Amérique latine
Les États-Unis à Evo Morales :
« Fasse le Ciel que la Bolivie ne
parvienne jamais
au point où se trouve le Venezuela »
Hugo Moldiz Mercado *
Le
président Evo Morales auprès du Chargé
d’Affaires
de l’ambassade des Etats-Unis, Peter
Brennan
Mercredi 23 août 2017
Le Chargé
d’Affaires de l’ambassade des
Etats-Unis, Peter Brennan, -un expert en
questions de subversion idéologique-,
s’est chargé de « faire savoir » au
président Evo Morales que « Fasse le
Ciel que la Bolivie ne parvienne jamais
au point où se trouve le Venezuela. » La
réponse du leader indigène ne s’est pas
faite attendre : « Ni la Bolivie ni le
Venezuela ne sont l’arrière-cour de
personne ».
Il a fallu un peu
plus de trois années pour que le chargé
d’Affaires des Etats-Unis, Peter
Brennan, confirme enfin, ce 10 Août
dernier, le caractère de la mission
politique, opaque et déstabilisatrice,
qui lui a été confiée pour la Bolivie,
depuis le Département d’État, les
agences et les services secrets
étasuniens.
En des
circonstances apparemment en rien
extraordinaires, l’homme qui, depuis
Juin 2014, est à la tête de l’Ambassade
des Etats-Unis, a profité d’un acte
public pour s’entretenir avec la presse
et lancer, tout naturellement, un
message d’ingérence à objectifs
multiples. « Fasse le Ciel que la
Bolivie ne parvienne jamais au point où
se trouve le Venezuela » telles furent
les mots du diplomate étasunien.
Que les questions
de la presse aient été programmées ou
non, Brennan, expert en subversion
idéologique, dans sa rencontre avec les
journalistes, a tourné autour de trois
aspects ponctuels : la crise au
Venezuela, le soutien que les leaders de
gauche apportent au gouvernement et ce
qui pourrait bien arriver à la Bolivie
si elle s’engageait sur le même chemin.
Les déclarations du
responsable de l’ambassade des
Etats-Unis en Bolivie pourraient être
interprétées comme une provocation et un
ballon d’essai faisant partie de la
stratégie que Washington déploie pour
user le processus de changement et ainsi
éviter que le président Evo Morales ne
se présente aux élections générales de
décembre 2019 . En tous cas, il ne
s’agit pas là de paroles improvisées et
encore moins lancées au hasard sans en
espérer des effets politiques à
l’intérieur comme à l’extérieur de la
Bolivie.
Quels sont les
objectifs poursuivis par Brennan ?
En premier lieu,
avoir une plus forte incidence sur les
voix politiques, médiatiques et des
secteurs de la société civile –toutes
dans l’opposition- qui critiquent les
diverses manifestations de soutien et de
solidarité du président Evo Morales à
l’égard de la révolution bolivarienne,
du gouvernement de Nicolás Maduro et de
l’Assemblée constituante.
Les paroles de
Brennan sont cohérentes. La stratégie
impériale vise à isoler le Venezuela de
la majeure partie de la communauté
internationale, objectif qu’elle n’a pas
atteint des mois durant, malgré toute la
complicité de l’infatigable secrétaire
général de la OEA, Luis Almagro, lequel
ne put réunir un total des deux tiers
des voix des états membres de
l’organisme régional pour activer la
Charte Démocratique Interaméricaine. A
Cancún, Mexique, un total de 20 fut
atteint et lors de la rencontre de Lima,
convoquée par le président péruvien,
Pablo Kuczynski –semblable à Sánchez de
Lozada dans sa physionomie, sa façon de
parler et de penser- une déclaration fut
approuvée par 17 pays.
Une stratégie
d’ingérence de grande ampleur a été
lancée contre le Venezuela, incluant des
éléments et des mesures politiques,
économiques, militaires et médiatiques
dans l’objectif de détruire la
révolution Bolivarienne à partir d’une
implosion interne et, si cela était
nécessaire, avec une intervention
militaire « pour des raisons
humanitaires » comme a prévenu Trump
vendredi dernier.
