LE CRI DES PEUPLES
Un hôpital de Jérusalem
où les bébés
Palestiniens meurent seuls
Olivier Holmes
Lundi 23 décembre 2019 Par Oliver
Holmes (Jérusalem) et Hazem Balousha
(Gaza)
Source :
The Guardian
Traduction :
lecridespeuples.fr
Le blocus
israélien sur Gaza sépare les parents de
leurs nourrissons gravement malades
voire atteints de maux incurables.
L’unité de soins
intensifs néonatals de l’hôpital
Makassed à Jérusalem-Est
À première vue,
tout semblait normal à l’unité de soins
intensifs pour enfants. Neuf lits
étaient occupés par neuf minuscules
nouveau-nés, tous avec des tubes
attachés à leur corps branché à de
multiples appareils. Les moniteurs
émettaient des bips électroniques
réguliers. Les infirmières marchaient de
chevet en chevet. Un pédiatre à l’air
fatigué remplissait des documents.
Pourtant, il
manquait quelque chose : il n’y avait
pas de parents.
Certains avaient
été renvoyés chez eux pour se reposer,
ou buvaient du café avec anxiété dans la
cafétéria du rez-de-chaussée. Mais pour
deux bébés de cet hôpital palestinien de
Jérusalem, leurs mères étaient coincées
à une heure et demie derrière un blocus
imposé par Israël à Gaza. Les deux
nourrissons mourraient plus tard, l’un
sans revoir sa mère.
Les nourrissons
palestiniens gravement malades
transportés de la bande de Gaza,
appauvrie et frappée par la guerre, vers
l’hôpital de Makassed, mieux équipé,
souffrent et meurent seuls.
Hiba Swailam, 24
ans, portant son bébé de cinq mois à
Beit Lahia.
Israël peut
autoriser une sortie temporaire de Gaza
pour des raisons médicales dans certains
cas,
mais pas tous. Dans le même temps,
Israël empêche ou retarde sérieusement
le départ de nombreux parents de
patients, et d’autres ne demandent même
pas d’autorisation, craignant que des
contrôles de sécurité approfondis pour
les adultes ne retardent le permis de
sortie de leur enfant, perdant ainsi du
temps vital.
Depuis le début de
l’année dernière, 56 bébés de Gaza ont
été séparés de leur mère et de leur
père, et six ont péri sans la présence
d’un de leurs parents, selon l’hôpital.
Dans un cas, une
mère de Gaza âgée de 24 ans a été
autorisée à se rendre à Jérusalem pour
donner naissance à des triplés gravement
malades prématurés de deux mois. Deux
pesaient moins qu’un sac de sucre.
Mais le permis de
Hiba Swailam a expiré et elle a dû
retourner à Gaza. Elle n’était pas là
lorsque son premier bébé est décédé à
l’âge de neuf jours, ni deux semaines
plus tard lorsque son deuxième bébé est
également décédé. Elle en a été informée
par téléphone. [La vie éphémère de ses
nourrissons s’est déroulée sans qu’elle
puisse y prendre part, et sans qu’ils
puissent goûter à l’amour maternel.]
Shahad Swelem
L’enfant survivant,
Shahad, a passé les premiers mois de sa
vie entre les bras d’infirmières, et
Hiba n’a pu voir sa fille que par appels
vidéo. Alors que le bébé était prêt à
sortir depuis février, aucun membre de
la famille n’a pu être autorisé à
quitter Gaza pour la récupérer.
Après avoir été
approchées à ce sujet, les autorités
israéliennes ont finalement autorisé
Swailam à quitter Gaza. Elle a été
autorisée à se rendre à Jérusalem le
jour même où Israël a répondu à la
demande de commentaires du Guardian,
le 29 mai. [Il n’est pas difficile de
présumer que sans l’intervention du
Guardian, ils attendraient encore,
et qu’Israël était plus soucieux de son
image à l’international que des
souffrances des Palestiniens.]
Médecins
d’Israël pour les droits de l’homme,
une organisation médicale israélienne à
but non lucratif, a déclaré que plus de
7 000 permis avaient été délivrés à des
mineurs de Gaza l’année dernière. Moins
de 2 000 permis pour les parents ont été
accordés, ce qui implique que la plupart
des enfants ont voyagé sans leur mère et
sans leur père. Mor Efrat, directeur du
groupe pour les territoires palestiniens
occupés, a déclaré que « le gouvernement
israélien devrait être tenu responsable
des souffrances humaines qu’il inflige.
