie
transcontinentale, et qui après avoir eu
un rôle décisif dans la lutte contre les
puissances de l’Axe (1) conserve son
importance stratégique pour les échanges
croissants entre la Russie et la Chine.
La ROUTE assure ainsi une ouverture
internationale à toutes ses provinces
occidentales : elle les désenclave, les
ouvre aux échanges avec les républiques
d’Asie Centrale, aux membres de
l’Organisation de coopération de
Shanghai qui vient d’accueillir en son
sein l’Inde et le Pakistan, et renforce
ses liens avec l’Iran et la Turquie ,et
les pays de l’Europe orientale et
centrale.
Complétée par de nouvelles voies
ferrées modernes, comme Mombasa-Nairobi,
Djibouti-Addis Abeba, la CEINTURE
raccorde directement l’économie chinoise
à l’économie africaine et demain un
chemin fer trans-sahélien allant de
Nouakchott à Ndjamena et passant par
Bamako, Ouagadougou et Niamey étendra le
dispositif à l’Ouest africain.
Face à cette avancée historique,
l’impérialisme étasunien n’a qu’une
stratégie d’arrière-garde : freiner,
désorganiser, renverser des
gouvernements, fabriquer des guerres
civiles, trafiquer des armes, de la
drogue. Il se retrouve géopolitiquement
isolé, calé entre deux océans qui le
séparent plus qu’ils ne le rapprochent
du cœur du monde qui est aujourd’hui
dans l’ILE-MONDE, et ayant même des
difficultés à maintenir sa domination
sur « son » continent (doctrine Monroe).
Il faut toute la cécité grandiloquente
des principaux dirigeants de l’Union
Européenne pour ne pas l’avoir compris.
Quand l’URSS est confrontée à
l’alliance hostile du pacte Anti
Kominterm (1936), elle sait que seul le
transsibérien va lui permettre, dés
l’instant où l’accord Molotov-Ribbentrop
lui laissera les mains libres à l’Ouest,
de transporter le matériel et les hommes
qui vont lui permettre d’infliger au
Japon impérial une défaite majeure à la
bataille de Kalkhin Gol
(aout-septembre1939). L’armée soviétique
reprendra le même chemin le 8 Aout 45
–trois mois exactement après la
capitulation, du Reich selon
l’engagement de Staline à Postdam- le
temps nécessaire pour faire parvenir en
Mandchourie et dans les Kouriles une
énorme armée qui achèvera toute
résistance militaire japonaise sur le
terrain.
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