Opinion
Marcelo Bielsa et la sélection
argentine :
un autre regard
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Dimanche 1er mai 2016
Les journalistes et un certain nombre
de supporters argentins considèrent la
période de Marcelo Bielsa à la tête de
la sélection argentine comme un échec,
se focalisant sur le Mondial 2002. Les
faits permettent de nuancer cette
opinion.
Les détracteurs de Marcelo Bielsa font
souvent référence à l’échec de
l’Argentine au premier tour de la Coupe
du Monde 2002 pour exprimer leurs
réserves au sujet du travail du
technicien de Rosario à la tête de l’Albiceleste.
Durant le tournoi qui s’est déroulé
en Corée du Sud et au Japon, la
sélection argentine – qui est tombé dans
le fameux « groupe de la mort » – a
remporté la victoire contre le Nigéria
(1-0), a perdu contre l’Angleterre (1-0)
et a fait match nul contre la Suède
(1-1). L’Argentine a été classée
troisième du groupe et a été éliminée du
Mondial.
Philosophie de jeu
Le monde du football professionnel
accorde une importance démesurée au
résultat immédiat au détriment du
mérite. Or, d’un point de vue éthique,
le mérite doit occuper un espace
central. Par conséquent, un entraîneur
ne devrait pas seulement être jugé par
les résultats conjoncturels mais par la
méthode mise en place pour les obtenir.
La noblesse des moyens utilisés pour
obtenir un triomphe est primordiale.
Ainsi, une équipe courageuse, offensive
et généreuse, qui produit du beau jeu,
qui attaque dans des espaces fermés et
qui doit parfois défendre dans des zones
ouvertes, qui multiplie les occasions de
but et qui dispose de la possession du
ballon, aura toujours plus de chances
d’obtenir la victoire et davantage de
mérite qu’une équipe ultra-défensive,
qui laisse la possession de balle à
l’adversaire, ferme tous les espaces,
reste dans sa moitié de terrain et se
contente d’attendre opportunément une
erreur de l’adversaire pour placer une
contre-attaque et éventuellement marquer
un but.
La philosophie de jeu de Marcelo Bielsa
favorise un football offensif et
agréable où les valeurs tels que la
vaillance, l’abnégation, la générosité,
la solidarité et l’esprit de sacrifice
occupent une place centrale.
L’organisation est scientifique et
minutieuse et l’ambition
footballistique, basée sur une attaque
permanente et un pressing haut et
constant, exige des efforts physiques
intenses et coordonnés. Cette méthode a
montré son efficacité puisque Bielsa a
obtenu des résultats spectaculaires avec
toutes les équipes dont il a eu la
direction. Salué par ses pairs à travers
le monde pour sa vision révolutionnaire
du football, il a ainsi obtenu le titre
de meilleur entraîneur d’Argentine, du
Chili, d’Amérique du Sud, d’Espagne et
de France.
Résultats
Est-il possible de se limiter aux
résultats du Mondial 2002 pour juger
l’œuvre de Marcelo Bielsa avec la
sélection argentine ? L’analyse serait
lacunaire et peu représentative. Il ne
s’agit pas de sous-estimer la
compétition phare du football puisque la
Coupe du Monde reste la récompense
suprême pour tout professionnel.
Cependant, il est indispensable de
prendre en compte le travail réalisé par
le natif de Rosario de 1998 à 2004 et
d’étudier les résultats obtenus durant
toute cette période.
L’équipe mis
en place par Bielsa était offensive,
équilibrée et redoutable d’efficacité.
Elle a obtenu les résultats les plus
spectaculaires de l’histoire de la
sélection argentine en termes de
victoires (13), de buts marqués (42), de
buts encaissés (15) et de points
accumulés durant des Eliminatoires de
Coupe du monde. L’Argentine a engrangé
43 points – 12 de plus que le deuxième !
