Palestine
Pourquoi nous faisons la grève de la
faim
dans les geôles israéliennes
Marwan Barghouti
Mercredi 26 avril 2017
Source :
https://www.nytimes.com/2017/04/16/opinion/palestinian-hunger-strik-prisoners-call-for-justice.html?_r=1
(via
http://normanfinkelstein.com/2017/04/17/on-palestinian-prisoners%e2%80%8b/)
Traduction :
http://sayed7asan.blogspot.fr/
HADARIM PRISON,
Israël – Ayant passé les 15 dernières
années dans une prison israélienne, j’ai
été à la fois témoin et victime du
système illégal d’arrestations
arbitraires massives d’Israël et de ses
mauvais traitements infligés aux
prisonniers palestiniens. Après avoir
épuisé toutes les autres options, j’ai
décidé qu’il n’y avait pas d’autre choix
que de résister à ces abus en faisant
une grève de la faim.
Quelque mille prisonniers palestiniens
ont décidé de participer à cette grève
de la faim, qui commence aujourd’hui, le
jour que nous observons ici comme le
Jour des prisonniers. La grève de la
faim est la forme la plus pacifique de
résistance disponible. Elle inflige des
souffrances uniquement à ceux qui y
participent et à leurs proches, dans
l’espoir que leur ventre vide et leur
sacrifice aideront le message à résonner
au-delà des limites de leurs cellules
sombres.
Des décennies d’expérience ont prouvé
que le système inhumain d’occupation et
d’occupation militaire d’Israël vise à
briser l’esprit des prisonniers et la
nation à laquelle ils appartiennent, en
infligeant des souffrances à leur corps,
en les séparant de leurs familles et de
leurs communautés, en utilisant des
mesures humiliantes pour les contraindre
à l’assujettissement. Malgré un tel
traitement, nous ne nous y soumettrons
pas.
Israël, la puissance occupante, a violé
le droit international de multiples
façons depuis près de 70 ans, mais s’est
cependant vu octroyer l’impunité pour
ses actions. Elle a commis des
violations graves des Conventions de
Genève contre le peuple palestinien; les
prisonniers, y compris les hommes, les
femmes et les enfants, ne font pas
exception.
J’avais seulement 15 ans quand j’ai été
emprisonné pour la première fois.
J’avais à peine 18 ans quand un
interrogateur israélien m’a forcé à
écarter les jambes alors que je me
tenais nu dans la salle d’interrogatoire
avant de frapper mes organes génitaux.
Je me suis évanoui de douleur, et la
chute qui en a résulté a laissé une
cicatrice permanente sur mon front.
L’interrogateur s’est moqué de moi
ensuite, disant que je n’aurais jamais
d’enfants parce que les gens comme moi
ne donnent naissance qu’à des
terroristes et des meurtriers.
Quelques années plus tard, j’étais de
nouveau dans une prison israélienne,
meneur d’une grève de la faim, lorsque
mon premier fils est né. Au lieu des
bonbons que nous distribuons
habituellement pour célébrer de telles
nouvelles, j’ai distribué du sel aux
autres prisonniers. A peine âgé de 18
ans, il a été arrêté et a passé quatre
ans dans les prisons israéliennes.
L’aîné de mes quatre enfants est
maintenant un homme de 31 ans. Pourtant,
je suis toujours ici, à poursuivre cette
lutte pour la liberté avec des milliers
de prisonniers, des millions de
Palestiniens et le soutien de tant de
personnes dans le monde. Qu’y a-t-il
donc avec l’arrogance de l’occupant et
de l’oppresseur et ses partisans qui les
rende sourds à cette simple vérité : nos
chaînes seront brisées avant que nous le
soyons, parce que c’est la nature
humaine que de répondre à l’appel de la
liberté, quel que soit le prix.
Israël a construit presque toutes ses
prisons à l’intérieur d’Israël plutôt
que dans les territoires occupés. Ce
faisant, il a transféré illégalement et
de force des civils palestiniens en
captivité et a utilisé cette situation
pour restreindre les visites des
familles et pour infliger des
souffrances aux prisonniers par de longs
transports dans des conditions cruelles.
Cela a transformé les droits
fondamentaux qui devraient être garantis
par le droit international – y compris
ceux obtenus après maintes souffrances
par les grèves de la faim antérieures –
en des privilèges que leur service
pénitentiaire décide de nous accorder ou
dont il décide de nous priver.
