Michel
Sleiman fut élu, le 25 mai 2008, par la
Chambre des députés en violation de la
Constitution libanaise (l’article 49
interdit à un haut fonctionnaire d’être
élu moins de deux ans avant d’avoir
quitté ses fonctions). Il ne fut pas
installé par son prédécesseur, Émile
Lahoud, mais par l’émir du Qatar, en
présence du représentant de l’ancienne
puissance coloniale française, Bernard
Kouchner, siégeant non pas à la tribune,
mais sur le banc du gouvernement.
Lundi 14 mars 2016
Depuis mai 2008, le Liban ne respecte
plus sa propre constitution et n’a plus
de budget. Le pays, aujourd’hui à la
dérive, est redevenu une proie facile
pour Israël. L’échec de l’opération
contre la Syrie conduit le parti
colonial à se chercher une nouvelle
cible. Si une seconde guerre civile peut
encore être évitée, il sera difficile
d’empêcher une nouvelle invasion.
Depuis l’accord de
Doha et l’élection anticonstitutionnelle
de Michel Sleiman comme président de la
République, en 2008, le Liban n’a pas
connu d’événement politique marquant
jusqu’à août dernier. Au cours des sept
derniers mois, le pays a été secoué lors
de la « crise des ordures » par des
manifestations susceptibles de déboucher
sur une seconde « révolution du Cèdre »,
puis par une crise de confiance avec
l’Arabie saoudite et ses alliés, enfin
par une mise en cause internationale du
Hezbollah. Trois événements qui, pris
séparément, semblent s’expliquer par
eux-mêmes et ne débouchent sur rien. Et
pourtant…
Odeur
pestilentielle dans de nombreuses
communes du Liban
où les ordures ne sont plus ramassées.
En août 2015, débuta subitement la
« crise des ordures » : l’État ne
parvint pas à renouveler le contrat de
ramassage des poubelles par la société
Sukleen. En quelques jours, le pays dans
son ensemble devint une vaste poubelle,
les déchets s’amoncelant dans les rues.
Des manifestations se formèrent accusant
le gouvernement d’incurie. Bientôt des
milliers de manifestants clamaient dans
le centre de la capitale que les
politiciens eux-mêmes étaient des
ordures, pillant l’État au détriment des
citoyens. Des médias évoquaient un début
de révolution colorée comparable à la
« révolution du Cèdre » organisée par
les États-Unis après l’assassinat de
l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ;
d’autres médias évoquaient une extension
du « printemps arabe » [1].
En définitive la fureur populaire
retomba car le système communautaire
unique du Liban —imposé par la France—
attache chaque citoyen à sa communauté
religieuse et l’empêche de se
positionner sur les questions
nationales.
Toutefois, sept mois plus tard, la
crise des ordures n’est toujours pas
résolue. Certes, la capitale et les
grandes villes sont nettoyées, mais dans
de nombreuses régions, les poubelles
s’accumulent répandant une odeur
nauséeuse. La persistance et la
généralisation de ce problème ont des
conséquences en matière de santé
publique. Les virus se propagent et
presque tous les Libanais sont malades
épisodiquement. Elles ont aussi des
conséquences économiques. De facto,
le tourisme, principale source de revenu
officiel du pays, est en forte baisse.
La
terrasse du Petit Café de Beyrouth, face
au rocher, est vide.
Les clients du Golfe ont déserté.
La seconde crise a débuté avec
l’annulation du don saoudien de 3
milliards de dollars à l’Armée
libanaise [2].
En réalité, ce « don » était la
rémunération versée à l’Armée libanaise
pour avoir détruit le témoignage de
Majed el-Majed qu’elle avait arrêté lors
de son transport en ambulance, le 26
décembre 2013. Le célèbre terroriste
était le représentant du prince Bandar
Ben Sultan au Levant. Il était suspecté
de connaître personnellement la totalité
des politiciens qui soutiennent
secrètement les jihadistes. Son
témoignage aurait gravement mis en
difficulté le royaume saoudien. L’homme
eut la bonne idée de mourir après
quelques jours de détention sans que son
témoignage détaillé ne soit enregistré [3].
