« Sous nos yeux »
Élection démocratique en Syrie
Thierry Meyssan
Le député
communiste d’Alep, Maher Hajjar, s’est
porté candidat.
Lundi 28 avril 2014
Tandis que les États membres de l’Otan
et du Conseil de coopération du Golfe
(CCG) persistent à présenter la Syrie
comme une dictature, le pays poursuit
ses réformes. Le 3 juin, il procédera à
l’élection de son président de la
République, bien que la guerre continue
à ravager une partie de son territoire.
Damas fait tout ce qui est possible pour
que ce scrutin soit démocratique et
irréprochable, tandis que ses agresseurs
ont donné instructions à leurs médias
d’en limiter au maximum la couverture et
aux jihadistes de le perturber.
L'adoption par le
Conseil du Peuple syrien d’un
nouveau code électoral a rendu
hystériques les puissances de l’Otan
et du CCG.
Avant même qu’il ne soit voté,
Lakhdar Brahimi présentait sa
version de l’échec des négociations
de Genève 2 devant l’Assemblée
générale de l’Onu, le 14 mars. Il
termina son discours en déclarant :
« J’ai les plus sérieux doutes
sur le fait que l’élection
présidentielle et un autre mandat de
7 ans pour le président Bachar el-Assad
mettront un terme aux souffrances
intolérables du peuple syrien,
stopperont la destruction du pays,
et rétabliront l’harmonie et la
confiance mutuelle dans la région » [1].
Quelle mouche avait donc piqué le
représentant spécial de Ban Ki-moon
et de Nabil al-Araby ? D’une part,
il considérait comme acquise
l’élection de Bachar el-Assad alors
que celui-ci n’avait pas encore pris
de décision sur son éventuelle
candidature, d’autre part en quoi
l’élection présidentielle
allait-elle déterminer l’issue de la
guerre ?
C’est que pour Lakdhar Brahimi,
comme pour ses mandataires, la seule
chose importante est de parvenir en
Syrie à une victoire de l’Otan et du
CCG. Cette position a été explicitée
par les 11 États restants des 70
initiaux composant les « Amis de
la Syrie », réunis le 3 avril à
Londres. Leur communiqué final est
centré sur la dénonciation du
scrutin comme une « parodie de
démocratie » visant à « poursuivre
la dictature » [2].
Mais en quoi un code électoral
calqué sur celui des grandes nations
européennes serait-il une « parodie » ?
Pour les États-Unis, la chose ne
mérite pas même d’être discutée.
Ainsi la porte-parole du département
d’État, Jen Psaki, a-t-elle déclaré,
le 21 avril, qu’il suffisait de
regarder l’histoire d’Hafez el-Assad
pour en déduire que son fils Bachar
était opposé à toute élection
libre [3].
Outre que Washington ne faisait pas
un tel grief au fondateur de la
Syrie moderne lorsqu’il soutint la
libération du Koweït, depuis quand
condamne-t-il un homme en fonction
du comportement attribué à son
père ?
La chose est entendue : les Amis
de la Syrie ont donné instruction à
leurs médias de couvrir a minima
cette élection, sinon de l’ignorer
complètement, et à leurs jihadistes
de la perturber.
Pour les « Amis de la Syrie », il
est impossible d’organiser des
élections crédibles « au milieu
d’un conflit, uniquement dans les
zones contrôlées par le régime, avec
des millions de Syriens privés de
leurs droits, déplacés de leurs
maisons ou dans des camps de
réfugiés » [4].
Mais alors pourquoi donc avoir salué
l’élection présidentielle en
Afghanistan (dont 40 % des citoyens
sont réfugiés à l’étranger) et
reconnaître à l’avance la validité
de celle à venir en Ukraine ?
Selon les États membres des « Amis
de la Syrie », sur 45 millions
d’Ukrainiens, 2 millions vivent en
Crimée « sous occupation
militaire de la Russie » et 2
autres millions dans la « République
du peuple de Donetsk »
auto-proclamée qui boycottera le
scrutin. À vrai dire, la seule
différence entre la situation
ukrainienne et celle de la Syrie,
c’est que les nouvelles autorités de
Kiev, issues du coup d’État, ont été
choisies par l’Otan tandis que
celles de Damas sont attaquées par
elle.
En réalité, l’administration el-Assad
a déjà organisé plusieurs élections
pluralistes, en 2012 et 2013 : les
municipales, le référendum sur la
nouvelle Constitution, et les
législatives. Les deux premières se
sont déroulées de manière très
satisfaisante, mais la troisième fut
plus problématique : d’une part
parce qu’il a été difficile de gérer
les populations déplacées dans le
pays et d’autre part parce que les
partis d’opposition n’avaient aucune
expérience et n’ont souvent pas
compris la nécessité de nouer des
alliances pour se faire élire.
Revenons à la remarque des « Amis
de la Syrie » sur l’impossibilité de
tenir des élections avec tant de
réfugiés. S’il y a énormément de
Syriens déplacés à l’intérieur du
pays, il serait intéressant de
savoir combien de Syriens ont fui la
guerre à l’étranger, même s’ils
auront tous la possibilité de voter
dans leurs consulats. Les Nations
Unies assurent que sur 22 millions
de ressortissants, ils seraient 3,2
millions répartis en Jordanie, au
Liban et en Turquie. Mais ces
chiffres sont invérifiables et
lorsqu’on se rend au Liban, on
constate que la plupart des
« réfugiés » n’en sont pas
vraiment : il y avait là-bas avant
la guerre 560 000 travailleurs
syriens immigrés. La loi leur
interdisait de faire venir leur
famille sans permis de travail.
