Amérique latine
Cuba : Barack Obama a sans doute pris la
décision la plus emblématique de sa
présidence et a réparé une anomalie d’un
autre temps
Salim Lamrani
Photo: Operamundi
Samedi 20 décembre 2014
Opera Mundi
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La Havane et Washington viennent
d’ouvrir une nouvelle ère de
rapprochement avec les libérations
respectives d’Alan Gross et de trois
Cubains.
Plus d’un
demi-siècle après la rupture des
relations diplomatiques entre Cuba et
les Etats-Unis survenue le 3 janvier
1961, les deux gouvernements ont annoncé
la mise en place d’un processus de
normalisation des rapports bilatéraux.
La Havane et Washington ont répondu
favorablement à une demande du Pape
François qui les avait exhortés à mettre
de côté leurs différends d’un autre
temps et à rétablir les liens entre les
peuples étasunien et cubain. Les
contacts entre les deux parties ont été
facilités par le Vatican et le Canada
qui ont offert aux délégations la
discrétion nécessaire tout au long d’un
processus de dialogue qui a duré près de
18 mois.
Echange de
prisonniers
Après
plusieurs mois de négociations secrètes,
Cuba et les Etats-Unis sont parvenus à
un accord historique sur un échange de
prisonniers qui ouvre la voie à la
pleine normalisation des relations entre
les deux nations. La Havane a ainsi
décidé de libérer Alan Gross, agent
étasunien incarcéré depuis décembre 2009
et condamné à 15 ans de prison – pour
avoir fourni une aide matérielle à
différents secteurs de l’opposition
cubaine dans le cadre d’un programme du
Département d’Etat des Etats-Unis
destiné à obtenir un changement de
régime dans l’île. De la même manière,
Cuba a procédé à la libération d’un
autre agent étasunien au nom de Rolando
Sarraff Trujillo qui était incarcéré
depuis près d’une vingtaine d’années,
ainsi qu’une cinquantaine de détenus.
De son côté, Washington a procédé à la
libération de trois agents cubains,
Antonio Guerrero, Ramón Labañino et
Gerardo Hernández, qui purgeaient depuis
1998 des peines allant jusqu’à la prison
à vie, et ce pour avoir infiltré les
groupuscules de l’exil cubain impliqués
dans les attentats terroristes contre
Cuba. Les détails de cet échange ont été
finalisés lors d’un entretien
téléphonique historique de 45 minutes –
le premier contact officiel entre les
présidents cubain et étasunien depuis
1959 – le 16 décembre 2014. Par ces
gestes respectifs, Raúl Castro et Barack
Obama ont levé le principal obstacle à
l’établissement de relations apaisées
entre les deux pays [1].
La fin d’une
politique obsolète et contreproductive
Le 17
décembre 2014, lors une allocution
télévisée, Obama a informé l’opinion
publique étasunienne et mondiale de sa
décision de rétablir les relations
diplomatiques avec La Havane :
« Aujourd’hui, les Etats-Unis d’Amérique
changent leur relation avec le peuple de
Cuba et il s’agit du changement le plus
significatif de notre politique depuis
plus de 50 ans [2] ».
Le Président
étasunien a fait un constat lucide au
sujet de la politique étrangère de
Washington. En persistant à appliquer
des mesures anachroniques – qui datent
de la guerre froide –, cruelles – car
elles affectent les secteurs les plus
fragiles de la population cubaine – et
contreproductives – car l’objectif de
renverser le gouvernement cubain n’a pas
été atteint –,
Washington
a suscité la condamnation unanime de la
part de la communauté internationale.
« Nous allons mettre un terme à une
approche obsolète qui a échoué pendant
des décennies à promouvoir nos intérêts.
Nous allons commencer à normaliser les
relations entre nos deux pays », a
déclaré Barack Obama.
L’hostilité vis-à-vis de Cuba a
complètement isolé les Etats-Unis sur la
scène internationale. Lors de la réunion
annuelle de l’Assemblée générale des
Nations unies en octobre 2014, pour la
23ème année consécutive, 188
pays ont voté contre les sanctions
imposées à la population cubaine. De la
même manière, les Etats-Unis sont le
seul pays du continent américain à ne
pas disposer de relations diplomatiques
et commerciales normales avec Cuba.
L’Amérique latine, très sensible à la
question cubaine, a également exprimé sa
volonté d’intégrer l’île au prochain
Sommet des Amériques en avril 2015 au
Panama, menaçant même de boycotter la
rencontre en cas de nouvelle exclusion
de La Havane.
