Conférence
de presse de Sergeï Lavrov, John Kerry
et Staffan De Mistura, au Hilton de
Munich, à l’issue de la réunion du
Groupe international de soutien à la
Syrie.
Lundi 15 février 2016
La réunion du Groupe international de
soutien à la Syrie semble marquer la
reprise en main du dossier par la
Maison-Blanche au détriment des « néo-conservateurs »
et des « faucons libéraux ». La
déclaration finale impose une
supervision états-uno-russe à l’Onu,
démettant Jeffrey Feltman de ses
prérogatives. Elle impose une
libre-circulation de l’aide humanitaire
et une cessation des hostilités. La
formulation choisie légitime l’action
militaire russe non seulement contre le
Front al-Nosra et Daesh, mais aussi
contre Ahrar el-Sham et Jaysh el-Islam.
Cependant, la déclaration ne dit mot du
projet franco-britannique de création
d’un pseudo-Kurdistan.
Depuis la conférence
des Amis de la Syrie, à Paris le 6
juillet 2012, la guerre contre la Syrie
échappe à la Maison-Blanche et au
Kremlin. L’accord qu’ils avaient conclu
lors de la première conférence de
Genève, le 30 juin 2012, n’a jamais pu
être appliqué. Les nombreuses tentatives
de paix ultérieures ont toutes été
sabotées par un groupe de fauteurs de
guerre comprenant des personnalités
états-uniennes de premier plan (John
McCain, Hillary Clinton, Jeffrey Feltman,
David Petraeus, John Allen), des
multinationales (Exxon-Mobil, le fonds
d’investissement KKR, l’armée privée
Blackwater-Academi) et des États
(l’Allemagne, l’Arabie saoudite, la
France, Israël, le Qatar, le Royaume-uni,
la Turquie).
Cependant, depuis le 30 septembre
2015, la Russie a déployé une force de
frappe considérable pour bombarder les
groupes « terroristes ». Quatre mois
plus tard, la plupart des usines
d’armement et des bunkers souterrains
qu’ils avaient construit ont été
détruits. En outre, les moyens de
transport du pétrole volé par Daesh ont
également été détruits. L’Armée arabe
syrienne, qui mène une opération au sol
depuis le 6 janvier 2016, libère du
terrain sur une dizaine de fronts
simultanés, à l’exception du Nord-Est.
Tandis que l’Arabie saoudite et la
Turquie acheminent aux « opposants » des
renforts et des armes au Nord du pays.
Barack Obama reprend
le dossier syrien en main
Le bilan de politique internationale
du président Barack Obama comprend déjà
l’apaisement avec Cuba et le
retournement de l’Iran. Il dispose de
moins d’un an pour y ajouter la paix en
Syrie. Ce qui supposerait qu’il reprenne
la main sur ce dossier et parvienne à
une analyse commune de la situation avec
son partenaire russe. C’est pourquoi, il
a conclu un nouvel accord avec la Russie
et a nommé un « Tsar anti-Daesh », Brett
McGurk, pour lequel il a provisionné des
moyens militaires considérables.
Juriste de formation, mais diplomate
de carrière, Brett McGurk a servi le
président George W. Bush Jr. en Irak à
partir de 2004. Il a fait partie de
l’équipe qui, autour de John Negroponte
et du général David Petraeus, décida de
détourner la colère des Irakiens contre
l’armée d’occupation en provoquant des
affrontements sectaires entre sunnites
et chiites. À ce titre, il fut impliqué
dans la création de l’« Émirat islamique
en Irak », futur Daesh. Puis, il négocia
les conditions du retrait des troupes
d’occupation. Nommé par le président
Barack Obama ambassadeur à Bagdad, en
2012, il ne fut pas confirmé par le
Sénat qui lui reprocha une liaison
extra-maritale avec une journaliste du
Wall Street Journal. À défaut, il
devint donc assistant de l’envoyé
spécial de la Maison-Blanche auprès de
la Coalition internationale anti-Daesh,
le général John Allen. Il put constater
lui-même qu’en l’absence de directives
claires, son patron non seulement ne
combattit pas l’organisation terroriste,
mais au contraire la soutint jusqu’à
l’arrivée des Russes et à sa démission.
