Réseau Voltaire
Le Peuple syrien a parlé
Thierry Meyssan
Jeudi 5 juin 2014
L’élection présidentielle syrienne a
surpris aussi bien les Syriens que leurs
alliés et leurs ennemis. Le scrutin,
dont chacun s’accorde à dire qu’il a été
sincère, a mobilisé 73,42 % des
électeurs, malgré l’impossibilité dans
laquelle certains se trouvaient d’aller
aux urnes du fait de l’occupation d’une
partie du pays par des mercenaires
étrangers. Bachar el-Assad a recueilli
88,7 % des suffrages exprimés et a été
reconduit pour 7 ans.
Depuis plusieurs mois,
les 11 États restant membres du Groupe
de Londres (anciennement dénommé les
« Amis de Syrie », à l’époque où ils
étaient 114) dénoncent l’élection
présidentielle syrienne du 3 juin comme
une « farce ». Selon eux, d’une part il
serait grotesque de tenir un scrutin
dans un pays en proie à une « guerre
civile », d’autre part, le président
sortant Bachar el-Assad serait un tyran,
recourant massivement à la torture et
bombardant son propre peuple, donc
illégitime. Toujours selon ces 11 États,
la seule sortie possible d’une guerre
qui a déjà fait « au moins 160 000 morts
syriens » serait de laisser la place à
un « organe de transition » désigné non
pas par les Syriens, mais par eux.
Les grands médias des États membres
de l’Otan et du CCG avaient donc prévu
d’ignorer cette « non-élection », selon
l’expression du secrétaire d’État John
Kerry. Cependant, le scrutin anticipé
pour les Syriens résidant à l’étranger
ayant donné lieu à des manifestations de
masse au Liban et en Jordanie, il était
évident que la presque totalité des
Syriens de l’intérieur qui pourrait
voter le ferait. Dès lors, ces grands
médias ont dépêché in extremis
des équipes pour couvrir l’événement.
Jusqu’à ce moment-là, il était
généralement admis —sauf par le Réseau
Voltaire— que les Syriens en exil
étaient opposés à la République et
qu’ils avaient fuit le pays pour
échapper à la « répression politique ».
L’épisode des scrutins à Beyrouth et
Amman a montré qu’en réalité, la grande
majorité d’entre eux avaient fuit les
exactions des mercenaires étrangers qui
attaquent leur pays. Tout autant surpris
que l’ambassadeur syrien au Liban, le
ministre libanais de l’Intérieur dénonça
la présence sur son territoire de
prétendus réfugiés syriens qui
soutiennent leur gouvernement, refusant
de prendre en compte l’attaque de leur
pays et la destruction de leurs maisons
par plus de 250 000 mercenaires en 3
ans.
La République syrienne s’évertua à
suivre méticuleusement les normes
occidentales de la démocratie. Le
Parlement adopta un nouveau Code
électoral qui institua les droits
accordés aux candidats aussi bien en
matière d’affichage, et de passages à la
télévision et dans les journaux que
d’escorte assurant leur sécurité en ces
temps de guerre.
Le pays, qui a abandonné le système
du parti unique pour celui du
multipartisme en adoptant la
constitution du 26 février 2012, avait
eu deux ans pour former de nombreux
partis et apprendre le débat politique
public.
La République syrienne, qui accepte
la présence de journalistes occidentaux
depuis novembre 2011, avait eu deux ans
et demi pour apprendre à satisfaire
leurs exigences professionnelles. Elle
avait progressivement noué des contacts
positifs avec nombre d’entre eux,
notamment depuis la Conférence de
Genève 2. Plus de 360 médias étrangers
étaient ainsi accrédités, disposant de
la plus totale liberté de circulation
dans tout le pays, malgré la guerre.
Les arguments
politiques
Pour le Groupe de Londres, il serait
impossible d’organiser une élection dans
un État en guerre. C’est oublier que
récemment, les mêmes États se sont
réjoui des élections présidentielles en
Afghanistan et en Ukraine.
En Afghanistan, le 5 avril, se tenait
le premier tour de l’élection
présidentielle sous la surveillance des
troupes de l’Otan. Un électeur sur trois
a fui le pays, mais pouvait voter de
l’étranger. Selon les États membres du
groupe de Londres, il aurait fallu
obtenir 50 % des suffrages exprimés pour
être élu dès le premier tour (il y en
aura un second le 14 juin). Dans ce cas,
compte-tenu du taux d’abstention de 67 %
le président aurait été élu par 16,5 %
du corps électoral).
En Ukraine, les putschistes de Kiev
ont annoncé un taux de participation, le
25 mai, de 60 %. Ce faisant, ils ne
comptaient pas les électeurs de Crimée,
bien qu’ils affirment que cette région
fait toujours partie de leur pays. Le
président élu, Petro Porochenko récolta
54 % des suffrages exprimés. Cependant,
si l’on ramène ce score à l’ensemble des
électeurs sur l’ensemble du territoire
qu’il revendique, il n’a le soutien que
de 27 % d’entre eux.
