Actualité
Retraites
Dix questions et dix réponses
sur le projet de réforme
Salim Lamrani
Dimanche 12 janvier 2020
Salim Lamrani
Université
de La Réunion
L’Humanité
https://www.humanite.fr/retraites-dix-questions-et-dix-reponses-sur-le-projet-de-reforme-682972 L’universitaire Salim Lamrani répond à
dix questions sur les conséquences de la
réforme des retraites de Macron sur le
système actuel. Un décryptage qui prouve
que derrière l'étrange formule du
« retrait provisoire » de l’âge pivot
annoncé par le Premier ministre, c'est
bien le fond de la réforme qui n'est pas
acceptable.
1.
D’où est issu l’actuel
système des retraites ?
Le système actuel de retraites en France
est un héritage de la Libération, fondé
par le Conseil national de la
résistance. Il est basé sur le principe
de solidarité entre générations. Ainsi,
un pays détruit et ruiné par six années
de guerre a réussi à mettre en place un
régime destiné à garantir aux anciens un
niveau de pension digne. En 1945, la
création de la sécurité sociale « répond
à l’ambition de construire un régime
d’assurance vieillesse couvrant
l’ensemble de la population ». Voici les
motifs de l’ordonnance de 1945 : « La
sécurité sociale est la garantie donnée
à chacun qu’en toutes circonstances, il
disposera des moyens nécessaires pour
assurer sa subsistance et celle de sa
famille dans des conditions décentes.
Trouvant sa justification dans un souci
élémentaire de justice sociale, elle
répond à la volonté de débarrasser nos
concitoyens de l’incertitude du
lendemain ».
2.
Quels en sont les
principes de base ?
Le système des retraites actuel repose
sur quatre principes. Il est
obligatoire, c’est-à-dire que tout
actif cotise automatiquement. Il
fonctionne par répartition, ce
qui fait que le montant total des
cotisations versées chaque année par les
salariés sert à payer les pensions des
retraités actuels. Il est solidaire
et prend en compte les périodes de
chômage, de maladie ou d’invalidité, le
nombre d’enfants, les carrières longues
et les situations de handicap. Il est
enfin contributif car la retraite
est calculée en fonction des cotisations
effectués durant la carrière
professionnelle. La retraite de base
fonctionne en annuités et les droits
acquis sont comptabilisés en trimestres.
Il s’agit d’un
des meilleurs systèmes au monde car le
taux de pauvreté chez les seniors en
France est actuellement l’un des plus
bas de la planète.
3.
Y a-t-il urgence à
réformer le système actuel ?
Actuellement,
le déficit annuel conjoncturel se situe
entre 7 et 17 milliards par an. Selon le
Conseil d’orientation des retraites, qui
est une entité rattachée au Premier
Ministre, il se résorbera
démographiquement et le système
deviendra excédentaire à partir de 2040.
Par ailleurs, il convient de rappeler
que les réserves globales pour les
retraites du régime général et du régime
privé, dont le rôle est de compenser un
éventuel déficit conjoncturel, sont de
plus de 150 milliards d’euros. Il n’y a
donc aucune urgence. De plus, à partir
de 2025, le déficit de la sécurité
sociale, auquel la Caisse
d’amortissement de la dette sociale
alloue chaque année 17 milliards
d’euros, sera comblé, et l’Etat
disposera de cette somme, qu’il pourra
allouer au système des retraites,
jusqu’à ce qu’il retrouve son équilibre
en 2040.
4.
Vu que le nombre de
retraités est en augmentation, la
réforme n’est-elle pas indispensable ?
On évoque
souvent l’argument du nombre croissant
de retraités par rapport au siècle
dernier. En effet, en 1970, il y avait
trois actifs pour un retraité.
Aujourd’hui, il y a 1,7 actif pour un
retraité. En revanche, ce que l’on omet
de mentionner, c’est qu’un salarié
d’aujourd’hui produit autant que trois
actifs des années 1970. Donc, d’un point
de vue économique, le système actuel est
encore plus viable qu’il y a cinquante
ans. Pourquoi le système est-il alors
déficitaire ? Tout simplement parce que
la répartition des richesses entre le
travail et le capital est inégalitaire.
