Interview
Norman Finkelstein sur l'assaut
meurtrier d'Israël contre les
manifestants non-violents à Gaza
Lundi 14 mai 2018
Interview de
Norman Finkelstein par
The Real News,
le 11 mai 2018.
Norman
Finkelstein affirme que les forces
israéliennes ont mené une agression
meurtrière contre des manifestants
non-violents de la Grande Marche du
Retour de Gaza parce que la protestation
non-violente menace non pas Israël, mais
son occupation.
Source :
hhttps://therealnews.com/stories/norman-finkelstein-on-israels-murderous-assault-on-nonviolent-protesters-in-gaza
Traduction :
http://sayed7asan.blogspot.fr
Transcription
:
Aaron Maté :
Vous êtes sur The Real News, je
suis Aaron Maté. Le 15 mai 2018 sera le
point culminant de la Grande Marche du
Retour, dans laquelle depuis maintenant
plusieurs semaines, les Palestiniens ont
manifesté près de la frontière de Gaza,
revendiquant leurs droits fondamentaux,
la fin du blocus israélien et le droit
de retourner dans leurs maisons
desquelles ils ont été expulsés en 1948.
Chaque semaine, Israël a ouvert le feu
sur ces manifestants, tuant au moins 40
Palestiniens et en blessant des milliers
d'autres.
Je reçois Norman
Finkelstein pour en parler. Il est
l'auteur de nombreux livres, dont le
dernier est intitulé Gaza, une
enquête sur son martyre. Norman,
bienvenue.
Norman Finkelstein : Merci de me
recevoir.
Aaron Maté : Merci d'être avec
nous. Parlez-nous donc des enjeux de la
phase finale de la Grande Marche du
Retour.
Norman Finkelstein : Je pense que
le plus important est de replacer la
marche dans son contexte historique.
Il y aura 70 ans ce 15 mai, a commencé
l'expulsion des Palestiniens de ce qui
est devenu l'Etat d'Israël. Donc le
début du processus qui culminera cette
semaine a été la création de la question
des réfugiés Palestiniens. Et 70% de la
population de Gaza sont des réfugiés et
leurs descendants, qui sont aussi
classifiés comme des réfugiés par les
Nations Unies.
Le début du processus est donc
l'expulsion, et il y a un demi-siècle,
Gaza a été occupée par Israël. Et ce fut
depuis le tout début une occupation très
brutale. Les pires massacres furent
alors supervisés par Ariel Sharon. Donc
vous avez l'expulsion, à laquelle vient
s'ajouter l'occupation.
Puis, en 2006, a
commencé le siège de Gaza, le blocus,
après que le Hamas a gagné les élections
parlementaires : Israël, aidé des
Etats-Unis et de l'Europe, a imposé un
siège de type médiéval, le blocus de
Gaza, le siège illégal, immoral et
inhumain de Gaza.
Donc vous avez
l'expulsion, l'occupation et le blocus,
et en plus de tout cela, vous avez ces
massacres périodiques infligés à Gaza.
Depuis 2004, il y a eu non pas un, non
pas deux, non pas trois, non pas quatre,
non pas cinq, non pas six, non pas sept
mais bien huit, huit massacres infligés
au peuple de Gaza.
Maintenant, quand je parle du peuple de
Gaza, vous devez bien avoir à l'esprit
que plus de la moitié de la population
sont des enfants. Ils ont moins de 18
ans. Donc lorsqu'on parle d'un blocus
inhumain, de massacres, ils sont surtout
infligés à des enfants.
Et vous pouvez imaginer — ce n'est pas
très difficile à concevoir — que lorsque
vous avez ce processus d'expulsion,
d'occupation, de blocus et de massacres,
à un certain moment, l'endroit devient
invivable. Et je ne veux pas dire
invivable dans un sens qui serait
d'ordre poétique, mais bien
physiquement invivable.
L'ONU est surtout composé de
bureaucrates, des bureaucrates très
austères, et ils ont rédigé des rapports
assez compétents. Et début 2012, ils
posaient une question très réaliste :
Gaza sera-t-elle habitable en 2020 ?
Encore une fois, physiquement,
biologiquement, médicalement,
sera-t-elle vivable ? Cela a commencé
avec cette question.
