Amérique latine
Les sanctions économiques,
principal obstacle au développement de
Cuba
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Mardi 27 septembre 2016
Introduction
Malgré l’établissement d’un dialogue
historique avec La Havane le 17 décembre
2014 et en dépit de la visite officielle
du Président Barack Obama dans l’île en
mars 2016, Washington continue
d’appliquer des sanctions économiques
contre la population cubaine, suscitant
l’incompréhension auprès de la
communauté internationale. Etablies en
1960 en pleine guerre froide, elles
perdurent plus d’un demi-siècle plus
tard, occasionnant d’importantes
difficultés pour l’économie cubaine et
infligeant des souffrances inutiles aux
catégories les plus vulnérables de la
population. Leur coût élevé et leur
portée extraterritoriale motivent le
rejet unanime de communauté
internationale. Pourtant, la résolution
de ce conflit asymétrique dépend du
pouvoir exécutif étasunien qui dispose
des prérogatives nécessaires pour
démanteler une grande partie du réseau
de sanctions imposées à l’île.
Coût des sanctions
économiques
Le 13 septembre 2016, Barack Obama a de
nouveau renouvelé pour un an la Loi de
commerce avec l’ennemi, une législation
de 1917 utilisée pour la première fois
par le Président John F. Kennedy en 1962
pour imposer des sanctions économiques
totales à Cuba, qui prolonge l’état de
siège contre l’île. Cette loi, prolongée
chaque année par les neuf présidents des
Etats-Unis depuis cette date, est
uniquement appliquée contre La Havane[1].
Une fois
encore, l’impact des sanctions a été
dramatique pour l’économie et la société
cubaines. En un an, d’avril 2015 à mars
2016, elles ont coûté 4,68 milliards de
dollars à Cuba, selon Bruno Rodríguez,
Ministre cubain des Affaires étrangères.
Dans leur rapport annuel sur les
sanctions économiques, les autorités
cubaines ont estimé les dommages causés
au niveau national. Trois secteurs sont
particulièrement affectés. D’abord, les
exportations puisque Cuba ne peut vendre
ni bien ni services aux Etats-Unis.
Ensuite, le coût engendré par la
recherche de marchés alternatifs
géographiquement éloignés de l’île.
Enfin, l’impact financier car Cuba n’est
toujours pas autorisée à utiliser le
dollar dans ses transactions
internationales, malgré les déclarations
du Président Obama sur la suppression de
cette restriction. « Il n’y a aucun
élément de nos vies qui échappe à leur
impact », a conclu Bruno Rodríguez[2].
Au total, les sanctions économiques ont
coûté 125 milliards de dollars à Cuba
depuis leur imposition dans les années
1960[3].
D’autres
secteurs vitaux, tel que celui de la
santé, sont affectés par les sanctions
économiques. Ainsi, pour ne citer qu’un
exemple parmi d’autres, Cuba ne peut pas
acquérir les stimulateurs cérébraux
profonds qui permettent de traiter les
maladies neurologiques, produits de
façon exclusive par l’entreprise
étasunienne Medtronic. Plusieurs
centaines de patients atteints de la
maladie de Parkinson, qui pourraient
bénéficier d’une meilleure qualité de
vie grâce à cet appareil, en sont privés
en raison d’un différend politique qui
oppose Washington à La Havane depuis
plus d’un demi-siècle[4].
Aspect extraterritorial des
sanctions
Malgré le rapprochement historique de
décembre 2014, plusieurs entités
internationales ont été lourdement
sanctionnées après cette date pour avoir
réalisé, en parfaite légalité avec le
droit international, des transactions
financières avec Cuba. Ainsi, en mai
2015, la banque française BNP Paribas a
été condamnée à une amende record de 8,9
milliards de dollars pour avoir
entretenu, entre autres, des relations
financières avec Cuba[5].
En octobre 2015, le Crédit agricole a dû
s’acquitter d’une amende de 1,116
milliards de dollars pour les mêmes
raisons. Il convient de rappeler que BNP
Paribas et le Crédit agricole n’ont
violé aucune législation française et
ont scrupuleusement respecté le droit
européen et le droit international.