Pour justifier l’annulation de son
« don », Riyad évoqua la réaction du
Liban à l’exécution de cheikh Nimr Baqr
al-Nimr. Le 2 janvier 2016, la
pétro-dictature avait en effet décapité
le chef de son opposition. Or, il se
trouve que cette personnalité était un
religieux chiite, ce qui souleva une
vague d’indignation dans toutes les
populations chiites du monde, y compris
au Liban [4].
L’Arabie saoudite mobilisa ses alliés
pour affirmer son droit absolu à tuer
qui il souhaite parmi ses sujets, tandis
que le Liban se tint prudemment sur la
réserve. Riyad décida d’y voir une forme
d’ingratitude au regard des milliards
déversés durant des années pour soutenir
le 14-Mars, c’est-à-dire la coalition
des partis communautaires libanais
collaborant avec Israël.
Surtout, Riyad décida de couler
l’économie libanaise en interdisant à
ses sujets de se rendre au Liban et en
faisant étendre cette interdiction aux
Bahreïnis et aux Émiratis. Privé de ses
touristes du Golfe, les commerces et les
banques sont immédiatement entrés en
récession.
La chaîne
Al-Manar ("le phare") est le seul moyen
de communication dont disposerait la
Résistance libanaise en cas d’agression
israélienne. Durant la guerre de 2006,
le Hezbollah est parvenu à la faire
fonctionner malgré les gigantesques
bombardements de Tsahal. En cas de
coupure de l’antenne, seule la version
occidentale des faits serait connue.
La troisième crise est celle
concernant le Hezbollah. Ce réseau de
résistance à l’occupation israélienne
s’est progressivement transformé en
parti politique et participe au
gouvernement. Principalement soutenu par
la Syrie dans la période 1982-2005, il
se tourne progressivement vers l’Iran
après le départ de l’Armée arabe
syrienne du Liban. Dans la période
2006-2013, il reçoit un arsenal
considérable des Gardiens de la
Révolution iraniens. Cependant, depuis
l’élection de cheikh Hassan Rohani en
Iran, le Hezbollah se prépare à une
rupture et développe ses propres sources
de financement en s’appuyant sur la
diaspora libanaise et/ou chiite à
l’étranger, principalement en Afrique et
en Amérique latine. Suite à la signature
de l’accord 5+1 avec l’Iran, le 14
juillet 2015, le Hezbollah s’engage
contre les jihadistes aux côtés de
l’Armée arabe syrienne, tout en prenant
progressivement ses distances avec
Téhéran.
Le 16 décembre 2015, le Congrès des
États-Unis a adopté à l’unanimité une
loi interdisant aux banques de
travailler avec le Hezbollah ou des
organes liés à la Résistance libanaise
et visant, en outre, à empêcher la
diffusion de la chaîne de télévision
Al-Manar [5].
Immédiatement le Trésor a pris des
sanctions contre Ali Youssef Charara,
PDG de la société Spectrum Investment
Group, accusé de participer au système
de financement de la Résistance [6].
La loi états-unienne a été suivie par
des résolutions du Conseil de
coopération du Golfe et de la Ligue
arabe qualifiant le Hezbollah de
« mouvement terroriste ».
Le dispositif est désormais complet :
l’économie libanaise est ruinée et le
principe de la Résistance à l’occupation
israélienne est assimilé à du
terrorisme. La chaîne de télévision
Al-Manar ne devrait plus être accessible
par NileSat et ArabSat, limitant
considérablement son audience.
Deux options sont
désormais possibles pour Washington et
Tel-Aviv : soit une guerre classique,
comme en 2006, soit —plus simple et plus
discret— une guerre civile, comme le
Liban l’a connue de 1975 à 1990. Le
dernier président constitutionnel du
Liban, Émile Lahoud, appelle à une
réforme immédiate de la loi électorale,
de manière à ce que le prochain
parlement ne soit pas représentatif des
communautés religieuses, mais de la
population. C’est le seul moyen d’éviter
la guerre civile.
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