– avec une seule défaite, la deuxième
meilleure défense du groupe (derrière
l’Uruguay) et la meilleure différence de
buts (+27), ce qui a valu à Marcelo
Bielsa le titre de meilleur
sélectionneur national du monde en 2001.[1]
Qu’en est-il
du Mondial 2002 ? Cette sélection,
éliminée au premier tour, méritait-elle
de se qualifier pour les huitièmes de
finale ? Si l’on se base sur la
philosophie de jeu, la noblesse des
moyens utilisés, la générosité de
l’équipe, la possession de balle et le
nombre d’occasions de but, il est
difficile d’émettre une réponse
négative. L’Argentine a produit le plus
beau jeu du groupe et, selon les
professionnels, le meilleur de tout le
Mondial. Pep Guardiola, l’entraîneur
espagnol le plus sollicité au monde,
affirme que « l’idée footballistique »
qui l’avait le plus séduit était celle
proposée par l’Argentine de Marcelo
Bielsa en 2002.[2]
Lors du
premier match, l’Argentine a obtenu une
victoire méritée contre le Nigeria (1-0)
comme le confirment les données. La
sélection de Bielsa a dominé son
adversaire avec une possession de balle
de 59%. Elle a obtenu 12 corners contre
3 seulement pour le Nigeria. Elle a
effectué 467 passes contre 321 pour
l’adversaire et a eu un avantage
territorial de 60%. L’Albiceleste
a réalisé 219 passes dans le camp
adverse, soit deux fois plus que le
Nigéria (107). Elle a eu 9 tirs cadrés
contre un seul pour sa rivale.
[3]
Lors de la deuxième opposition,
l’Angleterre a battu l’Argentine 1-0
grâce à un pénalty marqué par David
Beckham. Mais, dans le jeu, l’Argentine
a été supérieure à son adversaire comme
l’illustrent les statistiques. Elle a eu
une possession de 66% contre 34% pour
les Anglais. Elle a obtenu 9 corners
contre 3. Elle a réalisé 570 passes
contre 294 pour l’équipe anglaise, soit
presque le double, dont 276 ont été
faites dans le cas adverse contre
seulement 99 pour l’Angleterre. Enfin,
l’Argentine a eu un avantage territorial
de 58%.[4]
Le match contre la Suède s’est achevé
sur un nul 1-1 et a scellé l’élimination
de l’Albiceleste. Cependant,
l’Argentine a largement dominé la
rencontre comme le montrent les
chiffres. Avec une possession de balle
de 65% (contre seulement 35% pour
l’adversaire), elle a obtenu un avantage
territorial de 58% du terrain. L’équipe
sud-américaine a réalisé 550 passes
contre seulement 298 pour sa rivale,
soit 252 passes de plus, et 250 ont eu
lieu dans le camp adverse contre
seulement 101 pour la Suède. L’Argentine
a obtenu 13 corners à 3.[5]
Malgré l’échec du Mondial 2002, la
Fédération argentine de football (AFA) a
décidé de maintenir Marcelo Bielsa à son
poste de sélectionneur. Très peu de
techniciens arrivent à conserver leur
emploi après une élimination au premier
tour, surtout s’ils se trouvent à la
tête d’une équipe aussi importante.
Cependant, l’AFA, s’émancipant de la
tyrannie du résultat et de la pression
médiatique, a décidé à juste titre de
récompenser la proposition
footballistique du natif de Rosario
ainsi que son mérite.
Les fruits de la persévérance ont été
rapidement récoltés, donnant raison à
Marcelo Bielsa. Ainsi, le même
entraîneur, avec la même philosophie de
jeu, a mené l’Argentine à la finale de
la Copa America en 2004, perdue à la
loterie des tirs au but contre le
Brésil. Il a également obtenu la
médaille d’or aux Jeux olympiques
d’Athènes après avoir remporté tous les
matchs du tournoi olympique (17 buts
marqués et zéro encaissé en six matchs),
offrant ainsi au peuple de Diego
Maradona et d’Atahualpa Yupanqui le seul
titre officiel qui manquait au football
argentin, ainsi que sa première médaille
d’or depuis 1952.
En résumé, durant les six ans qu’il a
passés à la tête de la sélection
argentine, Marcelo Bielsa a dirigé 85
matchs, pour un bilan de 56 victoires
(66%), 18 matchs nuls (21%) et 11
défaites (13%). Aucun autre technicien
n’a eu de meilleurs résultats à la tête
de l’Argentine, pas même Guillermo
Stabile qui a dirigé la sélection de
1939 à 1960.[6]
Témoignages
des joueurs sur Marcelo Bielsa
Les témoignages des joueurs qui ont
participé au Mondial 2002 sont
révélateurs. En règle générale, durant
les périodes d’échec, le sélectionneur,
vilipendé par la presse et par les
supporters – qui ne glorifient, à
quelques exceptions près, que le
résultat – se retrouve isolé et
abandonné des footballeurs qui ne
veulent pas subir le poids de la
défaite. En revanche, pour Marcelo
Bielsa, ce fut différent puisque tous –
titulaires comme remplaçants – lui ont
apporté leur soutien.