Washington a simplement appliqué de
manière extraterritoriale et donc
illégale ses sanctions contre Cuba.
D’autres entités financières ont
également été lourdement sanctionnées.
Ainsi, la banque allemande
Commerzbank a dû payer une amende de
1,71 milliards de dollars et a mis un
terme à toute relation avec Cuba[6].
Toutes ces décisions ont été prises par
le pouvoir exécutif étasunien.
Marge de manœuvre du
Président Obama
Pourtant, le Président Obama a lancé
plusieurs appels au Congrès, l’invitant
à mettre un terme à un état de siège
anachronique, cruel et inefficace. Il a
exprimé à maintes reprises son
opposition au maintien de mesures de
rétorsion économique qui, en plus
d’affecter gravement le bien-être des
Cubains, ont isolé les Etats-Unis sur la
scène internationale. Lors de son
déplacement historique à Cuba, il a
admis la chose suivante : « La politique
des Etats-Unis n’a pas marché. Nous
devons avoir le courage de reconnaître
cette vérité. Une politique d’isolation
élaborée pour la Guerre froide n’a aucun
sens au XXIe siècle. L’embargo a fait du
mal au peuple cubain au lieu de l’aider.
C’est un fardeau d’un autre temps qui
pèse sur le peuple cubain ». Ce discours
empreint de lucidité a été salué par
l’ensemble de la communauté mondiale
favorable à la résolution pacifique de
ce conflit[7].
Néanmoins, la
rhétorique constructive de Barack Obama
n’a pas été suivie de faits tangibles et
concrets malgré ses prérogatives en tant
que chef de l’exécutif. Il est vrai que
le Président des Etats-Unis a rétabli le
dialogue politique avec Cuba en décembre
2014, élargi le nombre de catégories des
citoyens étasuniens autorisés à se
rendre dans l’île en janvier 2015,
retiré Cuba de la liste des pays
soutenant le terrorisme en mai 2015,
renoué les liens diplomatiques avec la
réouverture d’ambassades à Washington et
La Havane en juillet 2015, autorisé
l’exportation de biens et de services
dans le domaine des télécommunications
en mars 2016 (uniquement pour le secteur
non étatique) et facilité la reprise du
transport maritime de passagers entre
les deux nations en mai 2016 et des vols
commerciaux en août 2016.
Cependant, au-delà de ces mesures
positives mais très limitées, le
Président des Etats-Unis dispose de
toute la marge de manœuvre nécessaire
pour démanteler la quasi-totalité du
réseau de sanctions imposées depuis
1960, sans nécessiter l’aval du Congrès.
Ainsi, Barack Obama pourrait autoriser
les entreprises cubaines à ouvrir des
comptes bancaires aux Etats-Unis pour
faciliter les transactions commerciales
et financières. Il pourrait également
mettre fin à la persécution financière
contre Cuba, dont ont souffert de
nombreuses banques internationales. Au
total, l’administration Obama a infligé
un montant record de 14 milliards de
dollars de pénalités à diverses entités
bancaires à travers le monde pour leurs
relations avec l’île de la Caraïbe. De
la même manière, la Maison-Blanche
pourrait permettre le commerce bilatéral
entre les entreprises cubaines et
étasuniennes
(importations/exportations). Elle
pourrait également consentir aux
capitaux étasuniens la possibilité
d’investir à Cuba. Obama pourrait aussi
accepter que les citoyens des Etats-Unis
reçoivent des traitements médicaux à
Cuba. Enfin, il pourrait, par exemple,
éliminer la restriction qui empêche
toute embarcation, quel que soit son
pavillon, ayant transporté des
marchandises à Cuba, d’entrer dans un
port étasunien durant les 6 mois
suivants[8].