Puis en 2015,
l'UNCTAD, une agence de l'ONU, a publié
un rapport qui ne la présentait plus
comme une question. Ce rapport affirmait
que dans la trajectoire actuelle, Gaza
serait invivable en 2020.
Puis en 2017, l'ONU s'est rendu compte
qu'ils avaient été trop confiants, trop
optimistes. Ils ont dit que Gaza avait
déjà franchi le seuil d'invivabilité il
y a longtemps.
Eh bien, qu'est-ce que ça signifie,
concrètement ? Cela signifie par exemple
que 97% de l'eau de Gaza est contaminée.
Chaque Américain devrait comprendre
cela. Nous avons eu notre propre tollé
national pour l'eau à Flint [Michigan],
lorsque l'état de contamination de l'eau
a été découvert. Mais on parle ici de
toute une région, Gaza, dont l'eau est
contaminée.
Comme l'a dit Sara Roy, du Centre
d'Harvard pour les Etudes sur le
Moyen-Orient, dans la dernière édition
de son travail standard sur l'économie
de Gaza, question sur laquelle Roy est
l'autorité mondiale, elle dit que des
innocents, en majorité des enfants, sont
empoisonnés par l'eau qu'ils boivent et
par la nourriture qu'ils consomment,
parce que le sol est également
contaminé.
Nous avons donc une situation où les
gens sont maintenant confrontés par le
fait qu'ils sont... et cela entraine...
Je n'aime pas recourir à des
comparaisons, car on arrive à cette
comparaison des souffrances, et personne
ne veut aller dans cette direction. Mais
il y a des aspects de Gaza qui sont
absolument uniques.
Et l'un de ces aspects est que, comme
l'UNRWA — la principale organisation
humanitaire travaillant avec des
réfugiés Palestiniens — l'a dit, partout
ailleurs dans le monde, s'il y a une
catastrophe naturelle, comme par exemple
une sécheresse, ou une catastrophe
causée par les hommes, comme la guerre
en Syrie, ils ont dit que ce n'est pas
une super option mais les gens peuvent
fuir.
Ils peuvent partir, ils peuvent
déménager. Je serais le dernier à dire
que c'est une bonne alternative, devenir
un réfugié, et souvent finir dans une
tente, dans la boue. Mais les habitants
de Gaza n'ont même pas cette option, dit
l'UNRWA. Ils sont piégés.
Maintenant, il faut se poser une
question très simple : quel mot
utiliseriez-vous pour décrire une
situation dans laquelle 2 millions de
personnes sont piégés dans une zone qui
est physiquement invivable ? [Un camp de
concentration]. Ce n'est pas mon
langage, c'est le langage de l'ONU.
Ils sont physiquement piégés dans une
zone qui est invivable et dans laquelle,
pour citer Sara Roy, vous êtes
empoisonné. Donc face à cette réalité,
le peuple de Gaza n'a pas vu d'autre
option, car le recours à la résistance
armée, qui a été tenté plusieurs fois,
s'est avéré futile, ils ont été
incapables de faire céder Israël, donc
ils ont vu cela comme un dernier
recours.
Et le peuple de Gaza a entrepris,
vraiment en masse, de manière populaire,
non-sectaire, d'essayer de briser le
siège en recourant à la résistance
civile non-violente.
Aaron Maté : Donc les habitants
de Gaza ont fait ce que de nombreuses
personnes dans le monde ont affirmé
vouloir qu'ils fassent depuis des
années, à savoir des manifestations
non-violentes. Ils ont manifesté toutes
les semaines, les enfants, les femmes,
les résidents ordinaires de Gaza. Quelle
a été la réponse d'Israël ?
Norman Finkelstein : Eh bien, la
réponse israélienne a été, pour citer
Amnesty International dans un rapport
récent publié sur la situation de Gaza,
ils ont dit, et je les cite, qu'Israël
conduit un « assaut meurtrier contre des
manifestants non-violents » à Gaza.
C'était très inhabituel pour Amnesty,
j'ai suivi Amnesty de très près pendant
plusieurs années, et ils n'ont jamais
utilisé une expression comme « assaut
meurtrier ».
