Venezuela
Venezuela, pierre de folie
Thierry Deronne
Jeudi 26 mai 2016
Il y a quelques
années dans un cours magistral diffusé
par la Sept/Arte, l’historien Marc Ferro
comparait les actualités
cinématographiques de la deuxième guerre
mondiale. En observant les visages de
ceux qui agitent des fleurs au passage
de Hitler ou de Pétain, l’envie vous
prenait d’arracher ce “nous autrefois” à
son inconscience.
Caracas, mai 2016.
Comme la Constitution le lui permet, la
coordination de la droite (MUD) a remis
au Centre National Électoral (CNE) les
signatures nécessaires pour que celui-ci
organise un référendum révocatoire
contre le président Maduro. Garant de
processus électoraux validés depuis 17
ans par les organisations
internationales (UE, OEA, UNASUR..), le
CNE est en train de vérifier
l’authenticité de ces listes (1). La
présence d’identités usurpées ou de
personnes décédées fait croire à
certains que la droite a autosaboté sa
collecte pour mieux crier à la dictature
en cas de rejet : une grande puissance y
trouverait le prétexte à une
intervention. Quoi qu’il en soit, si le
nombre requis de signature est validé et
si l’on compte les délais de chaque
phase du processus, le référendum pourra
être organisé au début de 2017, après
les élections des gouverneurs.
Le 14 mai.
l’ex-président colombien Alvaro Uribe,
dont on attend encore la comparution
devant la Justice pour crimes contre
l’humanité, a déclaré depuis Miami que
l’opposition vénézuélienne devrait avoir
“une armée pour la défendre” et qu’il
fallait répliquer contre Maduro la
technique utilisée contre Dilma Roussef
(2). Le 18 mai, ses apprentis
paramilitaires, regroupés au sein de
l’Aube Dorée vénézuélienne, partent à
l’assaut du Centre national Électoral,
déjà victime de plusieurs agressions,
pour exiger la « tenue immédiate » du
référendum, blessant gravement plusieurs
fonctionnaires de police, s’acharnant
sur une femme policière (3).
Que dit France 2 de
tout cela? Que “le gouvernement rejette
le référendum” et que ”la police réprime
des manifestants”.
Voilà ce que la
grande majorité des téléspectateurs
voit, entend et croit, jour après jour,
année après année. Images fabriquées sur
commande durant quelques minutes sur
quelques mètres carrés de la capitale,
destinées à alimenter le storytelling
des médias. L’objectif est de provoquer
la violence pour dénoncer devant les
organisations internationales les
soi-disant violations des droits de
l’homme. Alors que le hors-champ réel
montrerait la population indifférente ou
lassée des provocations, une voix off de
journaliste le substitue, loin du
Vénézuéla, pour évoquer une « guerre
civile ». Mais qui le devinera ? Retour
à la case départ, aux visages des
archives de Marc Ferro. Au bout de 17
ans de révolution, le mot “Venezuela”
active automatiquement dans notre cortex
l’image “répression”. Plus de
contre-champ, plus de hors-champ, plus
de temps, plus de suivi. La quantité
devient qualité. Dire le réel devient
impossible. A moins d’être pris pour un
fou et de perdre ses amis.
Le cas de Podemos
(Espagne) est exemplaire, qui a dû se
forger un programme consensuel et rompre
ses liens avec la révolution
bolivarienne. Son dirigeant Pablo
Iglesias a souhaité la libération de
Leopoldo Lopez (leader d’extrême-droite
condamné pour sa responsabilité directe
dans les violences et la mort de 43
personnes en 2014) et déclaré que le
“pays est au bord de la guerre civile”
(6). Il sait que c’est faux car il
connaît la réalité. Mais pourquoi ne pas
sacrifier un réel lointain si cela
permet d’améliorer son image dans les
médias et de gagner des voix?
Ce besoin de
protéger l’image de marque s’exprime en
général dans la position
« sciences-po » : une critique
« d’intellectuel vigilant » avec pour
argument « attention, restons prudents,
il y a des expériences dans le passé qui
ont mal fini ». Il y a pourtant une
alternative: écouter les mouvements
sociaux vénézuéliens, la critique faite
de l’intérieur et en connaissance de
cause par les acteurs d’un processus
aussi difficile que la construction d’un
pouvoir citoyen, parfois frustrés,
souvent impatients face aux lenteurs de
l’Etat, déterminés à construire une
démocratie participative.
En 17 ans de
révolution bolivarienne, j’ai observé
mille fois la réaction des visiteurs qui
prenaient la peine de sortir de l’hôtel,
sidérés par l’abîme entre l’image créée
par les médias et la réalité qu’ils
découvraient. Tel Jon Jeter, chef du
Bureau Amérique du Sud du Washington
Post s’exclamant en 2004 : « mais je ne
comprends pas ! Ce n’est pas une
dictature ! » ou les enquêteurs du
prestigieux institut chilien Latinobarometro
concluant en 2013 que « le Venezuela
est le pays où on observe la plus grande
différence entre ce que pensent ses
citoyens de leur démocratie et l’image
qui circule dans la communauté
internationale”. Ironie de
l’Histoire, c’est un… socialiste
espagnol (et non un membre de Podemos),
l’ex-premier ministre Rodriguez
Zapatero, observateur officiel
d’élections législatives remportées par
la droite en décembre 2015, qui «partage
des impressions très positives sur le
déroulement du processus électoral,
contrairement à l’image que donnent les
médias internationaux».