Il est seulement quatre secteurs que le
pouvoir exécutif ne peut toucher sans
l’accord du Congrès. Ainsi, le Président
Obama ne peut pas autoriser le commerce
entre les filiales des entreprises
étasuniennes installées à l’étranger et
Cuba (Loi Torricelli de 1992). En
revanche, il peut permettre le commerce
entre les maisons-mères installées aux
Etats-Unis et les entreprises cubaines,
ce qui rend de facto inutiles toute
transaction avec une filiale établie
dans un pays-tiers[9].
De la même manière, Barack Obama ne peut
pas autoriser le tourisme ordinaire à
Cuba (Loi de réforme des sanctions
commerciales de 2000). En revanche, il
peut parfaitement multiplier le nombre
des catégories de citoyens étasuniens
autorisés à voyager dans l’île et
élargir leur définition. Ainsi, la
Maison-Blanche pourrait redéfinir la
notion de « voyage culturel » en y
intégrant par exemple la visite d’un
simple musée. De cette façon, tout
citoyen étasunien qui s’engagerait à
visiter un musée durant son séjour à
Cuba pourrait bénéficier de la catégorie
« voyage culturel[10] ».
Sans l’accord du Congrès, le Président
Obama ne peut pas non plus autoriser la
vente à crédit de matières premières
alimentaires étasuniennes à Cuba (Loi de
réforme des sanctions commerciales de
2000). En revanche, il peut parfaitement
consentir à la vente à crédit de tout
produit non alimentaire, ce qui
limiterait considérablement la portée de
la sanction[11].
Enfin, la Maison-Blanche ne peut pas
autoriser les transactions avec les
propriétés étasuniennes nationalisées
dans les années 1960 (Loi Helms-Burton
de 1996). Cependant, elle peut ouvrir la
voie à toute négociation impliquant les
autres propriétés de l’île[12].
Rejet unanime des
sanctions
Tous les
secteurs de la société étasunienne sont
favorables à une levée des sanctions
économiques. Le monde des affaires, par
le biais de la Chambre du commerce des
Etats-Unis, souhaite vivement leur fin
car il voit un marché de 11 millions
d’habitants à 150 kilomètres des côtes
étasuniennes être investi par d’autres
capitaux internationaux. L’opinion
publique est favorable à plus de 70% à
la normalisation complète des relations
bilatérales entre les deux nations car
elle ne comprend pas pourquoi son
gouvernement lui interdit de se rendre à
Cuba pour effectuer du tourisme
ordinaire. Les autorités religieuses,
par l’intermédiaire du Conseil national
des églises, ont condamné les sanctions
en raison des souffrances qu’elles
infligent à la population de l’île. Les
Cubains-américains sont également
partisans de la levée des sanctions à
63% selon un sondage de septembre 2016,
car ils savent que les mesures
économiques hostiles affectent leurs
familles dans l’île[13].
Enfin, il convient de rappeler qu’en
2015, pour la 24ème année
consécutive, 191 pays sur 193 ont
demandé la fin de l’état de siège contre
l’île lors de la réunion annuelle de
l’Assemblée générale des Nations unies[14].
Un conflit
asymétrique
Certains
observateurs considèrent que Cuba doit
répondre aux gestes effectués par le
Président Obama en réalisant des
changements d’ordre interne. Ils
oublient de fait le caractère
asymétrique du conflit. En effet, dans
le différend qui oppose Washington à La
Havane, l’hostilité est unilatérale.
Cuba n’impose pas de sanctions
économiques aux Etats-Unis, n’occupe pas
de manière illégale une partie de leur
territoire souverain (Guantanamo), ne
finance pas une opposition interne dans
le but d’obtenir un « changement de
régime », ne pille pas le capital humain
comme le fait la loi d’Ajustement
cubain, et ne réalise pas des
transmissions illégales destinées à
fomenter la subversion interne, comme
c’est le cas de Radio et TV Martí. Par
ailleurs, Cuba étant une nation
indépendante, selon le droit
international et depuis le Congrès de
Westphalie de 1648 qui reconnaît
l’égalité souveraine entre les Etats,
les changements au sein de l’île
relèvent de la compétence unique et
exclusive du peuple cubain, seul à
pouvoir décider de son système politique
et de son modèle de société.
