Al Manar
Pourquoi n’y a-t-il pas de « lobby arabe
» en Occident ?
Sobhi Ghandour
Samedi 17 mars 2018
Face au lobby israélien, il faut
construire un lobby arabe autour de
l’identité palestinienne afin de
mobiliser l’ensemble des communautés
arabes vivant en Occident
La première semaine
de mars s’est tenue dans la capitale
américaine la conférence annuelle de
l’AIPAC, connu aux niveaux médiatique et
politique comme incarnant le « lobby
israélien » aux Etats-Unis ; en présence
de nombreux membres de l’administration
Trump et du Congrès américain, sans
oublier le Premier ministre israélien
Netanyahou.
Où est le « lobby
arabe » aux Etats-Unis ?
Cette année, comme
chaque année, beaucoup se demandent : où
est le « lobby arabe » aux Etats-Unis ?
Cette question est valable dans la
plupart des pays occidentaux, où les
forces sionistes soutenant Israël
s’activent sans avoir d’équivalent aux
niveaux arabe et palestinien. D’où vient
donc cette négligence arabe face à
l’activisme en faveur d’Israël ?!
C’est peut-être dès
le départ une erreur de comparer la
situation des Arabes aux Etats-Unis (ou
dans les autres pays occidentaux) à
celle des Juifs américains et européens.
Les « Arabes américains » sont nouveaux
aux Etats-Unis et dans une situation
complètement différente de celle des
Juifs. Les Arabes sont arrivés récemment
aux Etats-Unis en tant qu’immigrés
venant de plusieurs pays vers une
nouvelle patrie, alors que les Juifs
sont des citoyens américains ayant
contribué à l’établissement d’une patrie
(Israël) au cœur du monde arabe. C’est
donc la situation inverse du cas arabe
et musulman américain, avec les
problèmes d’intégration dans la société
américaine que ce dernier comporte.
La situation des
Arabes aux Etats-Unis est aussi
différente aux niveaux politique et
social. Beaucoup d’entre eux ont émigré
pour des raisons politiques ou
économiques mais la plupart à cause des
problèmes de sécurité que traverse le
monde arabe, ce qui a un impact sur la
relation entre les Arabes des Etats-Unis
et le monde arabe. La relation des Juifs
américains avec Israël est celle de
personnes ayant participé à la
construction de cet Etat et non
d’émigrés (volontaires ou contraints).
Il n’y a pas de
compétition objective dans la société
américaine car il n’existe pas
d’institutions officielles ou
médiatiques américaines aux mains de la
communauté arabe concurrençant la
communauté juive. La comparaison n’est
donc pas équitable.
Des relations
diverses entre plus de 20 Etats arabes
et les Etats-Unis
Le lobby israélien
aux Etats-Unis ne s’occupe que du lien
entre Israël et l’Amérique alors que les
organisations arabo-américaines doivent
composer avec des relations diverses
entre plus de vingt Etats arabes et les
Etats-Unis. Les Arabes américains sont
confrontés à une division des Arabes
alors que le « lobby israélien » ne
défend qu’une seule entité : Israël.
D’autre part, les
Arabes américains ont un problème de
définition d’identité et peu
d’expérience politique, ce qui n’est pas
le cas des Juifs américains. Les Arabes
sont arrivés aux Etats-Unis en
provenance de pays à l’expérience
démocratique limitée ; sans oublier
l’impact des conflits nationaux dans
certains pays arabes sur l’identité
arabe commune.
3 catégories
différentes au sein des communautés
arabes d’Occident
La communauté arabe
aux Etats-Unis et en Europe se répartit
en trois catégories différentes : les «
Américains arabes », qui sont les
enfants de la première génération
d’immigrés ; les « Arabes américains »,
constituant la seconde génération, qui
ne s’est pas totalement fondue dans la
société américaine mais qui est bien
intégrée et participe au processus
électoral ; enfin les « Arabes vivant
aux Etats-Unis », qui ne sont pas encore
devenus des citoyens américains. Alors
que la plupart des « Américains arabes »
n’ont plus de contacts avec les pays
arabes d’origine, la troisième catégorie
(les nouveaux immigrés) n’ont pas de
contacts profonds avec la société
américaine. Chacune de ces catégories à
une vision différente de la vie aux
Etats-Unis et de son rôle dans la
société ; sans oublier la multiplicité
des appartenances religieuses,
confessionnelles et ethniques à
l’intérieur de la communauté arabe.