Désormais en charge des opérations,
Brett McGurk prépare l’éradication du
Califat hors de Syrie —mais pas
complètement d’Irak—. Pour ce faire, il
disposera d’un budget militaire double
par rapport à celui de son prédécesseur
et s’appuiera à la fois sur l’Armée
arabe syrienne et sur les troupes kurdes
de Syrie.
L’accord entre la
Maison-Blanche et le Kremlin
La Maison-Blanche et le Kremlin sont
tombés d’accord pour reconnaître que la
chute éventuelle de la République arabe
syrienne plongerait l’ensemble de la
région, Israël compris, dans le chaos.
De fait, ce qui était l’objectif initial
de George W. Bush et d’Ariel Sharon est
aujourd’hui redouté par Barack Obama et
Tsahal.
Il semble que la Maison-Blanche ait
renoncé à démembrer la Syrie et soit
convenue avec le Kremlin d’empêcher le
projet franco-britannique de création
d’un pseudo-Kurdistan au Nord-Est du
pays. Du point de vue US, il n’est pas
question de laisser Paris et Londres
redevenir des puissances coloniales au
Proche-Orient, même si cet argument
avait été utilisé pour les appâter et
les impliquer dans l’opération
« Printemps arabe ».
En définitive, la Maison-Blanche et
le Kremlin ont utilisé Genève 3 pour
laisser l’opposition sponsorisée par
l’Arabie saoudite se discréditer.
Celle-ci a en effet successivement
refusé de négocier, puis a posé des
conditions préalables et a finalement
refusé unilatéralement de laisser
circuler l’aide humanitaire, alors que
Damas l’avait acceptée.
La convocation du Groupe
international de soutien à la Syrie
(GISS), les 11 et 12 février 2016 à
Munich, a permis à la Maison-Blanche de
reprendre la main sur « ses » opposants,
et principalement sur Jeffrey Feltman,
le patron politique de l’Onu. À défaut
de pouvoir le révoquer, le président
Obama l’a relégué à sa place de
haut-fonctionnaire international en
poussant John Kerry et Sergeï Lavrov à
annoncer qu’ils superviseraient ensemble
la suite des négociations. Si ce point
était confirmé dans les faits, les
comploteurs perdraient leur avantage
diplomatique après avoir perdu leur
supériorité militaire.
La réunion de Munich
Le GISS est convenu de l’application
du « Communiqué de Genève »
(c’est-à-dire du plan du président
Bachar el-Assad complété par Kofi
Annan), selon les modalités de la
résolution 2254 du Conseil de sécurité.
Bien que la France n’ait pas précisé si
elle maintenait ou non ses réserves sur
le « Communiqué de Genève » —qu’elle
interprète au contraire et seule comme
une capitulation de la République arabe
syrienne—, elle a adopté la déclaration
finale de la réunion de Munich.
Celle-ci prévoit l’application sous
une semaine de la libre-circulation de
l’aide humanitaire —que seule
l’« opposition » avait refusée— et d’une
« cessation des hostilités », préalable
à un « cessez-le-feu ». Pour chacun de
ces deux objectifs, une Force
opérationnelle est créée sous
coprésidence états-uno-russe et avec la
participation des États aptes à faire
pression sur les belligérants.
Concernant l’aide humanitaire, le
GISS est convenu qu’elle serait
acheminée d’ici une semaine, par largage
aérien ou par voie terrestre à sept
localités nommément désignées. La
déclaration finale précise que « l’accès
humanitaire ne devrait pas bénéficier à
un groupe particulier au détriment des
autres, mais doit être accordé par
toutes les parties à toutes les
personnes dans le besoin, en pleine
conformité avec la résolution 2254 et le
droit international humanitaire » (…).
En outre, les États-Unis et la Russie
« feront en sorte que les convois d’aide
soient utilisés uniquement à des fins
humanitaires ». On sait en effet, que
depuis juillet 2012, Jeffrey Feltman
utilise les convois de l’Onu pour
ravitailler non seulement en vivres et
en médicaments les « zones rebelles »,
mais aussi en armes.
