LE CRI DES PEUPLES
La France, le Royaume-Uni et les
Etats-Unis paieront-ils un jour pour
leurs crimes de guerre au Yémen ?
Darius Shahtahmasebi
In this Tuesday,
March 22, 2016 photo, infant Udai Faisal,
who is suffering from acute
malnutrition,
is
hospitalized
at Al-Sabeen
Hospital in Sanaa,
Yemen.
Udai
died on
March 24.
Hunger has been
the
most
horrific
consequence of
Yemen’s
conflict
and has
spiraled
since
Saudi
Arabia and
its allies,
backed by the U.S.,
launched
a
campaign of
airstrikes and a naval
blockade a
year
ago.
(AP Photo/Maad al-Zikry)
Mercredi 18 septembre2019 Source :
Russia Today, 6 septembre 2019
Traduction :
lecridespeuples.fr
Un
rapport récent du Conseil des droits de
l’homme des Nations unies a révélé
le rôle joué par les États-Unis, le
Royaume-Uni et la France dans la
destruction du Yémen, suscitant des
discussions sur la nécessité que les
responsables du carnage répondent de
leurs actes.
Tawakul Karman,
lauréat du prix Nobel de la paix et
défenseur de la liberté de la presse, a
déclaré un jour au Yemen Times
: « un jour viendra où tous les
auteurs de violations des droits de
l’homme paieront pour ce qu’ils ont fait
au Yémen ». Cette déclaration a été
faite des années avant que les
États-Unis, le Royaume-Uni et la France
aient permis à une coalition dirigée par
l’Arabie Saoudite de ravager toute la
population civile du Yémen par une
multitude d’actions criminelles.
Grâce à un rapport
de l’ONU publié mardi 3 septembre, nous
sommes peut-être plus près du jour où
seront jugés les actes criminels de tous
les auteurs de violations des droits de
l’homme qui ont utilisé la population du
Yémen dans un jeu d’échecs géopolitique
cruel pour faire avancer leur propre
agenda. Les gouvernements occidentaux
répondront-ils de leurs actions, ou
s’agit-il encore d’un vœu pieux ?
Pour ceux qui ont
suivi et documenté de près le conflit au
Yémen, le rapport de l’ONU ne nous
révèle rien que nous ne sachions ou ne
soupçonnions pas déjà. Le document
indique que les États-Unis, le
Royaume-Uni et la France, ainsi que les
coupables évidents de la coalition
dirigée par l’Arabie Saoudite, ont un
certain degré de complicité dans une
série de crimes de guerre potentiels au
cours des cinq dernières années,
notamment des frappes aériennes, des
bombardements indiscriminés, des tirs de
snipers, des mines antipersonnel, des
assassinats et détentions arbitraires,
de la torture, des violences sexuelles
et sexistes et le recours à la famine en
tant que méthode de guerre.
Il est intéressant
de noter que les experts des Nations
Unies ont identifié des personnes
pouvant être responsables de crimes
internationaux et ont transmis ces noms
au Haut Commissaire des Nations Unies.
Lorsque l’identification des noms
n’était pas possible, les experts ont
nommé les groupes responsables.
Se pourrait-il que
cette fois-ci, le Conseil des droits de
l’homme des Nations Unies – dont
l’Arabie saoudite est membre jusqu’à la
fin de l’année – soit sérieux dans sa
volonté de demander des comptes ? [Le
fait que l’Iran soit également mis sur
le banc des accusés, et qu’Israël
n’ait pas été nommé, n’est certes pas de
bon augure à cet égard].
« Cette impunité
endémique – pour les violations et les
exactions commises par toutes les
parties au conflit – ne peut plus être
tolérée, a déclaré le Président de la
commission. Des enquêtes impartiales et
indépendantes doivent être menées pour
demander des comptes à ceux qui ne
respectent pas les droits du peuple
yéménite. La communauté internationale
doit cesser de fermer les yeux sur ces
violations et sur cette situation
humanitaire intolérable. »
Selon le rapport de
l’ONU, les conséquences de cette
situation sont plus vastes que prévu. Si
nous adoptions les conclusions du
rapport, même des pays
tels que l’Australie devraient
revoir leurs politiques.