Et même Natalie Portman, c'est très
inhabituel, l'actrice Natalie Portman,
qui était l'assistante d'Alan Dershowitz
[le BHL américain] pour son livre The
Case for Israel [Plaidoyer pour
Israël]. Donc elle était vraiment à la
droite de la droite du spectre
politique. Et elle a décrit ce que fait
Israël à Gaza comme des « atrocités
commises à Gaza ».
Donc le langage lui-même a dépassé un
certain seuil, d'un langage assez
respectable comme recours «
disproportionné » ou « indiscriminé » à
la force, et maintenant le langage est
enfin [adapté] — ça a pris du temps —,
et il s'élève à cette occasion au niveau
de la brutalité de la réponse
israélienne.
La question intéressante, ou une
question intéressante est Pourquoi
? En partie, évidemment, parce qu'Israël
lâche la bride à son assaut meurtrier
contre des manifestants très massivement
non-violents, pour essayer d'y mettre
fin. Mais il y a un autre aspect.
L'autre aspect est, comme l'un des plus
hauts responsables l'a dit dans
Wikileaks, il a dit qu'on n'est pas
trop forts pour les Gandhi. Ce qu'il
voulait dire, c'est qu'ils ont toujours
un très gros problème avec les
Palestiniens engagés dans la résistance
non-violente, car quand Israël recourt à
sa force brutale habituelle, cela fait
tache dans les médias internationaux.
Et c'est pourquoi ils essaient
constamment de provoquer les habitants
de Gaza pour les forcer à recourir à la
force armée. C'est pour cela qu'ils
ciblent les enfants. C'est pour cela
qu'ils ciblent des journalistes révérés
comme (Yasser) Murtaja car ils veulent
enrager la population de Gaza. C'est
pour cela qu'ils ont tué le Palestinien
en Malaisie, l'ingénieur proche du
Hamas, espérant déclencher une réaction.
Aaron Maté : Vous parlez de
l'assassinat d'un Palestinien en
Malaisie.
Norman Finkelstein : Oui, un
ingénieur palestinien. Ils n'ont pas
reconnu (être les auteurs de cet
assassinat), mais tout le monde le sait.
Ils ont tué les 6 militants de la
Brigade Al-Qassam il y a quelques jours
à Gaza...
Aaron Maté : Les Brigades Al-Qassam
sont la branche armée du Hamas.
Norman Finkelstein : ... tout
comme ils ont tué les 6 membres du Hamas
le 4 novembre 2008 pour provoquer une
attaque du Hamas, une attaque de
roquettes, pour avoir un prétexte...
Aaron Maté : Le 4 novembre 2008,
le jour de l'élection de Barack Obama,
donc l'attention du monde était
détournée d'Israël...
Norman Finkelstein : C'est une
partie de la raison pour laquelle ils
les ciblent. Ils essaient désespérément
de provoquer une réaction pour pouvoir
attaquer avec la pleine force de leur
brutalité et prétendre que c'est de la
légitime défense.
Je tiens seulement à dire que cela a
atteint un niveau tellement indécent de
ridicule, que tandis que le Hamas se
retient, tandis que le Jihad Islamique
se retient...
Aaron Maté : Le Jihad Islamique
est un autre groupe militant à
l'intérieur de Gaza.
Norman Finkelstein : ... tandis
qu'ils absorbent (patiemment) toutes les
provocations israéliennes brutales et
vicieuses, le New York Times
entre en scène et dit que les
Palestiniens à Gaza représentent une
menace mortelle pour Israël avec leurs
cerfs-volants.
Ils disent que les Palestiniens font
voler des cerfs-volants qui vont d'une
manière ou d'une autre brûler Israël.
Parce que le Hamas refuse de tirer ses «
roquettes », qui ne sont même pas des
roquettes, donc ils n'ont pas ce
prétexte, donc les propagandistes
israéliens du New York Times,
comme Isabel Kershner, ont concocté un
nouveau prétexte, ces cerfs-volants qui
d'après eux vont réduire Israël en
cendres. Ils sont tellement désespérés
dans leur tentative de justifier les
tactiques et les provocations de l'Etat
d'Israël.
Aaron Maté : Très bien, nous
allons nous arrêter là et nous
poursuivrons ce sujet dans la deuxième
partie. Mon invité est Norman
Finkelstein, auteur de nombreux livres,
y compris Gaza, une enquête sur son
martyre.
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