On rémunère beaucoup plus les
actionnaires que les salariés. Dans les
années 1980, la rémunération des
actionnaires ne représentait que neuf
jours de production par an. Aujourd’hui,
elle représente 45 jours et elle se fait
au détriment de l’augmentation des
salaires. Si l’on rémunérait
proportionnellement autant les salariés
que les actionnaires, le système de
retraites serait largement excédentaire.
5.
Quels sont les risques
du système à points que veut imposer le
gouvernement Macron ?
Avec le
système actuel, chaque actif sait à quel
moment il pourra faire valoir ses droits
à une pension de retraite et en
connaîtra le montant. Aujourd’hui, il
faut avoir cotisé 43 annuités et avoir
atteint l’âge pivot de 62 ans pour
partir en retraite avec une pension
complète. Avec un système à points, nul
ne pourra connaître le montant de sa
future pension de retraite ni le moment
où il pourra cesser de travailler, car
la valeur du point pourra être modifiée
par la majorité gouvernementale à tout
moment.
François
Fillon, ancien Premier ministre du
Président Nicolas Sarkozy, a d’ailleurs
fait preuve de franchise à ce sujet lors
d’un discours devant les grands patrons
français du MEDEF en mars 2016 : « Il y
a trop d’hommes politiques qui jouent
avec l’affaire des retraites et qui font
miroiter des réformes formidables, par
exemple la retraite par points. Il ne
faut pas faire croire aux Français que
cela va régler le problème des
retraites. Le système par points permet
en réalité une chose qu’aucun homme
politique n’avoue : cela permet de
baisser chaque année la valeur du point
et donc de diminuer le niveau des
pensions ».
Partout où le
système par points a été appliqué, les
pensions ont baissé et le taux de
pauvreté chez les seniors a explosé.
Ainsi, en Suède, depuis l’adoption d’un
système de retraite par points, le taux
de pauvreté chez les seniors a doublé en
neuf ans. Le système actuel de retraites
est celui qui produit le moins de
pauvreté chez les personnes de plus de
65 ans. Il est actuellement de 6,5% en
France alors qu’il atteint 17% en Suède.
6.
Qu’en est-il du mode de
calcul de la retraite dans le projet de
réforme et de l’âge pivot ?
La réforme
prévoit de calculer le montant de la
pension de retraite non pas sur les 25
meilleures années pour le secteur privé
et les six derniers mois pour le secteur
public comme c’est actuellement le cas,
mais sur l’ensemble de la carrière. La
conséquence mathématique est que le
montant des retraites baissera car on
prendra en compte les périodes de
chômage ou de bas salaires, notamment en
début de carrière.
Par ailleurs,
on annonce que l’âge pivot, âge à partir
duquel on peut faire valoir ses droits à
la retraite et qui est actuellement à 62
ans, sera porté à 64 ans. Or, près de
50% des actifs qui arrivent à l’âge de
la retraite actuel sont au chômage. Il y
a aujourd’hui 300 000 chômeurs de plus
de 60 ans en France. Quelle sera la
conséquence de l’augmentation de l’âge
pivot ? Les seniors au chômage n’auront
pas assez cotisé pour prétendre à une
pension complète. Il convient de
rappeler que le candidat Emmanuel Macron
avait pris un engagement solennel durant
la campagne présidentielle : « Nous ne
toucherons pas à l’âge de départ à la
retraite ni au niveau des pensions ».
Or, avec le projet de modification de
l’âge pivot et l’adoption du système à
points, il sera impossible de tenir
cette promesse.
7.
N’y a-t-il pas d’autres
alternatives pour résorber l’actuel
déficit conjoncturel du système des
retraites ?