Gabriel
Batistuta a fréquenté la sélection
de 1991 à 2002 en tant qu’attaquant. Il
a joué 78 matchs et a travaillé avec des
figures comme Alfio Basile – avec lequel
il a remporté deux Copa America
en 1991 et 1993 – et Daniel Passarrela.
Cependant, malgré l’élimination
prématurée de l’Argentine en 2002, il a
couvert d’éloges Bielsa : « C’est le
seul entraîneur qui m’a marqué à vif. Je
n’accordais aucune importance aux
autres. Je leur obéissais juste pour
qu’ils me fassent jouer[7] ».
Il ajoute la chose suivante : « Ce fut
le premier véritable entraîneur que j’ai
connu et le plus important de ma
formation. Bielsa sait tout. J’ai
commencé à jouer au football avec lui
quand il était à Newell’s. C’est un
amoureux des tactiques. Il prend soin de
chaque détail. Je garde d’excellents
souvenirs de lui comme entraîneur et
comme personne ».[8]
Mauricio
Pochettino, alors défenseur central
et désormais entraîneur de Tottenham en
Angleterre, connaît très bien le natif
de Rosario. Ses propos sont éclairants :
« Bielsa a été très important pour moi.
Je l’ai eu comme entraîneur à Newell’s
et, par la suite, j’ai beaucoup appris
de lui en le fréquentant avec la
sélection argentine […]. C’est un
technicien méthodique, très fidèle à ses
idées […]. Je suis marqué par Bielsa ».[9]
Il le considère comme étant « l’un des
meilleurs techniciens au monde » et
exprime son affection à son égard,
revendiquant son statut de maître
spirituel : « C’est mon père dans les
deux sens, parce qu’il a soixante ans et
qu’il peut être mon père biologique,
mais également parce que c’est mon père
dans le football ».[10]
Pour Juan
Pablo Sorin, latéral qui a remporté
plusieurs titres internationaux avec
River Plate, Bielsa a marqué l’histoire
de la sélection argentine : « C’est l’un
des entraîneurs auxquels je me suis le
plus identifié ». Il se souvient de ses
enseignements : « La première chose,
c’est l’impact ; la deuxième, c’est bien
comprendre que défendre de cette façon
découle du fait que l’on attaque
constamment ; la troisième,
l’engagement, tout donner, et plus
encore, pour l’équipe[11] ».
Après la démission de Bielsa en 2004,
Sorin lui a dédié une victoire contre
l’Uruguay, rendant hommage à son
travail : « C’est la fin d’un cycle à
succès où beaucoup de choses importantes
ont été réalisées ».[12]
Kily
González, qui a gagné des titres en
Espagne et en Italie, rappelle que tous
les joueurs avaient adhéré à la
philosophie de Marcelo Bielsa car la
méthode proposée était la meilleure pour
obtenir des résultats : « Il était si
spontané et si noble dans son idéologie.
Nous étions tous à l’écoute. Il nous
parlait, on assimilait ce qu’il disait
et on voyait les résultats. Il nous
disait de presser haut pour récupérer le
ballon dans la zone la plus proche de la
surface de réparation adverse afin de se
procurer un plus grand nombre
d’occasions et faire en sorte que les
efforts soient plus courts. Si on
intègre l’idée, tout devient beaucoup
plus facile ».[13]
Il insiste sur l’influence fondamentale
de Bielsa dans sa carrière personnelle :
« Marcelo […] m’a transformé en un top
joueur. Il a exploité toutes mes
qualités et a diminué mes défauts. Il
m’a donné ce qui me manquait. J’ai
toujours été un joueur rapide, mais
avant je finissais mes courses dans les
panneaux publicitaires. Avec lui, j’ai
appris énormément au niveau tactique. Il
cherche la perfection même si la
perfection n’existe pas. Mais, peu
importe, il la cherche. Il exige le
maximum de toi. […] Il a réussi à
convaincre pleins de stars à adopter son
style de jeu. Je parle de joueurs comme
Batistuta, Simeone ou Sensini. De plus,
c’est quelqu’un de bien. Bref, je
pourrais parler de Bielsa pendant des
heures. Vous remarquerez qu’il n’y a pas
un joueur qui dise du mal de lui. Je
l’admire[14] ».
