Opinion
Genève 2: chronique d’un échec annoncé
Samer R. Zoughaib
Mercredi 22 janvier 2014
La
conférence de paix de Genève 2 accueille
ce mercredi à Montreux, en Suisse, la
délégation du gouvernement syrien,
confiante et forte des succès de son
armée, et les représentants d'une
opposition affaiblie et divisée. Pour
Damas et ses alliés, la priorité doit
aller à la lutte contre le terrorisme.
Les Occidentaux, eux, sont prisonniers
de leur slogan du départ de Bachar al-Assad,
qu'il n'ont pas les moyens de
concrétiser. L'absence de l'Iran entame
sérieusement l'efficacité de cette
conférence.
Tout analyste politique doté d'un
minimum de bon sens dira que la
coalition anti-syrienne, formée des pays
occidentaux (menés par les Etats-Unis),
des Etats du Golfe et de la Turquie, ne
réussira pas à obtenir par la
négociation ce qu'elle n'a pas pu
arracher après trois années de guerre;
c'est-à-dire la chute du régime. De même
que l'Iran, la Russie et la Chine, qui
ont résisté à d'énormes pressions, y
compris la menace d'une intervention
militaire occidentale directe, ne vont
pas lâcher leur allié autour d'une table
de conférence.
Mais au delà de ces principes
élémentaires de politique générale, les
circonstances qui entourent la
conférence de paix de Genève 2 montrent
que cet événement, malgré son importance
et sa médiatisation, n'aboutira pas à
des changements dramatiques et
spectaculaires. Une source diplomatique
européenne à Beyrouth a d'ailleurs
exprimé, cette semaine, son scepticisme
à l'égard des probables résultats de ces
négociations. «Ce processus sera long et
son aboutissement incertain», a déclaré
cette source.
Genève 2 (ou faut-il l'appeler Montreux
1) s'est finalement tenue alors que
l'opposition syrienne est plus affaiblie
et divisée que jamais. La Coalition
nationale syrienne (CNS), qui comptait
121 délégués, a vu 44 de ses membres la
quitter, il y a quelques semaines, en
raison de divergences sur l'opportunité
de participer à la conférence de paix,
sur fond de bras de fer entre l'Arabie
saoudite d'un côté, le Qatar la Turquie
de l'autre. Sur les 77 membres restants,
réunis à Istanbul, 58 ont voté en faveur
de la participation et 14 contre. 2 se
sont abstenus. Le groupe des «44» a
immédiatement publié un communiqué
virulent, dénonçant la décision de
participer aux négociations de paix avec
le régime. Le Conseil national syrien,
la principale composante de la CNS,
s'est officiellement retiré de la
coalition en signe de protestation.
Ceux qui ont finalement décidé d'aller à
Montreux souffrent d'un grave problème
de représentativité sur le terrain.
Depuis la disparition de l'Armée
syrienne libre (ALS), la CNS n'a
pratiquement plus aucune influence sur
les groupes combattants. Le Front
islamique, l'Etat islamique en Irak et
au Levant (EIIL) et le Front al-Nosra,
sont résolument hostiles au principe
même de la négociation avec le régime
(ils croient toujours pouvoir le
renverser par la force) et dénient à la
coalition tout caractère représentatif
du peuple syrien. Ce qui signifie que la
CNS n'a aucune crédibilité car elle sera
incapable de faire respecter ne
serait-ce qu'un accord de cessez-le-feu
partiel ou un échange de prisonnier.
Les objectifs irréalistes de la
CNS
Le régime, lui, est dans une posture de
loin plus confortable. Il représente une
entité politique homogène et parlera,
par conséquent, d'une seule voix.
Bien qu'affaiblie et isolé du terrain,
la Coalition nationale continue de
placer très haut la barre de
ses expectatives, qui s'apparent plus à
des souhaits qu'à des objectifs
réalistes et réalisables. Son chef,
Ahmad Jarba, a déclaré que l'opposition
se rendait à la conférence avec comme
seul objectif de se débarrasser du
président Bachar el-Assad. «Les
négociations de Genève 2 ont comme
unique but de satisfaire les demandes de
la révolution et avant tout de retirer
au boucher (Assad) tous ses pouvoirs»,
a-t-il déclaré.
Si ce général sans soldats pense qu'en
vociférant à la table des négociations
le régime va prendre peur et lui
remettre les clé de Damas, c'est qu'il
vit dans un autre monde. Le ministre
russe des Affaires étrangères, Serguei
Lavrov, s'est d'ailleurs chargé de
mettre les points sur les «i». Il a
précisé que l'initiative
russo-américaine sur la tenue de la
conférence de Genève 2 «n'inclut pas le
changement du régime et que cette
compréhension est fausse». Le chef de la
diplomatie russe a indiqué que «la
coalition opposante, financée par des
parties extérieures, a été formée par
nombre d'émigrés qui ont leurs propres
intérêts», ajoutant que «cette coalition
a adopté le principe du changement du
régime dès le début de sa formation.»