On ne doit pas s’étonner de la faible
exigence des États du Groupe de
Londres : à la dernière élection du
Parlement européen (25 mai), le taux de
participation était exceptionnellement
bas (seulement 13 % en Tchéquie). Cette
élection sans le peuple a pourtant été
considérée comme « démocratique » (sic).
Le rôle belliqueux
des médias atlantistes en 2011-2012
La guerre contre la Syrie a débuté,
en 2011, comme une guerre de 4ème
génération. C’est-à-dire que l’Otan
entendait renverser l’État en
décourageant la population de le
défendre plutôt qu’en lui livrant une
guerre conventionnelle. De grands médias
internationaux (Al-Arabiya, Al-Jazeera,
BBC, CNN, France24, Sky), coordonnés par
l’Alliance, devaient faire accroire aux
Syriens et au monde que leur pays était
agité par une « révolution » et que leur
gouvernement allait inévitablement être
renversé. La guerre aurait dû culminer,
début 2012, par une substitution de
fausses chaînes syriennes aux vraies
chaînes, afin d’annoncer la fuite du
président el-Assad et l’instauration
d’un « gouvernement de transition ».
Cependant l’opération fut déjouée et
échoua. La Russie et les États-Unis
conclurent, en juin 2012, les grandes
lignes d’un accord qui prévoyait aussi
bien la paix en Syrie que le partage de
la région entre eux.
Toutefois, la France, Israël et
l’opposition démocrate au sein du
gouvernement Obama (Hillary Clinton,
David Petraeus, James Stavridis)
relancèrent la guerre sous une autre
forme. Il s’agissait cette fois
d’attaquer le pays avec des forces
non-étatiques, sur le principe des
condottières de la Renaissance ou, plus
récemment, des Contras au Nicaragua.
Durant cette seconde période, les médias
atlantistes et du Golfe continuèrent sur
leur lancée à décrire une révolution
imaginaire face à une dictature cruelle,
tandis que l’opinion publique en Syrie
terminait de se rallier au gouvernement.
De sorte qu’au moment où débutait la
campagne présidentielle syrienne, les
médias donnaient une narration
complètement différente de la situation
selon qu’ils étaient basés dans un pays
de l’Otan ou du CCG, ou non.
Comment donc les médias atlantiques
allaient-ils traiter de cette élection ?
La stratégie de
dénigrement des médias atlantistes en
2014
Durant les jours précédents, ils ont
utilisé plusieurs arguments pour
discréditer le processus électoral.
• « Le résultat est connu
d’avance », martelaient-ils.
Effectivement, il ne faisait aucun doute
que le président sortant, Bachar el-Assad,
serait élu pour un troisième mandat de 7
ans. Cette affirmation laissait à
supposer que le scrutin ne serait pas
sincère.
Toutefois, si les Européens veulent
bien comparer ce qui est comparable, la
situation de la Syrie rappelle celle de
l’Europe à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Le 26 août 1944, le président
du Gouvernement provisoire de la
République française (GPRF), qui avait
été créé à Alger quelques jours avant le
débarquement en Normandie, le général
Charles De Gaulle, remontait les
Champs-Élysées escorté d’une foule
innombrable. Il n’y avait pas eu alors
d’élection. La légitimité de De Gaulle
était indiscutable car il avait été le
premier homme politique à refuser la
Collaboration en 1940 et à immédiatement
entrer en Résistance. Les Français
saluaient en lui l’homme qui avait su
s’opposer à la fatalité et les conduire
à la victoire. De la même manière, les
Syriens voient en Bachar el-Assad
l’homme qui a su s’opposer à la
recolonisation du pays et les conduire à
la victoire.
• « Les deux autres candidats
sont de simples faire-valoir »,
poursuivent les médias atlantistes,
sous-entendant que le pays en est resté
à l’époque du parti unique et que cette
élection est une mise en scène.
Or, le propre du multipartisme, c’est
de pouvoir voter pour un candidat que
l’on choisit. Dans de nombreux scrutins,
les électeurs ne se reconnaissent dans
aucun candidat. Ils peuvent alors soit
s’abstenir, s’ils considèrent que le
système est vicié ; soit voter blanc,
s’ils veulent soutenir les institutions,
mais aucun candidat ; soit voter pour un
candidat marginal afin de relativiser le
score du candidat principal (ce que l’on
appelle le « vote protestataire »).
Dès lors, avant même d’examiner le
score des candidats, le plus important,
c’est le niveau de participation. Dans
la Syrie en guerre, où une partie du
territoire est actuellement occupée par
au moins 90 000 mercenaires étrangers,
et malgré l’appel de la Coalition
nationale syrienne au boycott, ils ont
été 73,42 % des électeurs à voter. À
titre de comparaison, c’est mieux qu’en
France pour toutes les élections au
Parlement européen (depuis 1979), mieux
pour toutes les élections législatives
(depuis 1986), mais moins bien pour
l’élection présidentielle (80,34 %). La
différence évidemment, c’est que la
France est en paix.
