Réseau Voltaire
Syrie : La Russie et la Victoire
Thierry Meyssan
Jeudi 17 mars 2016
L’annonce du retrait partiel de l’armée
russe en Syrie a soulevé de très
nombreux commentaires qui illustrent les
partis pris des uns et des autres plus
que la réalité. Non seulement, observe
Thierry Meyssan, les faits attestent que
les désaccords entre Moscou et Damas ont
été résolus, mais la Russie —qui est
parvenue à faire basculer l’Occident
dans le camp anti-terroriste— entend
laisser les Syriens libérer eux-mêmes
leur territoire.
L’annonce par le
président russe du « retrait du
regroupement principal de son
contingent » [1]
a provoqué une nouvelle campagne de
désinformation. Selon la presse
occidentale et du Golfe, Vladimir
Poutine serait « irrité » par
l’intransigeance du président Bachar
el-Assad et aurait décidé de quitter
la Syrie pour le placer en face ses
responsabilités. Les mêmes
commentateurs ajoutent que n’ayant
plus d’allié, ce dernier devra faire
des concessions à Genève et accepter
d’abandonner son pays. Moscou aurait
fait un beau cadeau à Washington
pour les cinq ans de la guerre
« civile ».
Or, tout ceci est absurde.
1- L’intervention militaire russe
a été négociée dès 2012 par le
général Hassan Tourekmani. Elle
n’est advenue que trois ans plus
tard, Moscou souhaitant terminer la
mise au point de ses nouvelles armes
avant de se déployer. Les troupes
russes ont commencé à s’installer en
juillet 2015 et nous avons été les
premiers à l’annoncer, information
immédiatement reprise par la presse
israélienne, puis par les médias
internationaux [2].
Il était convenu que la campagne de
bombardement débuterait après la
réunion du Conseil de sécurité qui
devait se tenir en marge de
l’Assemblée générale de l’Onu et
dureraient jusqu’à la Noël
orthodoxe, le 6 janvier 2016.
Il était également prévu que,
lorsque la paix reviendrait, une
force de l’OTSC serait déployée pour
la maintenir ; ce qui n’a pour le
moment pas pu avoir lieu.
2- Cependant, au vu des
difficultés de la Maison-Blanche à
contrôler ses alliés, la campagne de
bombardements a été étendue jusqu’à
la reprise des négociations de
Genève, finalement fixée au 15 mars.
Il va de soi que jamais la Russie
n’a pris cette date comme
l’anniversaire d’une
pseudo-révolution. Tout a commencé
le 12 décembre 2003 avec la
promulgation par George W. Bush de
la déclaration de guerre (Syria
Accountability Act), puis s’est
poursuivi d’année en année (sommet
de la Ligue arabe de Tunis en 2004
sur la « démocratisation » forcée du
Liban et de la Syrie, assassinat de
Rafic Hariri en 2005 et accusation
contre les présidents Lahoud et el-Assad
de l’avoir commandité, invasion du
Liban en 2006 pour provoquer
l’intervention de la Syrie, création
du Front de salut national par les
Frères musulmans en 2007,
destruction des moyens de
communication et d’approvisionnement
du Hezbollah en 2008, etc.) en
passant par l’arrivée des hostilités
sur le territoire syrien en 2011,
jusqu’à aujourd’hui.
3- La Russie a amorcé
ostensiblement le retrait de son
contingent. Des plans de vol ont été
régulièrement déposés quatre jours à
l’avance pour tous les avions cargos
chargés de replier les hommes et le
matériel. La date elle-même n’était
pas une surprise. Ainsi le chef
d’état-major jordanien, le général
Mishal Al-Zaben, en avait été
informé à Moscou en janvier par le
ministre russe de la Défense Sergei
Shoigu et par son homologue syrien,
le général Fahd Jassem Al-Freij [3].
Il est donc ridicule de lier cette
décision à de supposés désaccords
qui seraient intervenus dans les
derniers jours.
Les désaccords politiques ont été
résolus. Le premier était relatif à
la proposition russe d’un système
fédéral —repoussée aussi bien par
Damas que par Riyad— qui renvoie à
l’expérience soviétique. Or, les
minorités du Proche-Orient, à la
différence de celles de l’ex-URSS,
sont entremêlées et parlent la même
langue. Le second était à propos des
élections législatives du 13 avril
que les Russes voulaient repousser
pour les inclure dans les
négociations de Genève alors que
Damas refusait de violer la
Constitution.
4- Au plan militaire, l’Armée
russe se retire du champ de
bataille, mais pas du Quartier
général. Il n’est plus nécessaire
d’accumuler les avions parce qu’il
n’y a plus guère d’objectifs à
frapper : les fortifications
construites par les jihadistes et
leurs moyens de transport du pétrole
volé ont été détruits. Par contre,
le dispositif anti-aérien —les
missiles S-400 et Pantsir-S2— ne
bouge pas. La livraison d’armes et
de munitions, ainsi que l’accès aux
renseignements satellitaires russes
se poursuivent. La Russie a
renouvelé le matériel et formé les
soldats de l’Armée arabe syrienne,
laquelle était placée sous embargo
depuis dix ans [4].
Désormais, celle-ci n’est plus
simplement en position de défendre
la population civile face aux
jihadistes, mais de libérer le
territoire occupé, ce qu’elle a
commencé à faire. L’aide russe est
alors un soutien aérien aux troupes
terrestres —et non plus un simple
bombardement—, comme on l’a vu hier
à Palmyre.
Après avoir investi des centaines
de milliards de roubles en Syrie, la
Russie ne se retire pas du
Proche-Orient à un moment où la
Turquie, l’Arabie saoudite et le
Liban sont au bord de la guerre
civile. Respectueuse, elle laisse
aux Syriens la gloire de leur
Victoire.
Source
Al-Watan (Syrie)
Document joint
Al-Watan 2358
(PDF - 168 ko)
[1]
« Annonce
du retrait russe de Syrie »,
Réseau Voltaire, 14 mars 2016.
[2]
« “Les
Russes arrivent (en Syrie) !” : analyse
d’une incertitude », De Defensa,
3 septembre 2015.
[3]
“Jordan
Says It Knew of Russian Drawdown Plan in
Syria”, Awad Mustafa, Defense
News, March 15, 2016.
[4]
« Le
retour de l’Armée arabe syrienne »,
par Valentin Vasilescu, Traduction Avic,
Réseau Voltaire, 4 mars 2016.
Thierry
Meyssan
Consultant politique,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la
conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage
en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
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