Vladimir Poutine
et François Hollande
Deux chefs d'État face à leurs
concitoyens
Thierry Meyssan
Lundi 18 avril 2016
Bien que la situation économique de la
Russie soit beaucoup plus difficile que
celle de la France, les téléspectateurs
russes ont plébiscité l’émission « Ligne
directe avec Vladimir Poutine », tandis
que les Français ont boudé « Dialogues
citoyens avec François Hollande ». Les
deux programmes ont eu des scores
d’audience comparables aux soutiens dont
disposent ces deux personnalités. Pour
Thierry Meyssan, contrairement à la
vulgate des conseillers en
communication, les téléspectateurs et
les électeurs ne sanctionnent pas les
mauvais indices économiques. Ils se
déterminent sur la capacité de leurs
leaders à présider le pays ou à
simplement l’administrer.
Le 14 avril 2016, les
présidents Vladimir Poutine et François
Hollande répondaient à la télévision,
chacun dans leur pays, aux questions de
leurs concitoyens [1].
Dans les deux cas, il s’agissait d’un
pur exercice de communication, aucune
nouveauté ne devant être annoncée.
Un format européen
En premier lieu, ce type de programme
se développe depuis quelques années sur
le continent européen, mais n’existe pas
dans d’autres pays, comme aux
États-Unis.
Si le président Barack Obama accepte
de répondre à des questions de
concitoyens lors de manifestations
publiques, cela reste une exception et
ne saurait être organisé à la télévision
une soirée durant. Pour montrer sa
proximité avec son peuple, il préfère
manger de la pizza en famille dans un
fast-food, entouré d’une myriade de
photographes. Une fois installé à la
Maison-Blanche, le président US ne doit
de compte à personne, ni au Congrès
(sauf pour des crimes justifiant sa
destitution), ni à ses électeurs. Au
contraire, en Europe, il existe une
longue tradition d’interpellation du
chef de l’État. Celui-ci ne doit pas
craindre le contact direct avec le
peuple. Ainsi est-il fréquent de voir un
leader européen prendre un bain de
foule, tandis que le président des
États-Unis ne se déplace qu’en voiture
blindée, encadré par de très nombreux
gardes du corps.
Deux mises en scènes
Vladimir Poutine avait choisi une
mise en scène grandiose : une vaste
salle avec un large public, une émission
de 3 h 30 (qui déborda même de 10
minutes). François Hollande avait opté,
quant à lui, pour un décor moins
solennel, un petit espace avec juste
quelques dizaines de citoyens dans le
public, et un format deux fois plus
court, d’1 h 30 seulement. Dans les deux
cas, il ne s’agissait pas de studios
permanents, mais de salles spécialement
aménagées pour l’émission, à la Cour des
hôtes de Moscou et au Musée de l’homme à
Paris.
Évidemment, les personnes habilitées
à prendre la parole avaient été
soigneusement sélectionnées. Au dernier
moment, deux citoyens invités à
s’exprimer sur France2 avaient
été remerciés sur instruction de
l’Élysée. Il semble qu’il s’agissait
d’éviter une forme de colère et
d’acharnement. En définitive, seuls
quatre citoyens ont été autorisés à
prendre la parole. La sélection par
Télévision russe et le Kremlin fut
plus simple, même si les intervenants
furent bien plus nombreux, dans la
mesure où les citoyens se succédaient
rapidement au micro et que leur
face-à-face avec leur président s’en
trouvait d’autant plus limité.
Le studio russe recevait des
téléspectateurs que l’on avait fait
venir de province sous prétexte
d’assister à un show, mais qui
ignoraient jusqu’au dernier moment
qu’ils participeraient à Ligne
directe avec Vladimir Poutine. Cette
procédure a considérablement allégé le
travail des services de sécurité. En
outre, la chaîne avait invité de
nombreuses figures connues des sciences
et de l’économie. Enfin, le président
russe avait invité ses ministres et
généraux à se joindre au public comme il
est d’usage lors d’une conférence de
presse officielle. Au total cela faisait
300 personnes. Au contraire, le public
français n’était composé que
d’anonymes ; François Hollande ayant
choisi d’apparaître comme un citoyen
ordinaire.
Dans les deux cas, il était possible
de poser des questions par SMS ou par
téléphone. En Russie, ce phénomène a
pris une ampleur démesurée avec plus de
22 000 appels vidéos, 50 000 SMS et plus
de 3 millions d’appels téléphoniques.
Deux présidents face
à de mauvais résultats économiques
Les deux présidents se présentaient à
leurs concitoyens avec un mauvais bilan
économique. La Russie subit une forte
récession (plus de 4 %), tandis que la
France poursuit sa lente
désindustrialisation et sa montée du
chômage. Le contexte international,
notamment le cours extrêmement bas du
pétrole, est malheureusement défavorable
à la Russie exportatrice, mais constitue
une aubaine pour l’agriculture et
l’industrie françaises importatrices.
Pourtant, le président Poutine était à
l’offensive lorsque son homologue
français était sur la défensive.