Certains se dirigent vers des
organisations musulmanes, ce qui met à
l’écart la moitié de la communauté
arabe, car la majorité des membres de la
communauté arabe aux Etats-Unis ont des
racines chrétiennes. Dans le même temps,
la majorité des membres de la communauté
musulmane n’ont pas d’origines arabes.
Faut-il donc viser seulement un « lobby
arabe », ou un « lobby musulman » dans
lequel les points négatifs indiqués
ci-dessus au niveau de la communauté
arabe seraient encore bien plus nombreux
?!
Une double identité
Les immigrés
arabes, où qu’ils soient, ont en fait
deux identités : celle de leur pays
arabe d’origine et celle de la nouvelle
patrie vers laquelle ils ont émigré. Ces
dernières années, notamment après le 11
septembre 2001, de nombreux événements
ont eu un impact négatif sur les deux
identités. Aux Etats-Unis, on s’est mis
à douter de l’identité américaine des
citoyens d’origine arabe, de leur
loyauté ou de leur appartenance à la
société américaine. Beaucoup d’Arabes
ont souffert dans de nombreux Etats
américains de ce sentiment négatif de la
plupart des Américains envers tout ce
qui a un lien avec les Arabes, l’arabité
et l’Islam.
Ce soupçon des
Américains envers « l’identité
américaine » des citoyens d’origine
arabe a été accompagné d’une remise en
question de leur identité arabe
d’origine par les immigrés arabes
eux-mêmes. Ils ont essayé de la
remplacer par des identités secondaires
d’ordre confessionnel pour certaines,
d’ordre ethnique ou régional dans le
meilleur des cas pour d’autres.
Un « lobby » bâti
autour de l’identité palestinienne
Les circonstances
objectives négatives dans lesquelles se
trouvent les communautés arabe et
musulmane font que le « lobby » désiré
devra être d’identité palestinienne et
bâti autour d’elle. Il faut peut-être
que « l’Organisation de Libération
de la Palestine » prenne l’initiative de
fonder une « Alliance du peuple
palestinien », constituant un cadre
général rassemblant les élites de la
diaspora palestinienne dans tout
l’Occident, notamment aux Etats-Unis,
mais à deux conditions : que l’objectif
de cette Alliance soit de construire une
organisation démocratique loin des
divisions partisanes présentes au sein
de l’Organisation de Libération, et que
l’ « Alliance » soit constituée en
organisant dans les villes américaines
et européennes des conférences
palestiniennes populaires et publiques
élisant des membres représentant dans
cette Alliance.
La cause palestinienne est un axe autour
duquel se rejoignent la plupart des
Arabes
Aux Etats-Unis, les
activistes palestiniens apportent une
contribution importante à la cause
palestinienne mais leurs initiatives
sont individuelles, notamment dans le
domaine de la politique américaine et
les campagnes électorales. Ils ne
parviennent pas à inscrire ces
initiatives dans un cadre palestinien
plus large englobant tous les Etats.
La cause
palestinienne est un axe autour duquel
se rejoignent la plupart des Arabes où
qu’ils se trouvent. Cette cause est à
l’origine du conflit arabo-sioniste qui
s’étend sur plus d’un siècle, depuis la
Déclaration Balfour et la soumission des
pays arabes à l’hégémonie européenne,
suivie par la fondation de l’Etat
d’Israël et le début du conflit avec les
Etats arabes voisins.
Par Sobhi
Ghandour, directeur du Centre Al
Hewar de Washington
Source : Ar-Raï Al Yaoum; Traduit
par Actuarabe
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