Focus
L’incroyable plan de « paix » US
pour la Syrie
Thierry Meyssan
Ancien
commandant des Forces de l’Otan en
Afghanistan, le général John R. Allen
complota avec le général David Petraeus
pour saboter le plan de paix en Syrie
lors de la conférence de Genève 1. Le
président Barack Obama le fit placer
sous surveillance et parvint à empêcher
sa nomination à la tête de l’Otan.
Cependant, il réussit à se maintenir en
fonctions malgré les charges retenues
contre lui (tandis que Petraeus fut
contraint de démissionner de la
direction de la CIA). Devenu commandant
de la Coalition militaire anti-Daesh, il
soutient les manigances que le général
Petraeus dirige depuis le Kohlberg
Kravis Roberts Global Institute. Il est
administrateur du Center for a New
American Security (CNAS), le think tank
des « faucons libéraux ».
Lundi 29 décembre 2014
Le peuple syrien a gagné deux
guerres successives en quatre ans.
Pourtant, il ne parvient pas à connaître
la paix. Non seulement à Washington, les
« faucons libéraux » font tout ce qui
est en leur pouvoir pour faire durer la
crise, mais ils ont imaginé un plan pour
préparer une troisième guerre. Thierry
Meyssan révèle ici la manière dont ils
entendent utiliser à leur profit la
conférence de paix, prévue à Moscou fin
janvier 2015.
Lorsqu’en 2001, le
président George W. Bush décida de
placer la Syrie dans sa liste de cibles
à détruire, il poursuivait trois
objectifs :
briser
« l’Axe de la Résistance » et favoriser
l’expansion israélienne ;
faire
main basse sur les gigantesques réserves
de gaz ;
remodeler
le « Moyen-Orient élargi ».
Les projets de guerre échouèrent en
2005 et en 2006, pour finalement prendre
la forme du « printemps arabe », en
2011 : une guerre de 4ème génération
devait porter les Frères musulmans au
pouvoir. Cependant, à l’issue d’une
année de manipulations médiatiques, le
peuple syrien sortit de sa torpeur et
soutint son armée. La France se retira
du jeu après la libération de Baba Amr,
tandis que les États-Unis et la Russie
se partageaient la région à la
conférence de Genève 1 (juin 2012).
Mais, à la surprise générale, Israël
parvint à renverser la table de
négociations en s’appuyant sur le
nouveau président français, François
Hollande, la secrétaire d’État US
Hillary Clinton et le directeur de la
CIA David Petraeus. Une seconde guerre,
de type nicaraguayen cette fois
(c’est-à-dire alimentée par la venue
continuelle de nouveaux mercenaires)
ensanglanta à nouveau la région. Quoi
qu’il en soit, cette seconde guerre a
également échoué sans pour autant
déboucher sur une paix durable. Au
contraire, John Kerry modifia deux jours
avant le format de la conférence de
Genève 2 et tenta de la transformer en
une tribune pro-Saoudienne. Dans ce
désordre survint la troisième guerre,
celle de Daesh : soudain un groupuscule
de quelques centaines de jihadistes se
transforma en une vaste armée de plus de
200 000 hommes, bien équipés, et se
lança à l’assaut de la partie sunnite de
l’Irak et du désert syrien.
Il y a plusieurs mois, j’expliquais
que le projet de Daesh correspond à la
nouvelle carte US du partage du
Moyen-Orient, publiée par Robin Wright
dans le New York Times, en 2013 [1].
Dans le prolongement des accords
Sykes-Picot, l’état-major états-unien
envisageait de réduire encore
drastiquement la Syrie. Aussi, lorsque
les USA —après avoir attendu que Daesh
termine en Irak le nettoyage ethnique
pour lequel ils l’avaient créé—
commencèrent à bombarder les jihadistes,
la question se posait de savoir si les
zones libérées de Daesh seraient ou non
restituées à Bagdad et à Damas.
Alors que les États-Unis ont refusé
de coordonner leur action militaire
contre Daesh avec la Syrie, et que la
Russie prépare une conférence de paix,
les « faucons libéraux » de Washington
ont fixé de nouveaux objectifs.
Puisque le peuple syrien n’a pas cru
à la « révolution » mise en scène par
al-Jazeera et consorts, puis qu’il a
refusé de soutenir les Contras contre la
République, il n’est pas possible de
« changer le régime » à court terme.
Force est de constater que la nouvelle
constitution, bien qu’imparfaite, est à
la fois républicaine et démocratique ;
et que le président Bachar el-Assad a
été réélu par 63 % du corps électoral
(88 % des suffrages exprimés !). Aussi,
les États-Unis doivent-ils adapter leur
discours à la réalité.
Le plan de « paix » des « faucons
libéraux » consiste donc à parvenir aux
objectifs initiaux en divisant la Syrie
en deux : une zone gouvernée par Damas
et une autre par les « rebelles
modérés » (comprendre : par le
Pentagone). À la République : la
capitale et la côte méditerranéenne ; au
Pentagone : le désert syrien et ses
réserves de gaz (c’est-à-dire la zone
libérée des incursions de Daesh par les
bombardiers du général John Allen).
Selon leurs propres documents, les
« faucons libéraux » ne laisseraient que
30 % de leur territoire au Peuple
syrien !
La carte
du remodelage selon Robin Wright
Le principe est simple :
actuellement, la République contrôle
toutes les grandes villes, sauf
Rakka et une petite partie d’Alep,
mais personne ne peut prétendre
contrôler un vaste désert, ni le
gouvernement, ni les jihadistes.
Donc le Pentagone pose que ce qui
n’est pas clairement gouverné par
Damas revient de droit à ses
mercenaires !
Ce n’est pas tout. Puisque les
Syriens ont élu Bachar el-Assad, il
sera autorisé à rester au pouvoir,
mais pas ses conseillers privés. En
effet, chacun sait que l’État syrien
a réussi à résister à l’agression
étrangère parce qu’il comprend une
partie secrète, difficile à
identifier et donc à éliminer. Cette
opacité avait été voulue par le
fondateur de la Syrie moderne, le
président Hafez el-Assad, pour
résister face à Israël. La réforme
constitutionnelle de 2012 ne l’a pas
fait disparaître, mais en a rendu le
président élu responsable devant la
Nation. Même si l’on peut déplorer
que, par le passé, certaines
personnes aient abusé à leur profit
de l’opacité de ce système, s’en
séparer aujourd’hui reviendrait à
renoncer à terme à l’indépendance du
pays.
Bien sûr, dira-t-on, les
« faucons libéraux » ne peuvent
espérer réaliser ce plan dans son
ensemble. Mais n’en réaliser que le
centième serait rendre inévitable
une nouvelle guerre.
C’est pourquoi, la Syrie doit
poser comme condition préalable à
toute nouvelle conférence de paix
qu’il ne sera pas discuté de
l’intégrité territoriale du pays.
[1]
“Imagining
a Remapped Middle East”, Robin
Wright, The New York Times Sunday
Review, 28 septembre 2013.
Source
Al-Watan (Syrie)
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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