Réseau Voltaire
Pour Londres, la propagande est un art
Thierry Meyssan
Mardi 23 août 2016
Nul humain normal ne peut accepter de
voir souffrir des enfants, par
conséquent ils sont de bons sujets pour
la propagande de guerre. Thierry Meyssan
revient sur l’usage des enfants par la
Coalition internationale durant la
guerre contre la Syrie.
Comme dans toutes
guerres, celle contre la Syrie donne
lieu à une avalanche de propagande. Et
l’argument des enfants est toujours
porteur.
Ainsi, au début de la guerre, le
Qatar voulait démontrer que la
République, loin de servir l’intérêt
général, méprisait le Peuple. La
pétro-dictature a alors diffusé sur sa
chaîne de télévision Al-Jazeera la
légende des enfants de Deraa, torturés
par la police. Pour illustrer la cruauté
de son adversaire, le Qatar précisa
qu’on leur avait arraché les ongles.
Bien sûr, malgré leurs recherches, aucun
journaliste n’a trouvé de trace de ces
enfants. La BBC a bien diffusé
l’interview de deux d’entre eux, mais
ils avaient toujours leurs ongles.
Comme le mythe était invérifiable, le
Qatar a alors lancé une nouvelle
histoire : celle d’un enfant, d’Hamza
Ali Al-Khateeb (13 ans), qui aurait été
torturé et castré par la police du
« régime ». Cette fois, on disposait
d’une image probante. Chacun pouvait y
voir un corps sans sexe. Las !
L’autopsie démontrait que le corps avait
été mal conservé, qu’il avait fermenté
et gonflé. Le ventre cachait le sexe de
l’enfant, toujours là.
-
- Dans ce magazine, Sir
Arthur Conan Doyle imagine
l’arrestation d’un espion allemand
par Sherlock Holmes. L’écrivain
travaillait pour le Bureau de la
Propagande de guerre.
Fin 2013, les Britanniques ont pris
en charge la propagande de guerre. Ils
disposent d’une longue expérience en la
matière et sont considérés comme les
inventeurs de la propagande moderne,
lors de la Première Guerre mondiale avec
le Bureau de la Propagande de guerre.
Une des caractéristiques de leurs
méthodes est de toujours avoir recours à
des artistes car l’esthétique neutralise
l’esprit critique. En 1914, ils
recrutèrent les grands écrivains de
l’époque —comme Arthur Conan Doyle, HG
Wells ou Rudyard Kipling— pour publier
des textes attribuant des crimes
imaginaires à l’ennemi allemand. Puis,
ils recrutèrent les patrons de leurs
grands journaux pour reprendre les
informations imaginaires de leurs
écrivains.
Lorsque les États-uniens reprirent la
méthode britannique, en 1917 avec le
Comité d’information publique, ils
étudièrent plus précisément les
mécanismes de persuasion avec l’aide du
journaliste vedette Walter Lippmann et
de l’inventeur de la publicité moderne,
Edward Bernays (le neveu de Sigmund
Freud). Mais persuadés du pouvoir de la
science, ils en oublièrent l’esthétique.
Début 2014, le MI6 britannique a créé
la société Innovative Communications
& Strategies (InCoStrat)
[Communication et Stratégies Innovantes]
à laquelle on doit par exemple les
magnifiques logos des groupes armés, du
plus « modéré » au plus « extrémiste ».
Cette société, qui dispose de bureaux à
Washington et à Istanbul, a organisé la
campagne pour convaincre les Européens
de recueillir 1 million de réfugiés.
Elle a réalisé la photographie du jeune
Aylan Kurdi, noyé sur une plage turque,
et est parvenue en deux jours à la faire
reprendre en « une » des principaux
journaux atlantistes dans tous les pays
de l’Otan et du Conseil de coopération
du Golfe.
Chaque année, avant la guerre, une
centaine de personnes mourraient noyées
sur les plages turques, personne n’en
parlait. Et surtout, seuls les journaux
à scandales montraient des cadavres.
Mais cette photographie était si bien
composée…
Comme j’avais fait remarqué qu’un
corps ne peut pas être rejeté par la mer
perpendiculairement aux vagues, le
photographe expliqua après coup avoir
déplacé le cadavre pour les besoins de
la photo.
Celle du jeune Omran Daqneesh (5
ans), dans une ambulance à Alep-Est est
donc accompagnée d’une vidéo. Les deux
supports permettent de toucher à la fois
la presse écrite et les télévisions. La
scène est si dramatique qu’une
speakerine de CNN, Kate Bolduan, n’a pu
s’empêcher de pleurer en la voyant. Bien
sûr, lorsque l’on réfléchit, on observe
que l’enfant n’est pas pris en charge
par des secouristes qui lui administrent
les premiers soins, mais par des
figurants (les « White Helmets ») qui
l’assoient face à l’objectif.
Les metteurs en scène britanniques
n’ont que faire de l’enfant qui ne les
intéresse que pour réaliser leurs
images. Selon Associated Press, la
photographie a été prise par Mahmoud
Raslan, que l’on aperçoit d’ailleurs
dans la vidéo. Or, selon son compte
Facebook, cet homme est un membre d’Harakat
Nour al-Din al-Zenki (soutenu par la CIA
qui lui a fourni des missiles antichar
BGM-71 TOW). Toujours selon son compte
Facebook, confirmé par une autre vidéo,
c’est lui qui, le 19 juillet 2016,
égorgeait un jeune enfant palestinien,
Abdullah Tayseer al-Issa (12 ans) [1].
Les lois européennes encadrent
strictement le rôle des enfants dans la
publicité. Manifestement, elles ne
s’appliquent pas à la propagande de
guerre.
[1]
Note de l’auteur : Mahmoud Raslan n’a
pas tenu le couteau du bourreau, mais
avec Umar Salkho, il a condamné à mort
Abdullah Tayseer al-Issa et a organisé
son exécution publique.
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
Twitter officiel.
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