»
La séparation des
nourrissons malades de leurs parents
peut avoir des effets dévastateurs.
Selon les médecins, l’un des triplés
décédés lorsque leur mère était à Gaza
était atteint d’entérocolite
nécrosante, une condition pour
laquelle selon l’UNICEF,
l’une des meilleures mesures préventives
est l’allaitement maternel. « Je ne
peux pas affirmer que si la mère était
là, ils n’auraient pas été atteints,
mais cela aurait diminué leurs chances
d’être touchés par cette maladie », a
déclaré Hatem Khammash, chef de l’unité
néonatale.
Hiba Swailam
portant sa fille Shahad, avec son mari
Mohammad
et sa belle-mère Khadra à Beit
Lahia
Ibtisam Risiq,
l’infirmière de service en charge de
l’unité de soins intensifs pédiatriques,
a observé un effet psychologique sur les
nouveau-nés qui sont seuls sous ses
soins. « Ils ont cruellement besoin
d’amour. Leur rythme cardiaque augmente.
Ils sont déprimés », a-t-elle déclaré.
Assise à son
bureau, des piles de papier partout,
elle regardait ses infirmières se
démener pour maintenir les bébés en vie.
Elle les a grondées pour avoir laissé
des emballages médicaux traîner au sol.
Un grand écran d’ordinateur derrière
elle montrait la fréquence cardiaque de
chacun des patients. Pendant qu’elle
parlait, l’un a sauté à 200 battements
par minute. « Elle devrait être à 130 »,
a-t-elle dit, et elle a rapidement
envoyé une infirmière au chevet du
nourrisson.
Les médecins
entraient et sortaient. Risiq a décroché
le téléphone pour discuter avec un
administrateur qui avait appelé parce
qu’un autre nourrisson avait besoin de
soins urgents. Ils ont demandé en vain
si l’un des patients de Risiq était
suffisamment stable pour déménager dans
une unité à moindre risque.
« Nous sommes à
100% d’occupation », a déclaré Risiq. «
Cela arrive tous les jours. J’y fais
face tous les jours. »
Déjà aux prises
avec des difficultés financières,
Makassed a vacillé depuis que Donald
Trump a
coupé des millions de dollars en aide
médicale aux Palestiniens et à
d’autres hôpitaux qui soignent les
Palestiniens de Jérusalem-Est.
Une rivalité
politique vicieuse entre les factions
politiques palestiniennes en Cisjordanie
et à Gaza a également contribué à
aggraver la crise sanitaire. L’Autorité
palestinienne (AP) basée en Cisjordanie,
le seul groupe avec lequel Israël assure
une liaison, a été
accusée de couper l’aide médicale à Gaza
pour pousser le Hamas à céder le
contrôle de la bande.
Saleh al-Ziq, chef
du bureau de l’Autorité palestinienne
pour Gaza qui transmet les demandes de
permis de sortie à Israël, a déclaré
qu’il recommandait que les enfants
malades ne soient accompagnés que de
personnes âgées de plus de 45 ans, dont
les autorisations étaient généralement
accordées plus rapidement par les
autorités israéliennes.
Le résultat est
qu’au lieu des parents, généralement
plus jeunes, Makassed est plein de
grands-parents. L’hôpital doit assurer
leur logement et leur nourriture et a
installé des roulottes à l’extérieur
pour qu’ils puissent y dormir. Mais dans
certains cas, ils doivent eux aussi
retourner à Gaza, et les bébés sont
laissés complètement seuls.
À l’Unité de soins
intensifs pédiatrique, Risiq prend un
grand livre vert rempli de ses dossiers
d’admission griffonnés, dont beaucoup de
bébés prématurés.
Un nouveau-né,
Reema Abu Eita, est venu avec sa
grand-mère de Gaza pour une intervention
chirurgicale d’urgence sur la moelle
épinière. Cela a été retardé car elle
avait une infection, a déclaré Risiq en
regardant le bébé, qui avait les yeux
fermés et dont la poitrine était
artificiellement insufflée d’oxygène. Le
père d’Abu Eita, ambulancier, a réussi à
obtenir un permis pour rendre visite à
sa fille, mais le bébé est décédé avant
de retourner à Gaza, et sans que sa mère
puisse le revoir.