Obama a rappelé cette réalité : « Aucune
nation ne nous a rejoint dans
l’imposition de ces sanctions [et] ni le
peuple américain ni le peuple cubain ne
tirent profit d’une politique rigide qui
est ancrée dans des évènements qui ont
eu lieu avant que la plupart d’entre
nous soyons nés. […] J’ai donc décidé de
placer les intérêts de nos deux peuples
au cœur de notre politique. […] Après
tout, ces 50 dernières années ont montré
que l’isolement n’a pas marché. Il est
temps d’adopter une nouvelle approche ».
Selon la
Maison-Blanche, « la politique
américaine vis-à-vis de Cuba a isolé les
Etats-Unis de ses partenaires régionaux
et internationaux, a limité [la]
capacité à influencer des issues à
travers le continent américain, et a
empêché l’utilisation de toute une série
d’instruments disponibles pour les
Etats-Unis afin de promouvoir un
changement positif à Cuba [3] ». John
Kerry, secrétaire d’Etat, a partagé ce
point de vue rappelant que « non
seulement cette politique a échoué […],
mais elle a également isolé les
Etats-Unis au lieu d’isoler Cuba
[4] ».
Rétablissement du
dialogue et assouplissement des
sanctions économiques
Washington a donc
décidé de rétablir les relations
diplomatiques avec Cuba, qu’il avait
unilatéralement rompues en 1961. Roberta
Jacobson, sous-secrétaire pour
l’hémisphère occidental d’Etat, se
rendra en janvier 2015 pour formaliser
l’ouverture d’une ambassade dans la
capitale cubaine. Les deux nations ont
exprimé leur volonté de collaborer sur
des sujets tels que la santé,
l’immigration, la lutte contre le
terrorisme et le trafic de drogue ainsi
que la mise en place d’une réponse
commune face aux catastrophes naturelles
[5]. « J’ai hâte d’être le premier
secrétaire d’Etat depuis 60 ans à
effectuer une visite à Cuba », a
souligné John Kerry dans un communiqué
[6].
Washington a également décidé de
revoir sa liste de pays qu’il considère
comme soutenant le terrorisme
international, dont Cuba fait partie
depuis 1982. Obama répond ainsi à la
demande de la communauté internationale
et de plusieurs congressistes étasuniens
qui jugent cette inclusion arbitraire
alors que la médiation de La Havane dans
le processus de paix en Colombie est
saluée dans le monde entier.
La Maison-Blanche a également décidé
d’assouplir les restrictions aux voyages
des citoyens étasuniens à Cuba. Si les
séjours touristiques ordinaires restent
pour l’instant interdits, les
déplacements culturels, religieux,
académiques, scientifiques, sportifs,
sanitaires, humanitaires et
professionnels seront favorisés et les
visiteurs étasuniens pourront désormais
utiliser leurs cartes de crédit à Cuba.
Par ailleurs, les transferts d’argent
des citoyens étasuniens vers Cuba
passeront de 500 dollars par trimestre à
2 000 dollars. De la même manière, les
citoyens étasuniens seront autorisés à
importer des biens de Cuba pour un
montant de 400 dollars. Au niveau
commercial, la gamme de produits
exportables – limités aujourd’hui aux
matières premières alimentaires – sera
élargie à d’autres secteurs tels que le
matériel de construction, les
équipements agricoles et les
télécommunications. Washington répond
ainsi à une demande du monde des
affaires étasunien qui souhaite investir
un marché naturel qui se trouve
à peine à 150 kilomètres des
côtes de Floride.
Les transactions financières en dollars
seront facilitées et les institutions
étasuniennes seront autorisées à établir
des relations avec Cuba. Les entités
étasuniennes installées à l’étranger
pourront établir des liens commerciaux
avec l’île et réaliser des transactions
financières en dollars. De la même
manière, l’article de la loi Helms-Burton
de 1996 qui sanctionne d’une
interdiction d’entrée de six mois dans
les eaux territoriales étasuniennes tout
bateau étranger se rendant à Cuba sera
supprimée, si le commerce réalisé avec
l’île est d’ordre humanitaire.
Le Président Obama a également lancé un
appel aux législateurs étasuniens afin
qu’ils adoptent les mesures nécessaires
à la levée des sanctions économiques. En
effet, depuis 1996, seul le Congrès est
habilité à mettre un terme définitif à
l’état de siège imposé à Cuba.
Réaction de La
Havane et de la communauté
internationale
Le Président
cubain Raúl Castro s’est réjoui du
rétablissement des relations bilatérales
avec les Etats-Unis, rappelant que Cuba
avait toujours affirmé sa volonté de
résoudre pacifiquement les différends.