En deuxième lieu,
se servir de la très mauvaise image que
l’appareil médiatique est parvenu à
installer dans l’imaginaire collectif de
secteurs sociaux perméables à la
stratégie étasunienne, pour dissuader le
gouvernement d’Evo Morales de continuer
à soutenir Maduro. On joue avec les
sentiments des gens -la peur,
l’indignation et la haine, propres à la
dénommée guerre de quatrième
génération-, pour renforcer les
certitudes chez les personnes alignées
politiquement et culturellement contre
les processus de changement, pour
soulever des doutes dans quelques
secteurs qui, à la base et à des niveaux
de direction, font partie de ces
expériences révolutionnaires élevées à
la catégorie d’Etat. C’est-à-dire qu’il
s’agit de semer le doute chez certains
proches de Morales.
Voilà pourquoi le
« fasse le Ciel que la Bolivie ne
parvienne jamais au point où se trouve
le Venezuela » ne peut être pris comme
une réflexion politique imprécise. Pas
quand ces mots sortent de la bouche de
Brennan. En réalité ils viennent étayer
le discours des politiques, analystes et
commentateurs qui cherchent à semer chez
les gens la peur d’un hypothétique
« futur sombre » pour l’économie
bolivienne, laquelle, à la surprise de
l’opposition qui ne veut l’admettre, est
l’économie qui se comporte le mieux dans
la zone sud-américaine et qui jouit
d’une structure productive diversifiée
qui diminuerait les effets de toute
guerre économique.
En troisième lieu,
c’est un avertissement à Evo Morales et
aux mouvements sociaux s’ils persistent
dans la ligne du dernier congrès du MAS,
en décembre 2016, lorsque furent
approuvées quatre voies pour garantir la
continuité du processus de changement
sous la direction du leader indigène
paysan pour 2025. Ce qui veut dire,
Morales candidat en décembre 2019.
L’avertissement au
gouvernement du président Morales s’est
fait en douceur mais non sans profondeur
pour autant. Il faut lire textuellement
ce qui a été dit en réponse à
l’interrogation sur le chemin emprunté
par la Bolivie, peut-être le même que le
Venezuela, alors que n’étaient pas
connus les résultats du 21 Février 2016,
lorsque le NON s’imposa pour un point au
référendum sur l’engagement vers une
réforme constitutionnelle qui rendrait
possible la participation du binôme
Evo-Alvaro aux élections générales de
2019. “Je ne vais pas avoir un avis ni
spéculer sur la situation de la Bolivie,
sur la situation politique interne qu’il
appartient aux boliviens de résoudre ;
mais fasse le Ciel que la Bolivie ne
parvienne jamais au point où se trouve
le Venezuela actuellement car sa
situation est déplorable et lamentable”.
Dérapage verbal ou une ligne d’action ?
Pour répondre à
cette question il vaut mieux se
rapporter à la logique avec laquelle les
Etats-Unis agissent contre le processus
de changement depuis Janvier 2006,
lorsqu’ Evo Morales l’emporta, par une
victoire indiscutable en Décembre 2005,
obtenant 54% des votes.
La stratégie
étasunienne pour renverser Morales s’est
mise en mouvement depuis le début. Les
Etats Unis ont envoyé dans le pays, en
2006, un ambassadeur expert en
organisation de batailles, en
confrontation ouverte : Philip Golberg,
qui avait acquis sa réputation pour son
rôle dans la division de l’ex-république
socialiste de Yougoslavie. De fait, le
diplomate a parié sur le départ brutal
du leader indigène en 2008, lorsque
l’opposition non démocratique fit le
choix d’actions de fait comme la prise
d’institutions publiques, le siège de
l’Assemblée Constituante, le harcèlement
physique des autorités et dirigeants du
processus de changement et l’assassinat
de Morales. La révolution s’est
installée, la DEA fut expulsée en Juin
2008 pour espionnage politique et
Golberg, en septembre, connut le même
sort pour être intervenu dans des
affaires internes (réunions
systématiques avec l’opposition non
démocratique à Santa Cruz).