Et si M. Jarba et ses collègues n'ont
pas bien compris les propos de M Lavrov,
le président syrien a été plus
explicite. Bachar el-Assad a ainsi
annoncé dans une interview exclusive à
l'AFP, lundi, qu'il y avait de «fortes
chances» qu'il brigue un nouveau mandat
et a exclu de confier un futur
gouvernement à un opposant. Le dirigeant
syrien a dénié toute représentativité à
la CNS, estimant qu'elle était
«fabriquée» par les renseignements
étrangers. «Tout le monde sait
maintenant que quelques-unes des parties
(de l'opposition) sont apparues durant
la crise à travers des services de
renseignements étrangers, que ce soit au
Qatar, en Arabie saoudite, en France,
aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Lorsque je m'assois avec ces gens-là,
cela veut dire que je négocie avec ces
pays», a-t-il dit.
Le président Assad s'est moqué des
dirigeants de l'opposition installés à
l'étranger et qui prétendent «dominer 70
% de la Syrie mais n'osent pas venir
dans ces 70 % soi-disant libérés». «Ils
viennent aux frontières pour une
demi-heure avant de prendre la fuite,
comment peuvent-ils devenir membres du
gouvernement? Est-ce qu'un ministre peut
exercer ses fonctions de l'extérieur? De
telles idées sont totalement
irréalistes, on peut les considérer
comme une plaisanterie.»
Une alliance contre le
terrorisme
Les véritable objectifs de Genève 2 ont
été énoncés par la Syrie, la Russie, la
Chine et l'Iran.
Pour M. Assad, la première priorité de
la conférence doit être «la lutte contre
le terrorisme». «Cela serait le résultat
le plus important. Tout résultat
politique qui ne comprendrait pas la
lutte contre le terrorisme n'aura aucune
valeur.» «La guerre sera de longue
durée, mais si la Syrie perd la
bataille, le chaos s'étendra à tout le
Moyen-Orient», a-t-il dit.
Même
son de cloche du côté de Moscou. Le
ministre Lavrov a indiqué que ce qui est
important dans la crise en Syrie est la
hausse du niveau du terrorisme et de
l'extrémisme dans ce pays. Il a souligné
la nécessité que Genève 2 aboutisse à
l'unification des efforts entre le
gouvernement syrien et l'opposition pout
éliminer les groupes terroristes armées
relevant d'al-Qaïda. «La lutte contre le
terrorisme doit être une priorité»,
a-t-il insisté.
La vision de la Chine s'inscrit dans le
même prolongement. Dans un communiqué
paru sur le site officiel du ministère
des Affaires étrangères, Pékin souligne
la priorité de «mettre fin aux conflits
meurtriers, lutter contre le terrorisme,
rétablir la stabilité et l'ordre dans le
pays, assurer l'égalité des chances à
toutes les communautés ethniques,
religieuses et confessionnelles».
La Chine a de nouveau insisté sur la
nécessité de laisser le peuple syrien
décider lui-même du sort de son pays,
appelant la communauté internationale à
préserver la souveraineté,
l'indépendance, l'unité et l'intégrité
territoriale de la Syrie, conformément à
la Charte des Nations unies.
La lutte contre le terrorisme est
également la principale préoccupation de
l'Iran, qui n'a cessé de le répéter
depuis plus d'un an. Après avoir reçu à
Téhéran le directeur Afrique du nord et
Moyen-Orient de la diplomatie française,
Jean-François Girault, le vice-ministre
des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abollahian,
a déclaré que les décisions prises en
Suisse «ne devraient pas mener au
renforcement des mouvements extrémistes
en Syrie». Il a par ailleurs affirmé que
«la solution démocratique se manifestera
par le vote des Syriens», rejetant
implicitement tous les appels au départ
du président Assad.
L'absence de l'Iran porte préjudice à la
crédibilité et à l'efficacité de la
conférence. Serguei Lavrov a estimé que
le retrait de l'invitation adressée à ce
pays pour participer à la conférence est
une «erreur» et que son absence n'aidera
pas à l'unification du monde islamique
face au terrorisme.
Le représentant officiel du ministère
russe des Affaires étrangères, Alexandre
Lukachevitch, a indiqué dans un
communiqué que Moscou est déçu à la
suite de la décision du secrétaire
général des Nations unies de retirer
l'invitation de l'Iran, qui est de
nature à affaiblir les efforts
internationaux visant à résoudre la
crise.
Le président de la commission des
Affaires internationales au Conseil de
la Fédération, Mikhaïl Marguelov, a
abondé dans le même sens. Il a assuré
que le retrait l'invitation de l'Iran
aura des effets négatifs sur la
conférence.
Pour sa part, le vice-ministre iranien
des Affaire étrangères, Abbas Araqchi,
a estimé que chances de réussite de la
conférence de Genève 2 sans la
participation de l'Iran sont «minces».
Sereine et confiante, la délégation
gouvernementale syrienne pourrait faire
des proposition concrètes, prouvant
qu'elle a l'initiative face aux débris
de l'opposition, prisonnière de ses
slogans. Les représentants officiels
syriens pourraient réitérer l'offre d'un
cessez-le-feu à Alep et un échange de
prisonniers. Ils pourraient aussi
proposer des élections présidentielles
sous supervision internationale... et
ils attendront la réponse non pas des
soi-disant représentants de
l'opposition, mais de leurs véritables
maitres, les Etats-Unis.
Source : Al-Ahednews
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