• « Le pays est largement
détruit et les bombardement continuent »,
assurent les médias atlantistes.
L’élection ne serait donc qu’un
épiphénomène, la réalité quotidienne
étant l’omniprésence de la guerre. Pour
en rajouter, l’AFP assure que le
gouvernement ne contrôlerait que 40 % du
territoire, hébergeant 60% de la
population.
La participation étant supérieure à
60 %, il convient d’abord de noter que
les chiffres de l’AFP sont imaginaires.
Les zones contrôlées par l’Armée arabe
syrienne sont bien plus larges depuis
qu’elle a reconquis la côte. Les
mercenaires sont encore présents à la
frontière turque et dans quelques poches
ici ou là. Ainsi, le district de Damas
fait 18 000 km2, dont seulement 75 km2
sont tenus par les Contras, mais l’AFP
considère que l’ensemble du district est
aux mains des « révolutionnaires ». En
outre, dans certaines zones, l’Armée
arabe syrienne est absente, mais les
fonctionnaires de l’État sont toujours
présents. C’est le cas des zones kurdes
qui assurent elles-mêmes leur sécurité
tout en reconnaissant la République.
Enfin, l’essentiel du territoire est un
désert inhabitable que chacun peut
prétendre contrôler. Toutefois, lorsque
des Contras le traversent, ils sont
abattus par l’aviation syrienne.
Par ailleurs, montrer des images de
Homs dévastée ne signifie pas que le
gouvernement « bombarde son propre
peuple ». Là encore, si l’on reprend
l’exemple de la Seconde Guerre mondiale,
ces images sont comparables à celles de
Stalingrad car les méthodes des Contras
y sont les mêmes que celles des nazis :
celle des « trous de souris ». Pour ne
pas être éliminés en sortant dans les
rues, les snipers étrangers creusent des
passages d’une maison à l’autre dans les
murs latéraux.
Enfin, pour bombarder les positions
ennemies, l’Armée arabe syrienne
peut-être amenée à bombarder des civils
à la manière dont les Alliés
bombardèrent Lisieux, Vire, Le Havre,
Tilly, Villers-Bocage, Saint-Lô, Caen
etc. durant le débarquement en
Normandie. Pourtant, si l’on discute la
manière dont les Alliés ont procédé, il
ne vient à l’idée de personne de les
accuser d’avoir délibérément tué 20 000
Français.
Les conséquences du
scrutin
À la surprise générale, la
participation a été massive partout où
il était possible de voter, y compris
dans les zones kurdes, alors que les
médias atlantistes relayaient des appels
de kurdes au boycott.
Il faut donc conclure :
• Les accusations de
dictature et de torture sont imaginaires.
Dans aucun État au monde, on n’a vu le
peuple voter pour un dictateur qui
l’oppresserait. Le parti nazi allemand
n’a jamais obtenu plus de 43,9 % des
voix (mars 1933) et a immédiatement
supprimé les élections pluralistes.
Les Syriens de l’intérieur savent
certainement mieux ce qui se passe chez
eux que les Syriens de la Coalition
nationale, dont la majorité vit à
l’étranger depuis au moins vingt ans.
Ils ne croient plus la narration
états-unienne du début des événements
(des enfants que la police aurait
torturés à Deraa) et ils n’ont jamais
cru la narration actuelle (les 10 000
personnes torturées et mortes de faim
dans les prisons du « régime »).
• La Coalition nationale
syrienne ne représente pas le peuple
syrien.
La Coalition, organe créé par les
services français et aujourd’hui
contrôlé par l’Arabie saoudite après
l’avoir été par le Qatar, a été reconnue
« seule représentante du peuple syrien »
par le Groupe de Londres. Malgré son
appel au boycott, l’abstention ne
représente que 26,58 % des électeurs
inscrits, ce qui semble avant tout
correspondre aux électeurs empêchés de
participer du fait de l’occupation d’une
partie du territoire par les Contras.
On ne voit d’ailleurs toujours pas
comment une instance qui utilise le
drapeau vert-blanc-noir à trois étoiles
—c’est-à-dire le drapeau de la
colonisation française de
l’entre-deux-guerres— pourrait être
soutenue par le peuple syrien.
• Les Collaborateurs des
puissances coloniales se sont
discrédités.
Au cours de débats télévisés, des
membres de la Coalition ont expliqué
l’absence de leader capable de rivaliser
avec Bachar el-Assad par la dictature
qui étoufferait depuis longtemps le
pays. Or, nous l’avons vu, il n’y a pas
de dictature aujourd’hui en Syrie.
Si l’on reprend la comparaison avec la
Seconde Guerre mondiale, l’absence de
rival à Charles De Gaulle, en 1944, ne
signifiait pas qu’il avait imposé une
dictature, mais que les politiciens
français s’étaient discrédités en
collaborant avec les nazis. C’est
pourquoi aucune des personnes ayant
participé à la Coalition nationale ne
peut espérer jouer un rôle politique à
l’avenir dans le pays.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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