Amérique latine
Cachez cette Assemblée
Constituante que je ne saurais voir :
pourquoi les médias censurent une
élection au Venezuela
Thierry Deronne
Mardi 18 juillet 2017
Tout commence par ce qui pourrait être
une blague pour étudiant en journalisme,
parmi la longue cordillère de trucages,
photos d’autres pays légendées
« Venezuela », mensonges, citations
tronquées qui font l’actu sur le
pays qui a initié, il y a 18 ans, la
révolution bolivarienne. Alimentés
par l’agence EFE, des médias comme El
Pais ont fait passer
des sympathisants du chavisme affluant à
l’essai du système destiné à élire
l’Assemblée Constituante le 30 juillet…
pour des participants au scrutin
organisé par la droite contre le
« dictateur Maduro ». Le plus hystérique
des médias espagnols sur la « dictature
bolivarienne » s’est ensuite fendu d’un
minuscule rectificatif, invisible pour
la plupart des lecteurs.
Cette « erreur »
n’a rien d’anecdotique. Malgré un
intense bombardement publicitaire des
médias privés,
majoritaires au Venezuela, et
d’importants moyens financiers, la
droite a dû fermer ses bureaux de vote
plus tôt que prévu, faute d’électeurs.
Ironie du sort, c’est donc grâce aux
images de la forte affluence de
sympathisants de la révolution à l’autre
scrutin, lié à l’Assemblée Constituante,
que ces médias ont pu tromper leurs
lecteurs.
Incinération des traces du vote par les
organisateurs
Revenons d’abord
sur la consultation dite « populaire »
que l’opposition a montée en moins de
quinze jours. Le président Nicolas
Maduro avait souhaité qu’elle se déroule
pacifiquement. Les dirigeants de droite
avaient demandé à leurs partisans de
renoncer pour 24 heures aux violences et
aux blocages de route. Non prévu par la
Constitution, non contraignant, le
scrutin a été organisé hors du contrôle
du
Centre National Électoral, dans des
églises, au siège de partis politiques
de droite, dans des centres commerciaux
et autres endroits non habilités
légalement, avec des listes différentes
du Registre Électoral légal et…
l’incinération des cahiers de vote
immédiatement après comptage (même @bbcmundo
a reconnu qu’il était impossible
d’empêcher qu’une personne vote
plusieurs fois). Les résultats
annoncés sont donc invérifiables.
Le choix des
personnalités officiellement invitées
par la droite vénézuélienne comme
observateurs internationaux en dit
long sur les objectifs et la
transparence du scrutin :
(De gauche à
droite:) Jorge Quiroga (Bolivie).
N’a jamais été élu président de Bolivie;
vice-président, il n’a accédé brièvement
à la fonction (du 7 août 2001 au 6 août
2002) que parce que le président Hugo
Banzer, victime d’un cancer, a dû
démissionner. Accusé en 2013 par la
justice bolivienne de délits contre la
Constitution et dommages économiques à
la suite de la signature de contrats
pétroliers illicites au bénéfice de
transnationales européennes et
états-uniennes. Laura Chinchilla
(Costa Rica). Lorsqu’elle a quitté
la présidence du Costa Rica, le 8 mai
2014, une grève générale des enseignants
inondait les rues de manifestants
dénonçant des retards de salaires. Il
restera de son mandat le scandale qui a
éclaté lorsque a été révélé que, en mars
et mai 2013, à cause de l’incurie de son
ministre de la Communication et du chef
des services de renseignements (qui ont
dû démissionner), elle a utilisé, pour
un déplacement officiel, puis un voyage
privé au Pérou, un jet mis à sa
disposition par Gabriel Morales Fallon,
un homme d’affaires colombien soupçonné
dans son pays d’être lié à des
trafiquants de drogue. Andrés
Pastrana (Colombie). Président de
1998 à 2002, période au cours de
laquelle la lutte antidrogue de son
gouvernement a généré une augmentation
de 47% de production de cocaïne. Selon
des documents audio cités par le
vice-président César Gaviria, une grande
partie de la campagne présidentielle de
Pastrana fut financée par le Cartel de
Cali. D’après la Commission des droits
de l’homme de l’ONU, la situation s’est
considérablement aggravée sous Pastrana
du fait de la montée en puissance des
groupes paramilitaires, avec le
déplacement forcé d’un million de
colombiens. La signature avec Washington
du « plan Colombie » (sans que le
Congrès national n’ait été consulté) a
eu pour principale conséquence de
radicaliser le conflit armé. Miguel
Ángel Rodríguez (Costa Rica).
Premier président de son pays a être
emprisonné pour corruption, notamment
pour des pots-de-vins reçus de
l’entreprise française Alcatel et du
gouvernement de Taiwán, affaires qui
l’obligèrent a démissionner de son poste
de secrétaire général de l’Organisation
des États Américains (OEA) en 2004.