Aujourd’hui, ils le peuvent en
contournant cette même loi et
procèdent donc au regroupement
familial sous couvert d’être des « réfugiés ».
En outre, ils touchent 300 dollars
par adulte et par mois de l’Onu et
souvent plus de fondations
charitables. Comme ils sont fiers,
ils continuent à travailler, mais au
noir, ce qui finit par représenter
un bon niveau de vie (au Liban, 300
dollars par mois, c’est le salaire
d’un instituteur). Sans parler des
Syriens qui, avec le soutien de leur
gouvernement, franchissent la
frontière chaque mois pour toucher
leurs allocations et reviennent
ensuite au pays. Il n’existe pas de
statistiques précises permettant de
dire qui sont ces « réfugiés » car
le Courant du Futur de Saad Hariri
s’y est opposé. Comme jadis avec les
réfugiés palestiniens, il comptait
sur un afflux de Syriens,
principalement sunnites, de manière
à modifier l’équilibre démographique
libanais en faveur de leur
communauté religieuse.
En Turquie, la situation est
encore plus caricaturale, puisque
les camps militaires d’Al-Qaïda sont
classés « camps de réfugiés » et
interdits d’accès à la presse.
Restent les conditions
d’éligibilité : la constitution [5]
et le code électoral précisent qu’il
faut être citoyen syrien de plus de
40 ans, ne pas cumuler de
nationalité étrangère, avoir un
casier judiciaire vierge, si l’on
est marié(e) l’être à un(e)
Syrien(ne), avoir le soutien de 35
parlementaires, résider dans le pays
depuis au moins 10 ans et être
musulman.
Ces deux dernières conditions
posent problème : la présence dans
le pays depuis 10 ans vise
clairement à empêcher des
candidatures d’exilés sponsorisés
par des États étrangers. De facto,
elle interdit la candidature des
membres de la Coalition nationale
—dont certains n’ont jamais vécus en
Syrie— installés dans de grands
hôtels à Istanbul, Paris et Doha
depuis trois ans.
La condition de religion est le
dernier reliquat d’un régime
religieux qui ait survécu au parti
Baas, y compris à la réforme de
2012. La fonction de président de la
République est la seule qui soit
soumise à cette discrimination, au
nom du Coran qui stipule que
les États à majorité musulmane ne
peuvent être gouvernés que par des
leaders musulmans [6].
Outre que c’est une absurdité —la
population étant majoritairement
musulmane, c’est à elle et non à la
Constitution d’interpréter ce
principe et de le respecter si elle
y tient—, c’est une atteinte grave à
la citoyenneté des non-musulmans.
Lors de la réforme constitutionnelle
de février 2012, alors que
l’opposition armée était
exclusivement islamiste et que
l’Otan et le CCG rémunéraient
largement les défections, le
président el-Assad n’avait pas osé
risquer un possible conflit avec le
clergé musulman sur ce sujet. Ce
chantier reste ouvert.
Quoi qu’il en soit, se présenter
est un acte politique fort,
extrêmement dangereux dans un pays
attaqué par l’Otan et le CCG. Le
code électoral a donc précisé la
responsabilité de l’État pour
garantir la sécurité des candidats
et le nombre de policiers qui seront
affectés pour les protéger.
Enfin, le nouveau code électoral
garantit les moyens des candidats.
Chacun disposera d’une somme
conséquente pour mener campagne et
aura un accès égal aux médias
nationaux. Le ministre de
l’Information a d’ailleurs donné des
instructions précises en ce sens. Ce
sera donc la première fois que les
Syriens pourront suivre les
campagnes de chaque candidat dans
les journaux, les radios et à la
télévision.
En définitive, si le nouveau code
électoral est mis en œuvre,
l’élection présidentielle sera
démocratique, quoi qu’imparfaite
puisque des électeurs ne pourront
pas y participer du fait de
l’occupation jihadiste de certains
territoires et que les chrétiens ne
pourront pas se présenter. Pourtant,
les membres de l’Otan et du CCG ne
le reconnaîtront pas tant que la
Syrie leur résistera.
Source
Al-Watan (Syrie)
[1]
“Briefing
on Syria by Lakhdar Brahimi to the UN
General Assembly”, by Lakhdar
Brahimi , Voltaire Network, 14 March
2014.
[2]
“11
Countries Joint Statement on Syria”,
Voltaire Network, 3 April 2014.
[3]
“Daily
Press Briefing” par Jen Psaki,
département d’État, 21 avril 2014.
[4]
Ibid.
[5]
« La
Constitution de la République arabe
syrienne 2012 », Réseau Voltaire, 26
février 2012.
[6]
Il ne faut pas comprendre ici le terme
de musulman comme indiquant que les
leaders doivent adhérer à la religion de
Mahomet, mais comme le fait qu’ils
partagent la même foi dans l’unicité de
Dieu. Ainsi le Coran fait du juif
Abraham, « le premier des musulmans »
(Sourate 12, verset 78).
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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