Inutile toutefois
de s’inquiéter, car selon un
porte-parole du gouvernement britannique,
« le Royaume-Uni a été à la pointe des
efforts internationaux pour apporter une
solution diplomatique au terrible
conflit qui sévit au Yémen. »
En réalité, le
gouvernement britannique aide la
coalition dirigée par les Saoudiens à
bombarder le Yémen en plaçant son
personnel dans la salle de
commandement et de contrôle qui
coordonne les frappes, en
fournissant des bombes fabriquées
par les Britanniques pour faire pleuvoir
les destructions sur le Yémen, en
formant des pilotes saoudiens, en
maintenant et préparant des avions
britanniques en Arabie Saoudite avec
l’aide d’ingénieurs britanniques et de
milliers d’entrepreneurs britanniques,
en fournissant des contingents qui
participent à la mission terrestre
dirigée par l’Arabie Saoudite au Yémen,
et ainsi de suite.
Un employé de BAE a
déclaré à la Chaîne 4 britannique :
« Ils [les Saoudiens] ne pourraient rien
faire sans nous. Si nous n’étions pas
là, en 7 à 14 jours, il n’y aurait plus
un seul avion de combat dans le ciel. »
C’est peut-être ce
qui a poussé l’historien britannique
Mark Curtis à
tweeter : « Aucun ministre de
l’après-guerre n’a jamais rendu de
comptes pour des crimes de guerre commis
à l’étranger, en dépit de nombreux
épisodes horribles de la politique
étrangère britannique. »
Mais n’oublions pas
la France non plus. Alors que le
Président Emmanuel Macron sillonne le
monde drapé de l’aura d’un humanitaire
appelant à la vigilance, à la tolérance,
au respect et à la diplomatie sur toute
la planète, le rapport rappelle de
manière frappante que la France est tout
aussi mue par des visées colonialistes,
car elle martyrise les pays pauvres
derrière des portes closes.
Un
document de la branche française du
renseignement militaire du ministère de
la Défense a fuité, révélant
l’utilisation délibérée d’armes
françaises dans la guerre au Yémen. Les
armes comprennent des chars et des
systèmes de missiles à guidage laser qui
ont été vendus à l’Arabie Saoudite et
aux Emirats Arabes Unis, principaux
protagonistes de la guerre. Le document
aurait même été présenté à Macron
lui-même, qui peut difficilement se
cacher derrière le nuage de son image
extérieure de courtier de la paix (la
France avait auparavant déclaré que les
armes vendues au Royaume saoudien
étaient destinées uniquement à
l’autodéfense). Selon des
rapports, des images satellites, des
vidéos et des photographies prises par
des civils ont montré que certains de
ces chars achetés par les Emirats Arabes
Unis avaient pris part aux offensives de
la coalition, notamment la brutale
campagne de soumission de Hodeidah, port
qui constitue le dernier rempart du
Yémen contre une famine totale.
Comme dans le cas
du Royaume-Uni, le
rôle de la France dans le conflit
dépasse celui de la vente d’armes. Les
rapports indiquent que depuis le
début de la guerre, le personnel
français a « effectué des missions de
reconnaissance » au-dessus des positions
houthies au profit de l’Arabie Saoudite
et a continué à former ses pilotes de
chasse. La marine française serait même
intervenue pour assurer le maintien
du blocus économique sur le Yémen
lorsque la flotte saoudienne a dû se
retirer pour des raisons de maintenance
en 2016.
