L'Orient Le Jour
Le Liban uni
pour réclamer le retour de Hariri à
Beyrouth
Scarlett Haddad
Scarlett
Haddad
Samedi 11 novembre 2017
Chaque jour qui
passe confirme les interrogations sur le
sort du Premier ministre Saad Hariri. Au
point qu’à l’issue de la réunion, hier,
de la direction du courant du Futur sous
l’égide de l’ancien Premier ministre
Fouad Siniora, un communiqué donne
clairement la priorité au retour de
M. Hariri à Beyrouth. Ce qui était
samedi dernier de simples rumeurs
sujettes à controverse est désormais une
réalité : il y a quelque chose d’anormal
dans le séjour de Saad Hariri à Riyad.
Et ce ne sont pas quelques réunions
annoncées avec des ambassadeurs
occidentaux à Riyad qui vont suffire à
lever toutes les ambiguïtés qui
entourent les circonstances de son
séjour soudain en Arabie, alors que ses
proches continuent à ne pas pouvoir
l’atteindre par téléphone ou, en tout
cas, avoir de véritables conversations
avec lui.
D’ailleurs, tous
ceux qui affirment être entrés en
contact avec lui se contentent de dire
qu’il va bien et qu’il devrait rentrer
bientôt au Liban, sans fournir plus de
détails, alimentant ainsi le flou autour
de sa situation réelle. Aujourd’hui,
tous les Libanais s’interrogent donc sur
le sort de leur Premier ministre et
réclament des précisions, pointant plus
ou moins du doigt les dirigeants
saoudiens.
En quelques jours,
une grande partie de l’opinion publique
libanaise s’est donc retournée et au
lieu de reprendre les thèses du ministre
saoudien chargé des Affaires du Golfe,
Thamer al-Sabhane, sur la nécessité
d’isoler le Hezbollah, voire de lui
déclarer la guerre, elle pose des
questions sur les circonstances de la
démission télévisée de Saad Hariri.
En donnant, dès
samedi, la priorité au retour de Saad
Hariri au Liban pour présenter sa
démission selon les formes et dans le
respect des usages étatiques, le
président de la République a donc fait
preuve d’une grande sagesse.
Aujourd’hui, il est
clair que le plan avait été mis au point
pour créer une crise politique grave et
diviser encore plus les Libanais. La
démission-surprise et surtout le texte
contenant des attaques violentes contre
le Hezbollah étaient destinés à monter
les Libanais contre cette formation pour
pousser les autorités à former un
gouvernement qui puisse l’isoler et
l’affaiblir.
De fait, profitant
du choc causé par la démission du
Premier ministre, les personnalités
radicales du 14 Mars se sont relayées
sur les chaînes de télévision pour
expliquer le contenu de la déclaration
de Saad Hariri et préciser que sa
démission était dictée par son ras-le
bol à l’égard du comportement du
Hezbollah et à travers lui de l’Iran.
Ces personnalités ont occulté le
scénario de la démission pourtant
suspect, pour déplacer le débat vers la
condamnation du Hezbollah.
Si cette
condamnation s’était confirmée, le pays
serait aujourd’hui en pleine crise non
pas seulement institutionnelle, mais
aussi politique et populaire, avec des
rues mobilisées et radicalisées. Le chef
de l’État a donc immédiatement réagi
pour recentrer le débat et donner la
priorité au retour de Saad Hariri au
Liban. Les « faucons du 14 Mars » ont
commencé par tourner en dérision cette
démarche reprenant le refrain de la
libre décision du Premier ministre et
justifiant sa présence en Arabie par des
menaces sur sa vie, rapidement démenties
par tous les services de sécurité du
pays qui ont précisé dans des
communiqués ne pas être au courant de
tentatives d’assassinat contre le
Premier ministre. En même temps, Baabda
a mené une grande valse de concertations
avec toutes les parties politiques
libanaises, même les plus petites
formations, pour assurer l’unanimité
autour de la démarche consistant à
réclamer le retour du Premier ministre.
La manœuvre, que
certains avaient qualifiée de perte de
temps, a porté ses fruits, puisque
aujourd’hui toutes les parties
reconnaissent l’existence d’anomalies
dans le séjour prolongé de Saad Hariri à
Riyad. La presse locale et étrangère se
pose des questions à ce sujet et,
aujourd’hui, les ambassadeurs en poste
devraient être officiellement sollicités
par le chef de l’État pour réclamer à
leur tour le retour de Saad Hariri à
Beyrouth.
Par ce procédé, le
président Aoun – et avec lui le
président de la Chambre et le chef druze
Walid Joumblatt qui ont approuvé sa
démarche et appelé à l’unité et à
l’apaisement – a pratiquement réussi à
retourner la situation. Au lieu de
laisser la discorde interne
s’approfondir, il a réussi à obtenir un
front libanais uni derrière le Premier
ministre qui ne sera considéré comme
démissionnaire que lorsqu’il aura
clairement annoncé cette intention au
Liban. De même, les autorités
saoudiennes, qui croyaient que le
scénario de la démission bouclé à la
va-vite pouvait convaincre les Libanais
trop occupés à s’entre-déchirer, se
sentent désormais sur la sellette. Elles
ont d’ailleurs jeté un peu de lest en
organisant des rencontres entre
M. Hariri et des ambassadeurs
occidentaux et elles promettent aussi
d’assurer une rencontre entre le
patriarche Raï et le Premier ministre,
au cours de la visite que compte
effectuer le chef de l’Église maronite à
Riyad. Mais toutes ces initiatives ne
font que confirmer les doutes soulevés
par cette démission unique en son genre
dans l’histoire du Liban et peut-être
aussi dans le monde.
Et maintenant ? Des
sources diplomatiques arabes au Liban
estiment que l’attitude des responsables
libanais va probablement augmenter la
colère des dirigeants saoudiens qui vont
essayer de trouver de nouveaux moyens
pour poursuivre leur offensive contre le
Hezbollah. Le ministre al-Sabhane l’a d’ailleurs annoncé dans un tweet
hier. La crise est donc loin d’être
terminée, mais le premier obstacle a été
surmonté.
Scarlett HADDAD
10 novembre 2017
Le
dossier Liban
Les dernières mises à jour
|