Opinion
La République au
milieu du village
Xavier Alberti
© Xavier
Alberti
Vendredi 5 août 2016
« Nous sommes en
guerre ! » Répétée 1000 fois depuis
l’attaque du 13 novembre, cette sentence
conditionne désormais la totalité de la
réponse d’Etat aux attaques terroristes
perpétrées sur notre sol. Pourtant, nous
voyons bien que loin de la logique
militaire qui nous pousse à bombarder
l’Etat Islamique en Syrie, en Irak et en
Libye, le profil des assaillants et les
techniques qu’ils utilisent pour nous
frapper en France, échappent totalement
à nos codes traditionnels de lecture et
d’analyse.
Si ceci était une
guerre au sens traditionnel du terme, il
suffirait de désigner l’ennemi, former
nos bataillons et les affronter jusqu’à
la victoire. C’est d’ailleurs ce que
nous faisons au Moyen-Orient et ce, en
pure perte, d’abord parce que pendant
que nous affaiblissons L’Etat Islamique,
nous laissons prospérer Al-Nosra, et
ensuite parce que nous continuons à
nourrir la fabrique islamiste gavée aux
petro-dollars.
Par ailleurs,
croire que nous pourrons gagner la
guerre contre le terrorisme en déversant
des milliers de tonnes de bombes sur le
Moyen Orient c’est oublier un peu vite
que c’est sous 30 ans de déluge de feu
en Afghanistan puis en Irak que le
salafisme djihadiste désormais
international est né.
Ce réflexe
bombardier quasi pavlovien est la
manifestation d’une doctrine
internationale qui doit plus à OSS 117
qu’à Clausewitz et qui prouve la
médiocrité de notre vision du monde et
de la diplomatie qu’elle induit.
Nos aventures
irakiennes, afghanes, libyennes et
maintenant syriennes sont autant de
fiasco qui nous renvoient à une
dimension utilitaire et énergétique de
la diplomatie et que nous payons
finalement un prix exorbitant quand il
s’agit de compter les cadavres qui
jonchent désormais le sol de nos rues et
non plus seulement celles de Bagdad ou
Kaboul.
A force de
tergiversations commerciales, à force
d’accommoder des intérêts
contradictoires, à force de vouloir
marier tous les antagonismes, à force
d’avoir tourné le dos à la Méditerranée
pour embrasser les monarchies du golfe
persique, nous avons perdu les repères
qui avaient fondé la paix civile sur
notre territoire et une doctrine
diplomatique qui nous permettait
d’incarner une voie/voix singulière dans
le concert des nations. Tant que se
succèderont au Quai d’Orsay comme à
l’Elysée des représentants de commerce
plus soucieux du prochain contrat
d’armement que des équilibres
géopolitiques des zones où servent nos
armes, nous continuerons à subir les
effets boomerang de nos visions
d’experts comptables.
Nous ne combattons
ni un Etat, ni une armée, nous sommes
face à une idéologie basée sur
l’interprétation paranoïaque d’un texte
subitement transformé en manifeste
politique, comme cela a d’ailleurs déjà
été le cas dans l’Histoire des religions
à livre. Cette doctrine attire en
priorité les jeunes musulmans, qu’ils
pratiquent ou pas, et qui cherchent un
sens à une existence qui n’en a plus
aucun, voyant dans le martyre une forme
ultime d’héroïsme qui fonderait leur
salut éternel.
Les dernières
attaques de Nice et de
Saint-Etienne-du-Rouvray démontrent
qu’il n’y a pas d’armée structurée, pas
de division lourdement équipée,
seulement des neo-terroristes, peu
organisés, peu armés, qui se préparent
dans l’ombre de leur esprit macabre.
Perdu devant cet ennemi qui ne dit pas
son nom, notre classe politique, au pied
du mur en ruines qu’elle a patiemment
détruit depuis plus de 30 ans, s’agite
et s’excite, cherchant fébrilement la
solution dans des réformes
constitutionnelles inutiles, des lois
d’exception indignes ou un état qui n’a
d’urgence que celle de sa propre
faillite.
Pourtant, loin des
grandes manœuvres liberticides ou des
plans tout sécuritaires, Les solutions
existent et elles se trouvent exactement
au cœur du modèle que nous avons fondé
sur deux siècles de République avant de
le brader au mercantilisme et au
capitalisme le plus offrant, oubliant ce
qui fonde l’essentiel d’une vie et
finalement d’une nation en commençant
par les racines que personne ne peut
piétiner, d’où qu’on vienne, l’autorité
parentale qui forme le socle du contrat
social, l’instruction républicaine et
les valeurs centrales de cohésion
qu’elle insuffle, l’espoir de vivre
mieux demain qu’aujourd’hui, le respect
de la justice et enfin la crainte de la
sanction.
Inutile d’aller
chercher dans d’autres régimes
politiques la voie droite sur laquelle
nous pourrions mettre tout le monde au
pas retrouvé d’un pays soudainement
ligoté par sa propre peur, inutile de
continuer à hurler à la guerre, inutile
de nous enfermer dans le carcan d’un
régime subitement pétrifié par la
recherche de la sécurité, la solution
est là où elle a toujours été, au cœur
de la République mise au centre du
village, en commençant par ramener
toutes les religions à leur place, dans
la sphère privée et nulle part ailleurs.
Il est à ce titre important de souligner
que si l’Islam va devoir reculer pour
trouver la bonne distance dans un pays
farouchement attaché aux attributs de sa
liberté, il faudra que chacune des
autres religions accepte de faire le
même trajet, car même si elle puise ses
racines dans la chrétienté, la France
n’est pas Chrétienne, elle est laïque.
Pour que la
République retrouve la force dont elle a
besoin, il faut la remettre sur ses
pieds, en commençant par redonner aux
policiers et aux gendarmes les moyens de
faire respecter la loi sans d’ailleurs
avoir besoin d’en créer de nouvelles,
donnons aux juges les moyens de dire le
droit, donnons à l’administration
pénitentiaire tous les moyens de faire
appliquer les sentences, toutes les
sentences, et en particulier les
premières, et surtout, surtout, donnons
à l’instituteur public les moyens
d’enseigner ce qui fonde la République
laïque, démocratique et sociale, c’est à
dire la langue et la discipline qu’elle
exige.
Si une guerre est à
gagner, c’est celle qui nous oppose à
notre propre incapacité d’incarner de
nouveau le modèle que nous avons créé,
en respectant ce qui en fait la colonne
vertébrale, « le gouvernement du peuple,
par le peuple et pour le peuple. » Si
nous ne sommes pas capables de nous
ranger derrière la République
protectrice de chacun en lui rendant nos
devoirs, alors les communautés finiront
de se dresser les unes contre les autres
et nous aurons vraiment la guerre dont
nous ne cessons de parler.
Publié le 11 août 2016
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