Palestine
Dans le noir
Yossi Gurvitz
Jeudi 5 avril 2018
Qu'a fait l’agent
du renseignement militaire Aviad Gross à
Ahed Tamimi dans la salle
d'interrogatoire ?
de
Yossi Gurvitz traduit de l’hébreu à
l’anglais par
Sol Salbe de l’anglais au français
par
Louise via
Rima Najjar
Le 26 décembre
2017, à 19h45, le troisième
interrogatoire d'Ahed Tamimi a commencé
[ sur sa détention et le contexte en
détail voir
ici (en hébreux) ]. En dehors de
Tamimi, il y avait deux hommes dans la
salle d'interrogatoire : le sergent de
police Haim Toledano et un homme qui
s'est présenté lui-même comme un
officier du renseignement militaire et
se nomma lui-même Aviad Gross. Selon le
Daily Beast, dont les journalistes
ont regardé la vidéo de l'enquête, Gross
apparemment serait un Juif Mizrahim, âgé
de 20 à 30 ans, vêtu d'une chemise
grise, d'un jean bleu, un pistolet sur
les hanches. Dans la lettre de la
plainte déposée plus tard par l'avocate
Gaby Lasky, d’où les citations
ultérieures dans ce texte seront
reprises, il est noté sommairement dans
"la transcription de cet avis selon ma
cliente rapporté dans les dossiers de
police, que Gross soit un enquêteur qui
parle arabe. En même temps, Gross se
trompe constamment dans son utilisation
de la langue arabe, et même s'adresse à
Tamimi au masculin tout au long de
l'interrogatoire.”
L'interrogatoire a
eu lieu une fois Tamimi menottée sur une
chaise. Sauf dans des cas
exceptionnellement inhabituels, les
décisions de justice en Israël
interdisent l'entrave à la personne
pendant un interrogatoire, et ceci
également et davantage dans le cas où
s'il s'agit de mineurs. Mais Tamimi, si
elle vit sous la règle israélienne
absolue, vit pourtant sous un système de
lois militaires. Les deux interrogateurs
sont des hommes et aucune femme n'est
présente ni un jeune enquêteur.
Gross dit à
Toledano d'éteindre l'ordinateur, afin
qu'il puisse parler à Tamimi "hors
rapport". Immédiatement après, il dit à
Tamimi qu'elle a un “visage d'ange”,
avec ses yeux bleus et ses cheveux
blonds. Environ une demi-heure plus
tard, Gross compare Tamimi à sa petite
sœur et lui demande si sa peau devient
rouge quand elle va à la plage. Que
Gross sache que sa question soit
rhétorique est peu douteux, car Tamimi
ne peut pas aller à la plage. Les
Palestiniens n'ont aucune liberté de
mouvement. A 37 minutes dans
l’interrogatoire, Gross lui dit qu'il
était venu pour enquêter sur elle parce
qu' “il l'avait vue avant et se
demandait pourquoi un ange comme elle
faisait ce qu'elle faisait”. A ce point,
le protocole ne précise rien de ce qui
aurait été dit par Tamimi.
À la 27e minute de
l’interrogatoire, Gross s'approche de
Tamimi “au point qu’il semble même y
avoir un point de contact entre leurs
jambes”. Il maintient extraordinairement
sa promiscuité avec ma cliente. En même
temps, il se penche sur elle créant
entre eux une proximité insupportable. A
la 55e minute, Gross met sa tête entre
le visage de Tamimi et l'ordinateur
portable qui se trouve devant elle, pour
créer une situation dans laquelle la
tête [de Gross] rejoint la poitrine [de
Tamimi] ".
A 40 minutes de
l’interrogatoire, Gross appelle Tamimi "Habibti"
(ma chérie). Après environ une heure un
quart d'interrogatoire, Gross commence à
signaler à Tamimi les noms de ses
proches, et menace de les arrêter. Selon
le
Daily Beast, à ce moment
l'expression de Tamimi traduit
l'horreur. Elle sait ce que signifie
l'arrestation de ses proches : beaucoup
d'entre eux ont déjà été arrêtés. Sa
mère elle-même est actuellement en
détention. Comme le souligne Lasky dans
sa lettre, menacer d’arrêter des parents
constitue une violation de la loi et une
violation de l'article 31 de la
quatrième Convention de Genève. Mais,
malheureusement, c'est une routine dans
les interrogatoires des mineurs
palestiniens menés par Israël.
Revenons aux
insinuations sexuelles et à la manière
dont Gross, si c'est son nom, s'assied
quasiment sur Tamimi, on regarde sa tête
qui touche presque la poitrine de ma
cliente. Formellement parlant, Gross
commet ici une infraction de harcèlement
sexuel, et Lasky a en effet demandé
qu'il soit enquêté sur cette question.