Cependant, les Russes sont conscients
que la récession est délibérément
provoquée par les sanctions
occidentales, tandis que les Français
observent les bons résultats économiques
de leurs partenaires de l’Union
européenne.
Deux manières
différentes de répondre aux questions
Le président Poutine a répondu aux
questions en précisant ses positions.
Lorsqu’un cas d’injustice lui était
soumis, il a pris l’engagement de s’en
occuper personnellement, ce qu’il a fait
dès le lendemain. Mais il n’a jamais
répondu en évoquant la création
d’allocations sociales ou leur montant ;
un sujet qu’il laisse à ses ministres.
Il concevait son rôle comme celui d’un
dirigeant qui expose les conséquences
des diverses options dont il dispose,
puis décide ce qui lui parait le mieux.
Au contraire, le président Hollande a
répondu aux questions en listant les
différentes mesures prises dans le même
secteur par son gouvernement. Il
s’agissait pour lui de montrer qu’il
travaille efficacement en évoquant
quantité de subventions et
d’allocations, crées ou modifiées. Mais
il n’a jamais répondu en évoquant des
choix stratégiques qu’il faudrait
trancher. Il concevait son rôle comme
celui d’un redistributeur, n’intervenant
pas dans la marche des événements, mais
corrigeant des inégalités qu’elle
produit.
Ce faisant, François Hollande a dés
lors abdiqué de sa fonction et s’est
abaissé au niveau d’un directeur
d’administration centrale. Il n’était
plus un leader, mais un
haut-fonctionnaire appliquant une
politique.
En matière intérieure, le président
Poutine a souligné l’importance des
différents partis comme contribuant à
défendre des point de vue en définitive
complémentaires et tous utiles au pays.
Il apparaissait donc comme faisant une
synthèse au-dessus des partis. Il n’a
jamais évoqué ses ambitions
personnelles.
En choisissant de débattre avec deux
citoyens qui ont été présentés comme des
opposants —un électeur du Front national
et un participant à Nuit debout—, le
président Hollande s’est jeté dans
l’arène partisane. Même s’il a essayé de
se placer en défenseur des institutions
républicaines plus qu’en candidat de la
gauche. Ce dispositif visait à le faire
entrer dans la prochaine campagne
électorale au cours de laquelle il
souhaite briguer sa propre succession.
Pourtant en sélectionnant un électeur du
FN qui disait voter pour cette formation
par colère, il semblait livrer une
ancienne bataille. En effet,
aujourd’hui, le vote Front national
n’est plus une expression contestataire,
mais traduit l’adhésion à un programme.
Pour manifester leur proximité, les
deux présidents ont eu des stratégies
fort différentes.
Vladimir Poutine a accordé la parole
à des enfants. L’un d’entre eux lui a
demandé s’il mangeait du porridge au
petit-déjeuner et si ses goûts avaient
varié avec le temps. Il a répondu avec
gentillesse, montrant qu’il restait à la
disposition de tous.
François Hollande a choisi de montrer
ses émotions, évoquant l’annonce qui lui
avait été faite quelques jours
auparavant de la mort de trois jeunes
soldats en mission. Là encore, il était
en décalage avec la fonction
présidentielle, un chef d’État n’ayant
pas à justifier une position prise pour
son pays par une émotion personnelle. On
ne comprenait pas son trouble : si ces
soldats s’étaient sacrifiés pour la
Nation, il aurait dû les célébrer avec
fierté comme des héros. Devait-on alors
comprendre qu’il les avait envoyés
mourir pour autre chose et qu’il s’en
sentait coupable ?
Une question
d’autorité
Au final, le message des deux hommes
était radicalement différent.
Vladimir Poutine faisait preuve de
disponibilité. Lorsqu’un citoyen lui
pose une question qu’il avait déjà
abordée, il demande aux journalistes de
le laisser continuer et il précise qu’il
n’est pas venu avec sa montre, prenant
le temps pour chacun.
François Hollande préparait sa
succession. Il venait, selon sa propre
expression, « rendre des comptes » aux
électeurs pour pouvoir les solliciter à
nouveau. Il ne se pensait pas en
président exposant les choix qui
s’offrent au pays, mais se trouvait
implicitement en position de quémandeur
cherchant à prouver sa bonne foi.
Environ 60 % des téléspectateurs
russes ont regardé, durant 3 h 40, le
marathon du président Poutine. Moins de
15 % des téléspectateurs français se
sont intéressés 1 h 30 à la campagne
électorale de François Hollande. Ces
chiffres correspondent globalement au
soutien dont les deux hommes disposent
dans leur pays ; un soutien sans rapport
avec la situation économique, mais
uniquement fondé sur leur autorité
naturelle, leur manière de concevoir
leur fonction.
[1]
« Прямая
линия с Владимиром Путиным »
(version anglaise
ici) ; « "Dialogues
citoyens" avec François Hollande »,
Réseau Voltaire, 14 avril 2016.
Thierry
Meyssan
Consultant politique,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la
conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage
en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
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