Le rôle des
États-Unis dans cette atrocité est
parfaitement évident pour quiconque a
suivi le conflit ou comprend la nature
fondamentale de la géopolitique du
Moyen-Orient. Des livres entiers
pourraient être écrits à ce sujet.
Mais ce qui sera
intéressant, c’est de voir si ce rapport
sera le premier pas dans une direction
où les États-Unis seraient amenés à
rendre des comptes pour leur
participation à ces actes criminels
internationaux. Selon un courrier
électronique de l’ONU, le Conseil des
droits de l’homme espère que ses
conclusions et recommandations
évolueront en conséquence au fil de leur
enquête. Ils notent toutefois que de
nombreux États sont opposés à un tel
scénario.
Il y a eu une brève
période au cours de laquelle la Cour
Pénale Internationale a semblé suggérer
qu’elle commencerait à s’attaquer au
géant qu’est les États-Unis pour ses
crimes commis en Afghanistan, mais
l’espoir suscité par ce projet
s’est complètement effondré plus tôt
cette année. Si nous ne pouvons pas
obtenir d’enquête sur les crimes de
guerre en Afghanistan, alors qui sait ce
que nous pouvons espérer réaliser dans
le domaine des droits de l’homme à court
terme.
L’ironie est que
les trois principaux coupables, les
États-Unis, le Royaume-Uni et la France,
ne cessent de parcourir le monde pour
donner des conférences sur les droits de
l’homme, la liberté et la démocratie.
Aucun de ces principes ne s’applique à
la population du Yémen, qui est punie
collectivement pour des raisons
inavouables.
Le moment choisi
pour la publication du rapport ne
pouvait être plus approprié et pourrait
éventuellement donner lieu à un débat
mondial sur la situation tragique qui
sévit au Yémen (le pays le plus pauvre
et le plus misérable du monde arabe). Il
y a quelques jours à peine, un barrage
de frappes aériennes de la coalition a
tué plus de 100 personnes et en a
blessé des dizaines d’autres dans un
centre de détention Houthi au Yémen. Si
l’on mettait de côté le droit
international, même un profane
estimerait qu’un centre de détention est
par définition intouchable dans une zone
de guerre (car où pourraient fuir des
détenus en cas de frappe aérienne ?).
Selon le chef de la
délégation de la Croix-Rouge au Yémen, «
les restes de 90 personnes » ont été
retrouvés lors de la réponse initiale à
cette attaque récente. Un acte
excessivement cruel, même pour la
coalition dirigée par l’Arabie Saoudite.
On ne peut
qu’espérer que le rapport de l’ONU
puisse aider à mettre un terme à ce type
d’attaques à l’avenir, non pas en
faisant pression sur l’Arabie Saoudite
et sa coalition, mais en influençant les
décideurs qui permettent à ces actes
horribles de se poursuivre sans relâche.
Le rapport de l’ONU ne confirmait rien
que nous ne savions déjà, pas plus qu’il
ne détaillait quoi que ce soit que les
législateurs de la planète n’aient pas
su depuis des années. En d’autres
termes, nous connaissons depuis
longtemps les ramifications juridiques
potentielles de notre soutien à une
coalition qui pulvérise le Yémen, ce qui
n’a nullement changé notre état
d’esprit. Que diable, il a fallu le
meurtre d’un journaliste du Washington
Post pour que
l’Allemagne change de disque
(l’assassinat de civils innocents n’y a
pas suffi).
Encore une fois, le
fait d’avoir un rapport composé par un
groupe d’experts de l’ONU suite à deux
ans d’enquête est certainement bénéfique
pour le Yémen, et pourrait peut-être
finalement aider la prophétie de Tawakul
Karman à se réaliser à moyen ou à long
terme.
Darius
Shahtahmasebi est un analyste politique
et juridique basé en Nouvelle-Zélande.
Avocat spécialisé dans le droit
international, il se concentre sur la
politique étrangère des États-Unis au
Moyen-Orient et dans la région Asie et
Pacifique.
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