Mais dans ce cas il y a autre chose :
Tamimi et Gross ne sont pas deux
personnes au hasard dans la rue. Là,
nous avons une mineure en situation de
contention et un homme adulte penché sur
elle qui lui fait des remarques
sexuelles, devant l'autre homme qui se
tient à côté.
Tout simplement,
Gross suggère à Tamimi qu'elle pourrait
être violée. Il n'en produit pas
explicitement la menace mais beaucoup
d'indices suffisamment évident. Ces
indices sont parfaitement compris par la
jeune fille. Ils ne sont pas une
coïncidence : une semaine avant
l'interrogatoire, Ben Caspit, un des
commentateurs israéliens populaires,
avait publié un article dans Ma'ariv, où
il écrivait: “Dans le cas des filles [Tamimi
et sa cousine], le prix doit être payé à
un moment différent ; dans l'obscurité,
sans témoin et sans caméra.” Beaucoup de
gens, tels les soussignés,
interprétèrent ce texte comme la
suggestion du viol : les commentaires
dans les réseaux sociaux israéliens
furent plein d'appels au viol de Tamimi.
Caspit, consciemment ou pas, canalisa
les souhaits de ses lecteurs légitimés
par une sublimation, et après avoir
découvert qu'il y avait des réclamations
dans le monde pour le traduire en
justice, il retira de son article cette
assertion dans la version numérique du
journal sur internet.
Je ne sais pas si
Gross a lu Caspit avant d'entrer dans la
salle d'interrogatoire, ou s’il serait
trop sujet aux talkbacks, ou si l'idée
vint de lui-même, surgie de son esprit
déviant, concernant une menace implicite
de viol ; mais c'est ce qui arriva quand
l’officier du renseignement militaire
(tel lui) se retrouva dans l'obscurité
avec une détenue palestinienne.
Tamimi, notent-ils
dans le Daily Beast, n'a pas été
torturée. Cette situation est différente
de celle des autres mineurs palestiniens
qui signalent régulièrement des actes de
violence à leur encontre pendant leur
détention. Hélas pour eux, ils ne sont
pas identifiés dans le monde entier.
Tamimi est très connue, c'est
probablement la raison pour laquelle
elle a été épargnée de la violence
habituelle. Sans doute pas assez connue
pour éviter les allusions au viol, comme
il s'est avéré. C'est le niveau des
personnes employées par les forces de
défense israéliennes, et c'est le mieux
qu'il soit possible d'en attendre dans
le cas où tous les projecteurs du monde
sont tournés vers elles : des menaces en
fait de viol, mais -- selon la
recommandation de Caspit -- dans le
noir.
Il y a quelques
semaines, Tamimi a signé un accord pour
plaider coupable grâce auquel elle
purgerait encore quatre mois de prison
et n'aurait pas à rester en détention
avant la fin de la procédure, ce sur
quoi l'accusation insista. Il semble que
nous ignorions quel rôle a joué
l'interrogatoire mené par l'agent du
renseignement militaire autoproclamé
Aviad Gross dans la décision de Tamimi
de signer des aveux pour plaider
coupable. Surtout, cette enquête jette
une autre ombre au tableau concernant
l'insistance du système de la justice
militaire à mener le procès dans le noir
-- pardon, à huis clos -- a fortiori
quand il affirme que la décision soit
dans l'intérêt de Tamimi. La dernière
chose que l'armée la plus morale
voudrait à ses propres yeux serait un
contre-interrogatoire de Gross.
L'avocate Lasky a
déposé sa plainte le 18 janvier. Le
procureur général a transmis la plainte
au service d'enquête interne de la
police qui, à son tour, a déclaré ne pas
avoir le pouvoir d'interroger Gross,
puisqu'il n'était pas policier. Les
autorités chargées de l'application de
la loi se passent maintenant la plainte
de main en main et, à la connaissance de
Lasky, aucune enquête n'a été ouverte.
Alors, peut-être que la dénonciation
publique d'Aviad Gross, prétendument
officier du renseignement, va accélérer
les procédures ; donc je serais heureux
que vous partagiez ce post.
L’article original
en hébreu dans “Hahem, Les amis de
George [Orwell]” de Yossi Curvitz, le 2
avril 2018 :
http://www.hahem.co.il/friendsofgeorge/?p=5224
Traduit en anglais pour “Middle-East
News Service”, Melbourne, Australie, par
Sol Salbe, le 3 avril 2018 :
https://www.facebook.com/notes/sol-salbe/in-the-dark/10155466194776662/
“Veuillez noter qu'en raison des
changements de fuseaux horaires Yossi
Gurvitz n'a pu faire cette traduction.”
Traduit de
l’anglais en français le 3 avril 2018 :
https://www.facebook.com/notes/louise-desrenards/dans-le-noir/10156034556985659/
Voir également
l’article dans
Telesurtv et dans
Mondoweiss.
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successives.
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