Après Golberg, la
conduite de l’ambassade des Etats-Unis
fut assumée, en sa condition d’attaché
commercial, par Larry Memmott, qui, tout
en privilégiant la ligne politique, dut
souvent marcher sur les traces laissées
par l’Agence Centrale d’Intelligence
(CIA), dans des opérations réalisées
contre le gouvernement de Morales. Cela
ne réussit pas non plus au diplomate et,
à côté de son second collaborateur,
Mitchel Ferguson, il n’eut pas plus de
dix jours pour quitter le pays. Ce ne
fut pas Evo qui l’expulsa mais le
Département d’Etat qui le rappela de
façon impromptue.
Entre Memmott et
Peter Brennan il y eut quelques mois de
transition à la charge d’un autre Chargé
d’Affaires, Aruna Amirthanayagam, dont
l’unique et fondamentale tâche consista
à «faire le ménage» dans la maison
laissée par le premier, afin de garantir
l’action prédominante des agences en
matière de subversion et de
renseignement, à la charge du second.
Deux mois à peine suffirent pour
accomplir cette tâche.
Trois exemples
suffisent, en guise d’échantillon.
Sous la gestion
Brennan à la tête de l’ambassade des
Etats Unis, on compte trois opérations à
la fois ouvertes et masquées contre le
processus de changement du président
Morales.
La première, la
participation de Brennan à l’affaire
Zapata. La rencontre entre le Chargé
d’Affaires et Carlos Valverde (celui qui
a lancé l’accusation) a lieu à l’hôtel
Los Tajibos, actuellement propriété du
chef d’entreprise Samuel Doria Medina,
peu de temps avant que cette « bombe »
fabriquée et médiatique ne soit lancée
en pleine campagne pour la modification
de la Constitution Politique de l’Etat.
Mais a lieu également l’arrivée de
techniciens en informatique pour appuyer
la même opération.
La deuxième, la
déclaration de Brennan lors de la
célébration du jour de l’indépendance de
son pays, en Juillet dernier ; au cours
de la cérémonie à laquelle,
curieusement, aucun membre de
l’opposition n’était présent, il tint
les propos suivants : “la liberté; la
liberté de la presse et la liberté
d’expression; un pouvoir judiciaire
indépendant, non partisan et choisi
selon un processus juste et transparent;
être à l’abri de poursuites acharnées;
la protection des minorités; de même le
caractère inacceptable de
l’emprisonnement, de la répression ou du
harcèlement des opposants politiques
ainsi que de ceux qui ne respectent pas
la ligne d’un parti (…) tels sont les
idéaux, les principes, les intérêts
communs et les valeurs universelles
auxquels, nous, aux Etats-Unis, nous
croyons fermement et que, j’en suis sûr,
nous partageons aussi avec la grande
majorité des boliviens ».
La troisième, une
action permanente et caractéristique de
subversion masquée dans quelque chose
qui, à première vue, ne dévoile rien :
la dénommée « diplomatie de peuple à
peuples » comme il déclara dans son
discours. Pareille méthode a touché des
communautés de la province de Omasuyos,
en particulier Achacachi, de Los Yungas
de La Paz, où, « curieusement » des voix
se sont élevées contre les politiques
publiques du gouvernement.
Mais l’ingérence de
Brennan s’est manifestée, et sans voile,
dans la fermeté de la position d’Evo
Morales qui déclara dans son compte
tweeter : « Les Etats-Unis nous menacent
et oublient que nous avons expulsé leur
ambassadeur pour de pareilles
ingérences. Ni la Bolivie ni le
Venezuela ne sont l’arrière-cour de
personne ».