Il existe de
multiples possibilités pour combler le
déficit actuel qui, au regard des
réserves financières des différents
régimes de retraites – 150 milliards
d’euros – n’est pas inquiétant. En
admettant que l’estimation haute
concernant le déficit se confirmait,
c’est-à-dire 15 milliards d’euros par
an, les réserves sont suffisantes pour
tenir 10 ans, en supposant que l’on ne
prenne aucune autre mesure. Mais il y a
plusieurs d’alternatives :
- La première
possibilité – et il est honteux qu’elle
n’ait pas été mise en œuvre dans la
France du XXIe siècle – est que les
femmes soient rémunérées de la même
manière que les hommes. Rappelons que le
cœur de notre devise républicaine est
l’égalité. Cette mesure comblerait
immédiatement le déficit actuel grâce
aux nouvelles cotisations générées par
l’augmentation salariale.
- La deuxième
possibilité serait d’augmenter
modestement les salaires à hauteur de
5%, c’est-à-dire de 75 euros par mois
pour un revenu mensuel de 1 500 euros.
La moitié de la population active en
France dispose d’un salaire mensuel
inférieur à 1 500 euros. Cela
permettrait de faire rentrer chaque
année 18 milliards de cotisations dans
les caisses de retraite.
- Une
troisième solution serait de suivre la
préconisation du Conseil d’orientation
des retraites, organisme régulièrement
sollicité par le gouvernement,
d’augmenter modestement le taux de
cotisation d’environ 1%. On pourrait
multiplier les exemples.
8.
Le déficit actuel
n’est-il pas le résultat de décisions
politiques ?
Effectivement, les politiques
gouvernementales sont en partie
responsables du déficit actuel. Ainsi,
la défiscalisation des heures
supplémentaires prive l’Etat de
cotisations qui permettraient
d’équilibrer en partie le système.
Par ailleurs,
selon le Conseil d’orientation des
retraites, la suppression de s 120 000
postes d’agents dans la fonction
publique annoncée par le gouvernement a
un impact conséquent sur le déficit du
système de retraite : « La politique de
l’État est très déterminante. Si vous
enlevez un million de fonctionnaires en
France, vous faites des économies
budgétaires très importantes, mais vous
mettez les régimes de retraite avec les
conventions actuelles en faillite. » En
un mot, maintenir ou augmenter le nombre
de fonctionnaires dans les secteurs
prioritaires tels que la santé et
l’éducation permettrait de résoudre le
problème du déficit.
De plus, le
rapport Delevoye de 132 pages, qui
constitue la base du projet de réforme
actuel, prévoit également d’exonérer les
hauts revenus au-delà de 120 000 euros
annuels de cotisations retraites et de
baisser le taux de 28% à 2,8%. Selon l’Agirc-Arrco,
organisme de retraite complémentaire
pour les salariés du privé, cette mesure
priverait le régime des retraites de 4 à
7 milliards d’euros de cotisations
chaque année. On ne peut pas à la fois
organiser le déficit et prétendre lutter
contre celui-ci. En outre, les
investissements réalisés dans un système
de retraites complémentaires par
capitalisation donneraient droit à une
exonération fiscale de 70% pour les
entreprises, ce qui contribuerait à
appauvrir davantage l’Etat en le privant
de recettes.
Enfin,
actuellement, la part du PIB consacrée
aux retraites est de 13,8%, soit 330
milliards d’euros. Au cours de
l’histoire, le pourcentage du PIB dédié
aux pensions de retraite a toujours été
adapté aux fluctuations de la
composition démographique pour assurer
un niveau de pension décent. Il était de
5% en 1960, 9,4% en 1975, 11,6% en 2000,
13% en 2007 et il est prévu qu’il soit
de 14% en 2025. Le Conseil d’orientation
des retraites note à ce sujet que « la
part des dépenses de retraite dans le
PIB ne dérape pas significativement,
quels que soient les scénarios
économiques », c’est-à-dire y compris en
cas de croissance très faible. Or, le
gouvernement a pris la décision de
limiter cette part à 14% y compris après
2025 alors que la part des retraités
passera de 22% en 2025 à 27% en 2060. La
conséquence inévitable sera une baisse
du montant des pensions. Il faudrait au
contraire ajuster la part du PIB
consacrée aux retraites selon
l’évolution démographique. Ainsi, si
l’on consacrait 16% du PIB au système de
retraites, le déficit disparaitrait de
façon automatique.