Comment oublier
l’expérience du Nicaragua, ou j’ai vécu
dans les années 80: le même bombardement
médiatique cherchait à rendre
“totalitaire” la révolution sandiniste
qui avait mis fin aux 50 ans de la
dictature des Somoza. Affaiblis par
l’étau économique et militaire des
Etats-Unis reaganiens, les sandinistes
perdirent les élections de 1990. Ils
reconnurent aussitôt leur défaite. En
2006 les urnes les ramenèrent au
pouvoir, après 16 ans de néolibéralisme
et de paupérisation massive. Leurs
politiques sociales recueillent
aujourd’hui, selon les instituts privés
de sondage, une forte popularité.
La majorité ne peut
voyager, prisonnière de la Caverne de
Platon. Sur l’international, les réseaux
“sociaux” sont l’ombre portée des médias
dominants. Des coups d’Etat menés par
une droite majoritaire médiatiquement
(Paraguay, Brésil, Venezuela…) sont
justifiés par des journalistes « de
gauche » (4). Lorsqu’en 2009 le
président du très pauvre Honduras, Mel
Zelaya, fut victime d’un coup d’État
notamment parce qu’il avait cherché
auprès de l’ALBA l’appui économique
refusé par les Etats-Unis, Gérard Thomas
de Libération lui reprocha d’avoir “joué
avec le feu” (5). Le pays bat depuis
lors les records en nombre de
journalistes et de militants sociaux
assassinés mais Mr. Thomas semble
l’avoir oublié.
En laissant la
propriété des médias se concentrer aux
mains des transnationales, en poussant
le service public à imiter le privé au
lieu de renforcer sa spécificité et de
former ses journalistes comme
historiens du présent, en méprisant
la création de médias associatifs ou
d’autres modes de production de
l’information, la gauche occidentale
s’est coupée du monde, de ses alliés
potentiels. Elle s’est livrée elle-même
à l’excision de la pierre de folie par
les “journalistes” de la pensée unique.
Thierry Deronne,
Caracas, mai 2016
Notes :
(1) Lire sur le
site du CNE :
http://www.cne.gob.ve/web/sala_prensa/noticia_detallada.php?id=3451
Fait curieux, pour organiser ce
référendum, la droite a demandé l’appui
du Conseil National Électoral alors qu’à
chacune de ses défaites, elle accuse ce
dernier de “fraude”. Le Venezuela
bolivarien a organisé un nombre record
de scrutins (une vingtaine) en 17 ans,
reconnus comme transparents par les
observateurs de l’Union Européenne,
de l’Organisation des États
Américains ou de l’Association
des Juristes Latino-américains.
Selon l’ex-président du Brésil Lula da
Silva, il s’agit d’un “excès de
démocratie”. Pour Jimmy Carter qui a
observé 98 élections dans le monde, le
Venezuela possède le meilleur
système électoral du monde. En
mai 2011 le rapport de la canadienne Fondation
pour l’Avancée de la Démocratie (FDA) a
placé le système électoral du Venezuela
à la première place mondiale pour le
respect des normes fondamentales de
démocratie. L’ONG chilienne LatinoBarometro a
établi dans son rapport 2013 que le
Venezuela bat les records de confiance
citoyenne dans la démocratie en Amérique
Latine (87 %) suivi de l’Équateur (62 %)
et du Mexique (21 %).
(2) http://globovision.com/article/uribe-fuerzas-armadas-deben-ser-puestas-al-servicio-de-oposicion-venezolana
(3)
http://www.telesurtv.net/news/Manifestantes-de-oposicion-atacan-a-policias-en-Venezuela-20160518-0058.html
Dans ces manifestations, les étudiants –
de droite- sont minoritaires. Voir « Brévissime
leçon de journalisme pour qui ceux
croient encore ça l’information » :
https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/22/brevissime-cours-de-journalisme-pour-ceux-qui-croient-encore-a-linformation/
(4) Maurice
Lemoine, « A la « gauche » française et
européenne…” ,
http://www.medelu.org/A-la-gauche-francaise-et
(5)
http://www.acrimed.org/Sous-information-et-desinformation-loin-du-Honduras
(6) Pour tout
savoir sur Leopoldo Lopez et les
« opposants réprimés par le gouvernement
Maduro», rien de tel qu’une galerie
photographique :
Ci-dessus:
Leopoldo Lopez, « prisonnier d’opinion »
selon les médias ocidentaux,
organisateur de violences et
d’assassinats commis par les militants
de son parti d’extrême droite.
Antécédents : posant avec la crème de
l’extrême droite et du patronat, lors du
coup d’État appuyé par les télévisions
privées contre le président Chávez en
avril 2002.
Avec son
principal soutien régional :
l’ex-président colombien Alvaro Uribe,
lié aux mafias du narcotrafic,
organisateur du paramilitarisme et
responsable de multiples crimes contre
l’humanité . Bogota, décembre 2011
C’est en
août 2015, dans la décharge
d’immondices de la Comuna 13, qu’ont
commencé les exhumations d’une des
nombreux cimetières clandestins de l’ère
Uribe. Cette fosse commune qui s’étend
sur quinze hectares date de 2002, après
que l’armée, sur ordre du président
Álvaro Uribe, déclencha l’Opération
Orión, pour « pacifier » la zone, et en
confia le contrôle aux paramilitaires.
Un nouvel espoir de traduire enfin en
justice l’ex-président colombien ?
Suite des photos sur le
site de Thierry Deronne ...
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