Pour Diego
Simeone, actuel entraîneur de l’Atlético
Madrid, travailler avec Bielsa a été un
privilège : « Comme je l’ai toujours
dit, j’ai une grande admiration pour
Bielsa et de grands souvenirs. C’est un
grand professionnel[15] ».
Il souligne ses qualités de technicien :
« C’est un génie, c’est celui qui a su
m’expliquer le mieux ce qui se déroulait
sur le terrain. […] Sa personnalité est
si forte qu’il arrive à transmettre ce
qu’il veut. C’est le meilleur parce qu’à
chaque entraînement on tire un
enseignement important pour le prochain
match. Ce que l’on faisait à
l’entraînement avait une incidence
ensuite durant le match, ce qui est très
difficile à obtenir[16] ».
Après l’échec du Mondial 2002, Bielsa
avait réuni tous les joueurs pour leur
faire part de son analyse. Simeone se
rappelle de ce moment et raconte une
anecdote qui illustre l’autorité morale
de son sélectionneur : « Germán [Burgos]
avait été mis sur le banc de touche […]
[puisque Bielsa avait préféré confier le
poste de gardien titulaire a Cavallero].
On imagine la colère que pouvait avoir
un type [comme Germán] qui avait joué
tous les éliminatoires et qui est mis
sur la touche pour le Mondial. […].
[Après le discours de Bielsa], le
premier à se lever et à le prendre dans
ses bras a été Germán. Il l’a serré fort
dans ses bras ! On s’est tous mis à
pleurer. Alors qu’il l’avait mis sur la
touche au moment le plus important de sa
vie sportive! Germán savait qu’il
n’aurait plus d’autre occasion de jouer
une Coupe du Monde ! Cela illustre la
force de leadership de Bielsa[17] ».
Le témoignage
de Germán Burgos, aujourd’hui
entraîneur en Espagne, confirme les
propos de Simeone. Loin de garder
rancune contre Bielsa, il se montre au
contraire élogieux à son égard : « Le
Loco est le meilleur technicien au
monde et c’est la personne la plus
honnête que je connaisse. […] Il m’a
beaucoup appris. J’ai toujours été un
gardien libre mais il a réussi à calmer
ma propension à l’improvisation[18] ».
Javier
Zanetti, légende de l’Inter Milan
qui a joué comme défenseur et milieu de
terrain totalisant plus de 1 000 matchs
professionnels, partage l’opinion de la
majorité de ceux qui ont eu
l’opportunité de travailler avec Marcelo
Bielsa. Selon lui, « c’est l’entraîneur
que tout joueur aimerait avoir. Il nous
prépare tellement bien que durant le
match nous savons exactement ce que nous
devons faire. De plus, il est direct. Il
se contrefiche de ton nom ou de ton
statut[19] ».
Zanetti a été marqué par « sa passion
pour le jeu ». « En plus, il a une
grande capacité de motivation, et on ne
s’imagine même pas à quel point. Il a
une noblesse à toute épreuve. Je ne
connais pas d’autre personne comme lui
dans le football[20] ».
Il conclut de la façon suivante : « Bielsa
est le meilleur entraîneur que j’ai eu,
devant Mourinho [avec qui il avait
pourtant réalisé un fabuleux triplé
Ligue des champions/Championnat d’Italie
et Coupe d’Italie en 2010][21] ».
Roberto
Ayala, qui a été élu meilleur
défenseur européen en 2001, garde un
souvenir enthousiaste de Bielsa,
notamment de sa « capacité à obtenir un
engagement du joueur ». « Le footballeur
s’identifie » au projet de jeu de
l’entraîneur argentin qui, « même sans
montrer d’affection, sait se faire
aimer ».[22]
Ayala insiste sur l’aptitude de Bielsa à
exploiter toutes les qualités des
athlètes: « Marcelo arrive à tirer le
meilleur de toi-même. Que ce soit d’un
point de vue physique ou psychologique,
il sait stimuler le joueur. Il touche
des points sensibles que d’autres n’ont
pas réussi à atteindre, et ce avec peu
de mots ». Le défenseur a été marqué par
sa philosophie de jeu : « Il préconise
de jouer comme un amateur, par amour du
football et quand tu es sur le terrain,
tu as envie de manger ton adversaire. Je
l’ai eu en sélection et c’est ma
référence ».