Brennan -substitut
idéal de Memmott en raison de son
profil- arrive à La Paz dans l’étape qui
précède la ligne droite finale de la
campagne électorale de Décembre 2014,
alors que Washington espère que
l’opposition formera un front uni pour
lutter contre les aspirations à la
réélection de Morales, lequel passera à
l’histoire pour avoir conduit la
révolution la plus profonde de la
Bolivie et pour avoir recueilli un
nombre de votes sans précédents pour la
démocratie dans le pays ( 54% aux
élections de 2005, e 64% aux élections
de 2009 et 62% aux dernières élections).
Brennan, en raison
de son expérience, convenait
parfaitement aux stratèges des
Etats-Unis, car il disposait de la
connaissance et de la pratique
suffisantes pour appliquer la stratégie
du « coup d’état en douceur », la
nouvelle modalité de déstabilisation
menée par Washington. Le Venezuela en
est la meilleure preuve.
Celui qui a été
désigné comme Chargé d’Affaires depuis
Juillet 2014 a joué un rôle implacable
dans l’ingérence des Etats-Unis au
Costa-Rica et au Nicaragua, en tant que
chef en second, comme en attestent les
liaisons révélées par Wikileaks et
d’autres informations en provenance des
deux pays. En 2007 Brennan a fait
pression sur le gouvernement costaricain
d’Oscar Arias pour que des policiers de
ce pays (devant le manque de Forces
Armées) soient « discrètement »
entrainés à l’académie du Commando Sud.
Sous le
gouvernement d’Enrique Bolaños au
Nicaragua, Brennan a également joué un
rôle d’ingérence ouverte. En Mars 2003,
le diplomate étasunien informa le Chef
d’Etat-Major de l’Armée du Nicaragua, le
Général Julio César Avilés, que l’aide
militaire annuelle versée à ce pays
–estimée à 2.3 millions de dollars-
serait suspendue tant que ne seraient
pas détruits tous les missiles et la
capacité de défense militaire que le
gouvernement sandiniste avait construite
au cours de près d’une décennie de
révolution.
L’expérience de
Brennan, tout comme Brown, dans le
domaine que l’USAID et la NED nomment
“initiatives démocratiques”, s’est aussi
exercée dans de multiples actions
subversives contre Cuba: le 13 Janvier,
aux côtés de trois hauts fonctionnaires
du Département d’Etat, le diplomate qui
est en Bolivie profita d’un déplacement
à La Havane consacré aux thèmes
migratoires, pour rencontrer
clandestinement un groupe de dissidents
cubains dont les actions de subversion
sont organisées et financées par le
gouvernement des Etats-Unis, comme l’a
fréquemment prouvé le gouvernement
socialiste.
Le diplomate
étasunien, qui était l’un des
personnages chargés de garantir la
stabilité politique pour les militaires
de son pays au Pakistan, et de
promouvoir le déplacement de jeunes de
ce pays aux Etats-Unis pour y aborder
des thèmes autour de « initiatives
démocratiques », fut assez actif depuis
sa condition de « Chef du Bureau des
Affaires Cubaines » à Washington
puisqu’il impulsa une série d’actions
pour obtenir la libération d’Alan Gross,
un agent engagé par USAID pour installer
un réseau clandestin de
télécommunications à Cuba.
Avec Brennan chargé
du “bureau Cuba” les actions
étasuniennes contre le gouvernement
socialiste s’intensifièrent. Il ne
serait nullement surprenant que le
programme « Zunzuneo » récemment
découvert, -un programme de « Twitter
cubain » pour interconnecter la
dissidence-, n’ait ses origines dans la
gestion de celui qui sera chargé des
Affaires des Etats-Unis en Bolivie à
partir de Juillet.
Hugo Moldiz
Mercado est un avocat bolivien,
enseignant universitaire, chercheur,
Master en Relations Internationales.
Il a conseillé plusieurs commissions de
l’Assemblée Constituante de Bolivie.
Source :
http://www.cubadebate.cu/opinion/2017/08/15/eeuu-viene-por-evo-morales-brennan-lanza-una-medida-activa-contra-bolivia/#.WZ2WFY-cHIW
Traduction :
Michele Elichirigoity
Reçu de Thierry Deronne pour publication
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