Conclusion
Les sanctions
contre Cuba sont anachroniques, cruelles
et inefficaces. Elles ont un impact
désastreux sur l’économie cubaine et
affectent durablement le bien-être de la
population de l’île. Malgré les
déclarations constructives de la
Maison-Blanche en faveur d’une levée de
cet état de siège, aucune mesure
d’envergure n’a été prise pour soulager
les Cubains de cet étranglement
économique qui dure depuis plus d’un
demi-siècle et qui est massivement
condamné par la communauté
internationale. A l’évidence, aucune
normalisation complète des relations ne
sera possible tant que cette politique
hostile restera en vigueur.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel
Castro, héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
EFE,
« Obama renueva Ley de Comercio
con el Enemigo que sustenta el
embargo a Cuba”, 13 septembre
2016.
[2]
Oscar Figueredo Reinaldo, José
Raúl Concepción & Layrene Pérez,
« En un año, el bloqueo restó
cuatro mil 680 de dólares a la
economía cubana », 9 septembre
2016.
[3]
Ibid.
[4]
República de Cuba,
“Informe de Cuba sobre la
resolución 70/5 de la Asamblea
General de las Naciones Unidas
titulada ‘Necesidad de poner fin
al bloqueo económico, comercial
y financiero impuesto por los
Estados Unidos de América contra
Cuba’”, juin 2016.
http://www.cubadebate.cu/wp-content/uploads/2016/09/Necesidad-de-poner-fin-al-bloqueo-econ%C3%B3mico-comercial-y-financiero-impuesto-por-los-Estados-Unidos-de-Am%C3%A9rica-contra-Cuba.pdf
(site consulté le 19 septembre
2016).
[5]
Le Monde,
« La BNP Paribas formellement
condamnée à une amende record
aux Etats-Unis », 1er
mai 2015.
[6]
Bruno Rodríguez, « Le blocus
économique, commercial et
financier appliqué à Cuba
continue d’exister pleinement et
complètement », 28 octobre 2015.
http://fr.granma.cu/mundo/2015-10-28/le-blocus-economique-commercial-et-financier-applique-a-cuba-continue-dexister-pleinement-et-completement
(site consulté le 19 septembre
2016) ; República de Cuba,
“Informe de Cuba sobre la
resolución 70/5 de la Asamblea
General de las Naciones Unidas
titulada ‘Necesidad de poner fin
al bloqueo económico, comercial
y financiero impuesto por los
Estados Unidos de América contra
Cuba’”, op. cit.
[7]
Barack Obama, « Remarks by
President Obama to the People of
Cuba »,
The White
House,
22 mars 2016.
https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/03/22/remarks-president-obama-people-cuba
(site consulté le 17 septembre
2016).
[8]
República de Cuba,
“Informe de Cuba sobre la
resolución 70/5 de la Asamblea
General de las Naciones Unidas
titulada ‘Necesidad de poner fin
al bloqueo económico, comercial
y financiero impuesto por los
Estados Unidos de América contra
Cuba’”, juin 2016.
http://www.cubadebate.cu/wp-content/uploads/2016/09/Necesidad-de-poner-fin-al-bloqueo-econ%C3%B3mico-comercial-y-financiero-impuesto-por-los-Estados-Unidos-de-Am%C3%A9rica-contra-Cuba.pdf
(site consulté le 19 septembre
2016).
[9]
Ibid.
[10]
Ibid.
[11]
Ibid.
[12]
Ibid.
[13]
EFE,
« Mayoría cubanoamericanos
quiere fin embargo, pero no cree
en cambios en Cuba », 14
septembre 2016.
[14]
Nations unies,
« 191 países piden en la
Asamblea General el fin del
bloqueo contra Cuba », 27
octobre 2015.
http://www.un.org/spanish/News/story.asp?NewsID=33704#.V-ACGXrj-2U
(site consulté le 19 octobre
2016).
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