« Depuis mon élection, j’ai fait part à
plusieurs reprises de notre disposition
à soutenir avec le gouvernement des
Etats-Unis un dialogue respectueux, basé
sur l’égalité souveraine, afin de
traiter des thèmes les plus divers de
façon réciproque, sans atteinte à la
souveraineté nationale et à
l’autodétermination de notre peuple »,
a-t-il déclaré. Il en a également
profité pour saluer la décision du
Président Obama qui « mérite le respect
et la reconnaissance ». Néanmoins, il a
rappelé que les sanctions économiques,
« qui causent d’énormes dégâts humains »
devaient être levées. « Nous devons
apprendre l’art de vivre ensemble, de
façon civilisée, avec nos différences »,
a conclu le Président Raúl Castro [7].
La communauté internationale a
salué ce rapprochement historique entre
Cuba et les Etats-Unis, qui met un terme
à plus d’un demi-siècle de relations
conflictuelles. Le Vatican a exprimé
« sa grande satisfaction ». Ban Ki-Moon,
secrétaire général des Nations unies, a
félicité les deux mandataires et a fait
part de sa disposition « à aider ces
deux pays à développer ses relations de
bon voisinage [8] ».
L’Amérique latine
a unanimement salué ce moment
historique. Le Mercosur, par la voix de
la présidente du Brésil Dilma Roussef, a
félicité Washington et La Havane pour
cette nouvelle « fantastique [9] ». José
Mujica, Président de l’Uruguay, a
exprimé son émotion : « A l’échelle
latino-américaine, cela ressemble à la
chute du mur de Berlin, mais de l’autre
côté. Dans l’histoire de l’humanité, les
blocus commerciaux ont uniquement servi
à faire du mal aux peuples mais n’ont
jamais rien résolu [10] ».
Cristina Fernández de Kirchner,
présidente de l’Argentine, a rendu
hommage au « peuple cubain et à son
gouvernement pour avoir initié un
processus de normalisation des relations
avec les Etats-Unis avec une dignité
absolue et sur un pied d’égalité ».
Quant à lui, Nicolás Maduro, président
vénézuélien, a souligné le « courage »
de Barack Obama [11].
L’Organisation des Etats américains a
également exprimé sa satisfaction à
Washington et à La Havane « pour avoir
fait ce pas historique, si nécessaire et
courageux, pour rétablir des relations
rompues en 1961 ». José Miguel Insulza,
son secrétaire général, a déclaré que
« les mesures annoncées aujourd’hui
ouvrent une voie de normalisation et il
n’y aura pas de retour en arrière ». Il
a exhorté le Congrès étasunien à adopter
les mesures législatives nécessaires
pour lever définitivement les sanctions
économiques [12].
En répondant à
l’appel de la communauté internationale
et à l’opinion publique de son propre
pays, Barack Obama a sans doute pris la
décision la plus emblématique de ses
deux mandats présidentiels et a réparé
une anomalie d’un autre temps en
rétablissant les relations avec Cuba.
L’histoire se souviendra du Président
Obama, non seulement comme étant le
premier homme de couleur à accéder à la
plus haute fonction, mais surtout comme
celui qui aura accepté le rameau
d’olivier tendu par Cuba et qui aura
ouvert la voie à l’instauration de
relations bilatérales constructives. Il
est désormais temps pour les Etats-Unis
de mettre un terme définitif à un état
de siège économique imposé depuis 1960,
de permettre aux touristes étasuniens de
découvrir l’île, et d’accepter la
réalité d’une Cuba différente – avec ses
vertus et ses défauts – mais
indépendante et libre de choisir son
propre modèle de société.
Docteur ès Etudes
Ibériques et Latino-américaines de
l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage
s’intitule Cuba. Les médias face au
défi de l’impartialité, Paris,
Editions Estrella, 2013 et comporte une
préface d’Eduardo Galeano.
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[6]
John Kerry, “Statement by
Secretary Kerry: Announcement of
Cuba Policy Changes”, op.
cit.
[7]
Raúl Castro, « Alocución del
Presidente cubano : Los Cinco ya
están en Cuba », Cubadebate,
17 décembre
2014
[8]
Le Monde,
« Une ‘rectification historique’
qui ne contente pas tout le
monde », 17 décembre 2014.
[9]
Opera
Mundi,
« Dilma diz achar ‘fantástica’
reaproximaçao de Cuba e EUA e
lembra de porto de Mariel”,
Opera Mundi¸17 décembre
2014.
[11]
Telam,
17 décembre 2014.
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