Opinion
La France, Etat-mercenaire...
pour une poignée de pétrodollars
Samer R. Zoughaib
Jeudi 2 janvier 2014
La France,
Etat-mercenaire...
pour une poignée de
pétrodollars
Un ancien
diplomate européen, en poste au Liban
pendant des années, et qui continue à
venir à Beyrouth régulièrement, s'est
dit «stupéfait» des orientations
politiques actuelles de la France dans
la région.
Lors d'une rencontre avec des leaders
d'opinion, il y a quelques jours à
Beyrouth, ce diplomate a regretté
«l'absence de stratégie et le manque de
vision» des dirigeants français,
déplorant «l'alignement total de Paris
sur les choix de l'Arabie saoudite dans
les dossiers libanais, syrien et
iranien, qui ne servent en aucun cas la
stabilité et la paix régionales».
Ces remarques sont partagées par de
nombreux observateurs et experts de la
région, qui estiment que les
orientations actuelles de
l'administration du président François
Hollande, loin de faire l'unanimité au
sein de l'establishment
politico-militaro-sécuritaire français,
se sont considérablement éloignées des
constantes traditionnelles et
historiques de la France au
Moyen-Orient, dominées pendant des
décennies par le souci de la stabilité
et de la sécurité du Liban.
Cette stabilité passe obligatoirement
par le respect scrupuleux des délicats
équilibres politiques et
constitutionnels qui fondent le système
libanais. Toute tentative de modifier ou
de briser les équations internes auront
des conséquences incalculables et
risquent de provoquer l'explosion du
pays.
La politique actuelle de l'Arabie
saoudite non seulement se désintéresse
de ces équilibres, mais tente de les
modifier, sans se soucier des probables
répercussions sur la stabilité et la
sécurité. Le soutien apporté par le
royaume wahhabite aux groupes
extrémistes-takfiristes, les pressions
qu'il exerce sur ses alliés pour qu'ils
bloquent le fonctionnement de
l'institution-mère (le Parlement) et ne
participent pas au dialogue national,
ainsi que les obstacles qu'il a dressés
ces derniers mois pour empêcher la
formation d'un gouvernement de
partenariat au Liban, sont autant de
preuves des intentions saoudiennes
belliqueuses à l'égard du pays du cèdre.
En appelant ses ressortissants à ne pas
se rendre à Beyrouth pour la deuxième
année consécutive (à l'exception, bien
entendu, de ceux qui vont rejoindre les
rangs d'Al-Qaïda au Liban et en Syrie),
et le rappel officieux de son
ambassadeur à Beyrouth, illustrent aussi
ces intentions.
Des
considérations mercantiles
Au lieu d'inciter l'Arabie saoudite à
faire preuve d'une plus grande sagesse
et à adopter une approche préservant la
stabilité du Liban, la France s'est
associée au jeu politique de Riyad.
Aujourd'hui, certains parlent même d'une
«convergence stratégique» entre les deux
pays, bien que le terme «stratégique»
soit inadéquat pour expliquer un
alignement essentiellement dicté par des
considérations économiques, voire
mercantiles.
Dans le dossier iranien, par exemple, la
France a retardé l'accord nucléaire
entre l'Iran et les grandes puissances,
faute de pouvoir le torpiller. En Syrie,
Paris est enfermé dans son déni, allant
jusqu'à épouser les arguments saoudiens
sur le fait que l'extrémisme et le
terrorisme en Syrie ont été encouragés
par les autorités syriennes. Pourtant,
le danger que représente les groupes
d'Al-Qaïda pour l'Europe autant que pour
la Syrie, est aujourd'hui reconnu par
tous les services de renseignements
occidentaux. Au Liban,
enfin, l'administration Hollande couvre
les options jusqu'au-boutistes de
l'Arabie saoudite, au détriment de la
stabilité du pays.
Le dernier épisode, burlesque, de la
politique saoudienne, est la fameuse
«promesse de don» de trois milliards de
dollars pour équiper l'Armée libanaise
en matériel militaire acheté auprès de
la France. Le plus surprenant est que le
président de la République, Michel
Sleiman, ait accepté un rôle principal
dans cette comédie.
Le plus naïf des Libanais ne peut que se
poser des questions sur le timing de
cette «promesse royale». Où était
l'Arabie saoudite lorsque le Liban
ployait sous le joug de l'occupation
israélienne? Où était-elle en 1982, en
1993, en 1996, en 2006, lors des
agressions israéliennes, qui ont
également pris pour cible l'Armée
libanaise, qui a payé, aux côtés de la
Résistance, un lourd tribu? Où était
l'Arabie saoudite lors de la bataille de
Nahr al-Bared (170 officiers et soldats
libanais tués), lorsque l'armée
affrontait le groupe d'inspiration
qaïdiste Fatah al-Islam? Si la Syrie
n'avait pas fourni les munitions et
l'aide nécessaires à l'armée -de l'aveu
même de Michel Sleiman, commandant de la
troupe à l'époque- l'Armée libanaise
serait peut-être toujours en train de
guerroyer aujourd'hui dans ces contrées.
Il est clair que cette «promesse de don»
est directement liée à la situation
politique actuelle au Liban et constitue
une tentative de modifier les équilibres
ambiants. Quoi qu'en disent le président
Sleiman et le 14-Mars, ce «don» (qui ne
sera probablement jamais concrétisé,
comme beaucoup d'autres promesses
d'aides saoudiennes, comme par exemple
celle décidée pour les réfugiés
syriens), est tributaire de la formation
d'un gouvernement de fait accompli. Ou
peut-être que cette annonce a pour but
de mieux faire avaler la pilule d'un tel
gouvernement, imposé au mépris de la
réalité et des équilibres politiques au
Liban.
Briser la
formule Armée-peuple-résistance
Un autre objectif de cette «promesse de
don» est de tenter de briser la formule
Armée-peuple-Résistance, qui passe par
le changement de la doctrine de combat
de l'Armée libanaise, laquelle
s'articule autour de la lutte contre
l'occupation israélienne et contre le
terrorisme. Dans tous les cas, Riyad
espère semer le trouble et saper la
confiance qui existe entre l'Armée et la
Résistance à travers cette annonce
fracassante.
En agissant de la sorte, la France se
rend coupable d'un grave manquement à
ses
responsabilités de «grande puissance».
Mais a-t-elle le droit de revendiquer
encore un tel statut, alors qu'elle agit
en Etat-mercenaire, en Afrique, en
Europe et au Moyen-Orient, et que son
président se comporte plus en chef
d'entreprise qu'en chef d'Etat.
Le diplomate européen conclut par la
remarque suivante: «La France n'a plus
de stratégie. Elle profite du vide
laissé par le recul des Etats-Unis sur
la scène internationale pour tenter de
décrocher quelques contrats d'armement
ou de construction par-ci et par-là,
dans l'espoir d'augmenter de quelques
dixièmes le taux de croissance
économique dans l'Hexagone».
Le coq français s'est transformé en
poussin... ou en vautour, qui se nourrit
sur la dépouille d'un Moyen-Orient
dépecé par les groupes takfiristes et
terroristes, créés et entretenus par le
nouvel «allié stratégique» de France. Le
tout, pour une poignée de pétrodollars.
Source: French.alahednews
Le
dossier Liban
Les dernières mises à jour
|