Un autre
exemple : l’évasion fiscale coûte chaque
année 100 milliards d’euros à la France.
Si le pays se donnait les moyens de
lutter contre ce fléau, cela résoudrait
tous les problèmes de déficit de la
nation et permettrait d’investir
massivement pour résorber le chômage et
augmenter les salaires. Cela
engendrerait mécaniquement une baisse
des dépenses de l’Etat et notamment des
allocations-chômage, et une hausse de
ses recettes par le biais des impôts
perçus grâce aux nouveaux emplois créés.
Ces nouveaux salariés, disposant enfin
d’un revenu, consommeraient davantage,
ce qui remplirait les carnets de
commandes des entreprises, lesquelles
embaucheraient à leur tour pour répondre
à la demande, créant ainsi un cercle
vertueux qui rendrait la société
française plus égalitaire.
9.
Ne faut-il pas mettre
en place un régime universel et en finir
avec les régimes spéciaux ?
L’argument du
régime universel n’est pas soutenable
car le gouvernement a déjà acté le fait
que différentes catégories, tels que les
policiers, les militaires, le personnel
aérien, les routiers et autres,
conserveraient leur régime spécifique
grâce aux mobilisations de ces
corporations. En réalité, les régimes
spéciaux, au nombre de 42, ne concernent
que 3% des actifs. On ne peut pas
sérieusement prétendre mettre à bas un
système qui fonctionne parfaitement au
motif que 3% des actifs disposent d’un
régime spécial, lequel se justifie
souvent par les particularités de leur
métier. Pourquoi, si cette réforme est
synonyme de progrès social – selon les
dires du gouvernement –, prive-t-on ces
catégories de cette avancée ? Cette
affirmation ne résiste pas au bon sens.
Certains
régimes spéciaux sont déficitaires pour
des raisons démographiques avec une
augmentation du nombre de retraités,
mais également à cause de décisions
politiques. Prenons le cas de la SNCF.
Il y a 30 ans, il y avait 300 000
cheminots. Aujourd’hui, il n’y en a plus
que 150 000, car l’Etat a décidé de
procéder à une réduction drastique du
nombre d’effectifs en dépit des besoins
réels. Il est donc normal qu’il soit
déficitaire, puisqu’il y a 50% de moins
de cotisants. Encore une fois, on ne
peut pas être à la fois en partie à
l’origine du déficit et ensuite le
pointer du doigt pour justifier le
démantèlement du système actuel.
10.
Quel est le but réel de
cette réforme ?
En réalité,
il s’agit d’une réforme idéologique qui
vise à promouvoir un système de retraite
complémentaire par capitalisation,
auquel les actifs auront logiquement
recours en raison des incertitudes
générées par un système par points. En
effet, si les salariés et fonctionnaires
ne savent pas quel sera le futur montant
de leur pension de retraite, ceux qui en
auront la possibilité souscriront à un
contrat de retraite complémentaire par
capitalisation auprès des banques, des
fonds de pension et des assurances. Il
s’agit de permettre à ces entités
privées, qui convoitent depuis des
années les centaines de milliards
d’euros que représente le marché de
retraites, de faire de juteux bénéfices.
Le rapport
Delevoye lui-même confesse qu’il n’y a
aucune urgence économique à réformer le
système actuel. Il est important de le
citer, page 6 : « Notre système de
retraites permet de garantir à nos
retraités un niveau de vie satisfaisant,
tant en comparaison du reste de la
population française qu’au regard de la
situation qui existe chez nos voisins
européens. Grâce aux efforts qui ont été
conduits au cours des vingt-cinq
dernières années, il est aujourd’hui
proche de l’équilibre financier ».
En
conclusion, le projet actuel de réforme
du système des retraites est une
régression sociale sans précédent. Il ne
se justifie d’aucune manière car la
France n’a jamais été aussi riche de
toute son histoire. Il y a deux
principaux problèmes en France auquel le
gouvernement devrait s’attaquer : le
chômage et l’inégalité de la répartition
des richesses.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, spécialiste
des relations entre Cuba et les
Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Fidel Castro,
héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
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