L’expression « cessation des
hostilités » semble synonyme de
« cessez-le-feu », cependant elle
s’applique aussi à la Russie sans
impliquer de conséquences juridiques. En
adoptant la déclaration finale, Moscou
s’est engagé à ne pas bombarder d’autres
cibles que les groupes listés comme
« terroristes » par le Conseil de
sécurité. Toutefois, lors du point de
presse de John Kerry et Sergeï Lavrov
qui suivit la réunion de Munich, le
ministre russe des Affaires étrangères
précisa que Ahrar el-Sham (« Mouvement
islamique des hommes libres de Syrie »)
et Jaysh el-Islam (« L’Armée de
l’islam ») ont publiquement affirmé
leurs liens avec ces groupes
terroristes. Ahrar el-Sham est financé
par la Turquie et le Qatar, dispose
d’instructeurs militaires pakistanais et
a revendiqué ses liens avec les talibans
afghans. Jaysh el-Islam est financé par
l’Arabie saoudite, dispose
d’instructeurs d’Academi, s’enorgueillit
de partager l’idéal d’Oussama Ben Laden
et de collaborer avec al-Qaïda. En
outre, son fondateur, Zahran Allouche, a
déclaré vouloir « nettoyer » le pays,
faisant clairement appel à exterminer
tous les alaouites. Il ne semble donc
pas que l’engagement de Moscou modifiera
son action sur le terrain, mais au
contraire —malgré l’appel formel de John
Kerry à « modifier les cibles »— que la
déclaration finale de Munich lui
reconnaît une légitimité.
On observera que la déclaration
finale de Munich renvoie la question de
la « transition politique » à la reprise
des négociations de Genève 3. Ce
faisant, elle prive définitivement les
114 personnalités sélectionnées par
l’Arabie saoudite de tout espoir de
maroquin ministériel. En effet, ces
personnalités sont toutes liées aux
groupes armés sus-nommés. Par contre,
elle ouvre des perspectives aux
personnalités d’opposition, de Syrie et
en exil, qui ont été invitées à Genève
après avoir dénoncé le recours aux
armes.
Lors de la
Conférence sur la sécurité, un vif
accrochage a opposé Sergeï Lavrov et
Frank-Walter Steinmeier à propos de la
légitimité des bombardements de la
Coalition et de ceux de la Russie.
L’Arabie saoudite et
la France ne désarment pas
Si la déclaration finale de Munich
représente donc une avancée sans
précédent depuis trois ans, elle n’a pas
manqué de soulever des critiques de la
part de ceux qui l’ont adoptée à
contre-cœur. Ainsi, l’Arabie saoudite
par la voix de son ministre des Affaires
étrangères Adel al-Joubeir, a répété,
lors de la Conférence annuelle sur le
sécurité qui suivait, qu’il n’y aurait
pas de paix en Syrie tant que le
président Bachar el-Assad resterait au
pouvoir. Tandis que la France, par les
voix de son ministre de la Défense
Jean-Yves Le Drian et de son Premier
ministre Manuel Valls, ont répété dans
la même enceinte leurs accusations
contre la République arabe syrienne et
la Russie : usage de bombes-barils,
organisation de la famine, bombardements
de civils. En outre, ils ont renvoyé
dos-à-dos le président de la République
et le « Calife », considérant qu’ils
étaient l’un et l’autre criminels et que
de facto seuls les groupes
islamistes armés sus-nommés étaient
légitimes à exercer le pouvoir. La
Turquie, qui était accusée de mener une
« politique paranoïaque » dans les
documents préparatoires de la
Conférence, fut trop occupée à se
défendre pour pouvoir commenter la
déclaration finale du GISS. Elle fit
donc tonner son artillerie et bombarda
les positions des Kurdes au Nord du
pays.
À
retenir :
Mettant
fin à trois années de turbulences
internes et d’hésitations, la
Maison-Blanche a repris en main le
dossier syrien, nommé Brett McGurk
pour éliminer Daesh de Syrie, et
créé un directoire avec le Kremlin
pour reléguer Jeffrey Feltman à son
rôle de haut-fonctionnaire des
Nations unies.
La
déclaration finale de Munich prévoit
la libre-circulation de l’aide
humanitaire et une cessation des
hostilités sous une semaine.
Sa
formulation légitime le bombardement
russe d’Ahrar el-Sham et de Jaysh
el-Islam, des groupes armés
publiquement par la Turquie, le
Qatar et l’Arabie saoudite.
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