Les prisonniers palestiniens et les
détenus ont subi des actes de torture,
des traitements inhumains et dégradants
et des négligences médicales. Certains
ont été tués en détention. Selon le
dernier chiffre du Club des Prisonniers
Palestiniens, environ 200 prisonniers
palestiniens sont décédés depuis 1967 à
cause de telles actions. Les prisonniers
palestiniens et leurs familles restent
également une cible privilégiée de la
politique israélienne d’imposition de
punitions collectives.
A travers notre grève de la faim, nous
cherchons à mettre un terme à ces abus.
Au cours des cinq dernières décennies,
selon le groupe des droits de l’homme
Addameer, plus de 800 000 Palestiniens
ont été emprisonnés ou détenus par
Israël – soit environ 40% de la
population masculine du territoire
palestinien. Aujourd’hui, environ 6 500
sont encore emprisonnés, dont certains
ont la triste distinction de détenir des
records mondiaux des plus longues
périodes de détention de prisonniers
politiques. Il n’y a pratiquement pas
une seule famille en Palestine qui n’ait
pas subi les souffrances causées par
l’emprisonnement d’un ou de plusieurs de
ses membres.
Comment rendre compte de cet état des
choses incroyable ?
Israël a mis en place un double régime
juridique, une forme d’apartheid
judiciaire, qui offre une impunité
virtuelle aux Israéliens qui commettent
des crimes contre des Palestiniens, tout
en criminalisant la présence et la
résistance palestiniennes. Les tribunaux
d’Israël sont une parodie de justice,
clairement des instruments d’occupation
coloniale et militaire. Selon le
Département d’Etat, le taux de
condamnation pour les Palestiniens dans
les tribunaux militaires est de près de
90 %.
Parmi les centaines
de milliers de Palestiniens qui ont été
emprisonnés par Israël, se trouvent des
enfants, des femmes, des parlementaires,
des militants, des journalistes, des
défenseurs des droits de l’homme, des
universitaires, des personnalités
politiques, des militants, des passants,
des membres de la famille de
prisonniers. Et tous dans le même but :
enterrer les aspirations légitimes d’une
nation entière.
Au lieu de cela,
cependant, les prisons israéliennes sont
devenues le berceau d’un mouvement
durable pour l’autodétermination
palestinienne. Cette nouvelle grève de
la faim va démontrer une fois de plus
que le mouvement des prisonniers est la
boussole qui guide notre lutte, la lutte
pour la Liberté et la Dignité, le nom
que nous avons choisi pour cette
nouvelle étape dans notre longue marche
vers la liberté.
Israël a essayé de
nous désigner tous comme des terroristes
pour légitimer ses violations, y compris
les arrestations arbitraires massives,
la torture, les mesures punitives et les
restrictions drastiques. Dans le cadre
de l’effort d’Israël pour saper la lutte
palestinienne pour la liberté, un
tribunal israélien m’a condamné à cinq
condamnations à perpétuité et à 40 ans
de prison dans un procès
politique-spectacle qui a été dénoncé
par les observateurs internationaux.
Israël n’est pas le
premier pouvoir occupant ou colonial à
recourir à de tels expédients. Tout
mouvement de libération nationale dans
l’histoire peut rappeler des pratiques
similaires. C’est pourquoi tant de
personnes qui ont lutté contre
l’oppression, le colonialisme et
l’apartheid se tiennent à nos côtés. La
Campagne internationale pour libérer
Marwan Barghouti et tous les prisonniers
palestiniens que l’icône anti-apartheid
Ahmed Kathrada et ma femme, Fadwa, ont
inaugurée en 2013 depuis l’ancienne
cellule de Nelson Mandela à Robben
Island a bénéficié du soutien de huit
lauréats du prix Nobel de la paix, de
120 gouvernements et de centaines de
dirigeants, de parlementaires,
d’artistes et d’universitaires à travers
le monde.
Leur solidarité expose l’échec moral et
politique d’Israël. Les droits ne sont
pas accordés par un oppresseur. La
liberté et la dignité sont des droits
universels qui sont inhérents à
l’humanité, et dont doit jouir chaque
nation et tous les êtres humains. Les
Palestiniens ne seront pas une
exception. Seule la fin de l’occupation
mettra fin à cette injustice et marquera
la naissance de la paix.
Marwan Barghouti
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