Un autre nouveau-né
de Gaza, Khalil Shurrab, est venu avec
une hypertrophie du foie. Atteint de
jaunisse, il avait souffert de
convulsions.
La grand-mère de
Khalil l’accompagnait, selon son père,
qui a rapporté les faits depuis Gaza. «
Le personnel de l’hôpital lui a appris à
nous envoyer des photos de notre bébé
sur WhatsApp », a déclaré Jihad Shurrab,
29 ans.
Sa femme, Amal, a
déclaré qu’elle avait cessé de dormir
après le départ de son fils. « J’aurais
tant souhaité pouvoir aller avec lui à
Jérusalem. Je suppliais tout le monde,
mais ils ont dit que j’étais jeune et
que les Israéliens n’acceptaient pas. »
Au grand
soulagement des familles, Makassed a
finalement libéré Khalil après un mois,
et le bébé a pu retourner à Gaza. Mais
quand il est revenu, ils ont découvert
que les médicaments requis n’étaient pas
disponibles localement. « Le gonflement
augmentait », a déclaré son père. Il a
décidé d’essayer de quitter Gaza vers le
sud via l’Egypte, qui impose également
un blocus mais autorise les déplacements
dans certains cas. « Le jour où nous
devions voyager, il est mort. »
Israël prétend que
son blocus terrestre, aérien et maritime
contre Gaza vise à empêcher le Hamas et
d’autres groupes militants de lancer des
attaques.
L’ONU le considère comme une « punition
collective » pour les 2 millions de
personnes prises au piège là-bas. Les
résidents appellent cela un siège.
Cogat, l’organisme
du ministère de la Défense chargé de
coordonner les activités du gouvernement
israélien dans les territoires
palestiniens, a déclaré dans une réponse
écrite qu’il n’y avait pas de
limitations d’âge pour les permis et que
chaque demande était examinée
individuellement.
Concernant le cas
des triplés, il a indiqué qu’à cause
d’une « erreur humaine dans les
formulaires de demande », une demande
déposée par la mère en avril avait été
rejetée.
Il a imputé la
crise sanitaire à Gaza au Hamas et à
l’Autorité palestinienne, qui selon lui,
« a massivement réduit son budget d’aide
médicale aux résidents de la bande de
Gaza ». Le Hamas aurait utilisé des
patients comme des mules pour faire
passer clandestinement des explosifs et
des « fonds terroristes » en Israël,
a-t-il ajouté (sic).
Cogat est « actif
dans la délivrance de dizaines de
milliers de permis pour les patients
ainsi que dans la délivrance de permis
pour les médecins palestiniens, qui
reçoivent une formation dans les
hôpitaux en Israël », a-t-il ajouté.
L’unité de soins
intensifs néonatals de l’hôpital Al
Makassed à Jérusalem-Est
S’il est plus
difficile pour les habitants de Gaza de
sortir, Makassed est aussi un hôpital de
secteur pour la Cisjordanie, et les
parents palestiniens y trouvent
également difficile, parfois impossible,
de se rendre à l’hôpital. Israël
revendique la souveraineté sur tout
Jérusalem et a même isolé ses quartiers
arabes majoritaires du reste des
territoires palestiniens. Certains
patients, dont de nombreux enfants
atteints de cancer, ont des familles qui
vivent à quelques minutes mais ne
peuvent pas leur rendre visite.
La séparation des
enfants de leurs familles est si
courante que les hôpitaux palestiniens
de Jérusalem leur fournissent des
tablettes pour passer des appels via
Skype.
Un organisme de
bienfaisance pour la santé basé au
Royaume-Uni, Medical Aid for
Palestinians, a organisé des visites
de députés britanniques à l’hôpital de
Makassed pour leur montrer les résultats
de la séparation des enfants de leurs
parents.
Une députée
travailliste qui s’est rendue sur place
a déclaré avoir fait pression sur le
gouvernement britannique pour qu’il
intervienne. Rosena Allin-Khan, qui
travaillait comme médecin urgentiste, a
déclaré : « Aucun enfant, où que ce soit
dans le monde, ne devrait être seul au
moment où il en a le plus besoin. Le
gouvernement britannique doit faire
pression sur les autorités israéliennes
pour mettre fin à ce système inhumain. »
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