Vicente Fox (Mexique). Le gérant de
Coca-Cola devenu président a
considérablement augmenté son capital
durant son mandat, qui a vu le
narcotrafic étendre son emprise sur tout
le pays. Fox, ainsi que divers membres
de sa famille, ont été mêlés à des
affaires de corruption liées au groupe
pétrolier Pemex. Dans son zèle
néolibéral, il a multiplié les
privatisations (eau, électricité, parcs
naturels, etc.), dans le contexte des
méga-projets continentaux prévus par le
Plan Puebla – Panama (PPP), lui-même
conçu en vue de la concrétisation de la
Zone de libre-échange des Amériques
(ZLEA), chère aux États-Unis. Ces
projets se heurtant à une vive
résistance, la répression s’est
déchaînée à travers la militarisation et
l’émergence de groupes paramilitaires,
en particulier dans les États (Chiapas,
Guerrero, Michoacán, Oaxaca) où survit
80% de la population indigène. (1)
En réalité,
l’objectif de cette opération était
essentiellement diplomatique et
médiatique, et s’inscrit dans la logique
d’un coup d’État et/ou d’une
intervention extérieure : légitimer la
création d’un gouvernement parallèle
de la droite pour le faire
reconnaître internationalement, et
accentuer la pression internationale sur
le gouvernement vénézuélien pour le
forcer à renoncer à organiser
l’élection d’une Assemblée Constituante.
Comme l’a exigé dès le lendemain 17
juillet,
l’Union Européenne, à qui l’Espagne
de Rajoy a exigé des « sanctions
sélectives » contre Caracas si ce
scrutin était organisé (2).
Appendice d’une
droite néolibérale qui prépare
patiemment son retour au pouvoir « par
tous les moyens », le quotidien français
« Libération» semble avoir oublié pour
un temps que le Venezuela est une
« dictature ». Notons sur les
tee-shirts, la présence de l’icône de
Leopoldo Lopez, leader de l’extrême
droite vénézuélienne, co-organisateur du
coup d’État manqué contre le président
Chavez en avril 2002, condamné pour
l’organisation de violences meurtrières
qui ont causé la mort de 43 personnes en
2014, transformé par les médias
internationaux en « prisonnier politique
». Membre de l’oligarchie vénézuélienne,
formé dans une institution étroitement
liée à la CIA – la Kennedy School of
Government de Harvard, il a pour mentor
principal l’ex-président colombien
Alvaro Uribe. A récemment bénéficié
d’une mesure lui permettant de purger sa
peine à domicile dans un quartier huppé
de Caracas. Pour une galerie
non-complaisante de photos de ce «
combattant de la liberté » et de ses
amis paramilitaires, voir « Venezuela :
la presse française lâchée par sa source
? »,
http://wp.me/p2ahp2-20J
Venons-en à présent
à l’autre scrutin, organisé le même 16
juillet : il s’agissait de l’essai du
système électoral qui permettra à la
population de voter au suffrage
universel et secret pour les députés de
l’Assemblée Constituante, le 30 juillet
prochain. Son occultation par les
médias, en parallèle aux menaces de
l’Union Européenne et de la Maison
Blanche, est d’autant plus significative
qu’il a, lui, connu une
affluence record : le visibiliser
contredirait leur storytelling sur la
« dictature bolivarienne » et freinerait
le scénario en marche de la destruction
du gouvernement Maduro. C’est la
première fois que les files de votants
ont dépassé l’horaire prévu par le
Centre National Électoral, dont les
bureaux ont été débordés par une
participation trois fois plus importante
que celle des meilleurs essais
électoraux. Une participation populaire
qui a surpris jusqu’au chavisme
lui-même, en ces temps de repli et de
dépolitisation liés à la guerre
économique et au mécontentement
populaire.
Caracas,
le 16 juillet 2017. Affluence populaire
pour l’essai du système électoral qui
permettra aux citoyens de choisir les
députés de la future Assemblée
Constituante, le 30 juillet.
Le black-out des
médias occidentaux confirme l’option
déjà observée dans le traitement des
manifestations anti-Dilma Roussef :
contribuer au renversement de
démocraties de gauche en Amérique
Latine. Dans le cas du Venezuela
bolivarien, les journalistes ont déjà
fait passer pour une révolte populaire
une insurrection de droite à laquelle 90
% de la population ne participe pas,
celle-ci rejetant très majoritairement
ces violences (3). Cette fois, ils
occultent l’existence d’un débat
national, pluraliste, où des
citoyen(ne)s de tout bord
élaborent les propositions à discuter au
sein de la future Assemblée
Constituante, telles la transformation
du modèle économique, le renforcement de
l’État, une défense accrue des droits
culturels et des droits des minorités,
le développement de la démocratie
participative et du modèle communal, ou
encore la défense de l’environnement
et la construction de l’écosocialisme.
(4)
Thierry Deronne,
Venezuela, 17 juillet 2017.
Notes :
(1) Lire de Maurice
Lemoine, « Quand le gang des « has been
» d’Amérique latine et d’Espagne se
mobilise contre le Venezuela »,
http://www.medelu.org/Quand-le-gang-des-has-been-d.
Du même auteur, lire « Les
enfants cachés du général Pinochet.
Précis de coups d’État modernes et
autres tentatives de déstabilisation »,
Don Quichotte, Paris, 2015.
(2)
https://www.rtbf.be/info/monde/detail_venezuela-l-ue-appelle-a-la-suspension-de-la-constituante?id=9662462
(3)
https://fr.scribd.com/document/346935915/Monitor-Pais-al-17-Abril-2017-Protestas-Violentas#from_embed
(4) Pour un petit
échantillon du débat en cours,
Droits culturels: une opportunité pour
l’Assemblée Constituante, 13 juillet
2017 ;
Comment effacer l’ALCA de notre
Constitution, 9 juillet 2017
Reçu de Thierry Deronne pour publication
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