[23]
Claudio
Husaín, milieu de terrain qui a
réalisé une grande partie de sa carrière
en Argentine, souligne également « la
façon de travailler et de convaincre »
de Bielsa. « Il m’a accordé de la
considération et a su me mettre en
valeur », souligne-t-il, en lui
exprimant sa reconnaissance d’avoir
participé au Mondial 2002. Il a été
marqué par la passion du natif de
Rosario : « Il a des idéaux propres et
il est honnête. C’est un amoureux et un
fou de football. Il vit 24h/24h pour ce
sport. Je n’ai connu personne de
similaire[24] ».
Ariel
Ortega, star offensive qui a
participé à trois coupes du monde, se
souvient de la caractéristique
fondamentale de Bielsa : « Son trait
principal est l’honnêteté en tant que
personne et vis-à-vis du joueur. Il est
très clair dans ses idées et respecte
beaucoup le footballeur[25] ».
Il a été frappé par l’engagement total
de son entraîneur et par son dévouement
pour sa profession : « C’est une
personne qui travaille très bien. […].
Il vit pour le football[26] ».
Juan
Sebastián Verón, milieu de terrain
qui a obtenu plusieurs titres en
Argentine et en Italie durant sa
carrière, apprécie, quant à lui, la
franchise de son sélectionneur : « Il ne
tourne pas autour du pot et n’envoie
personne parler à sa place. Il s’adresse
directement à toi. Il est assez cru mais
il parle les yeux dans les yeux. Il est
rare de trouver ce type de personne dans
le monde du football. Il n’y avait pas
de demi-mesure avec Bielsa, c’était
blanc ou noir ». Il se souvient
également de ses discours et de sa
capacité à motiver les joueurs : « Ses
interventions étaient très bonnes. On
rentrait sur le terrain et on avait
envie de bouffer l’adversaire. Il nous
haranguait en évoquant les supporters,
notre origine, notre famille. Il nous
remplissait de rage de vaincre[27] ».
Matías
Almeyda, milieu de terrain qui a eu
une brillante carrière en Espagne et en
Italie avec plusieurs titres nationaux
et internationaux et qui a embrassé la
carrière d’entraîneur, se souvient de
l’influence de Marcelo Bielsa : « J’ai
tiré quelque chose de de tous les
entraîneurs que j’ai eus, de Passarella,
de Sabella, de ‘Toto’ Gallego, mais si
je devais en choisir un, ce serait
Marcelo Bielsa, parce qu’avec lui j’ai
appris bien plus que du football[28] ».
Walter
Samuel, défenseur qui a remporté la
Ligue des champions, le Mondial des
clubs et plusieurs titres nationaux avec
l’Inter Milan, a exprimé son sentiment
sur l’échec de 2002 et se souvient du
beau jeu produit par l’Argentine :
« L’élimination du Mondial 2002 a été la
chose la plus triste. Pas pour
l’élimination en soi, mais pour l’équipe
que nous avions, le groupe,
l’entraîneur, pour tout… Si nous avions
passé le premier tour nous aurions pu
aller loin. Ce groupe avait marqué les
gens, qui étaient plein d’espoir[29] ».
L’attaquant
Claudio López, qui a réalisé une
grande partie de sa carrière à la Lazio
de Rome et à Valence, se souvient
également de l’apport de Bielsa à la
sélection argentine : « Marcelo a mis en
place un système très différent à celui
que nous avions dans nos clubs en
Europe. Il nous demandait un sacrifice
permanent. C’était un travail très
physique et il nous a été difficile de
nous y habituer. Mais quand nous l’avons
assimilé, nous avons atteint un niveau
de jeu très élevé, qui a porté ses
fruits durant les Eliminatoires[30] ».
Le gardien
Pablo Cavallero évoque quelques
circonstances qui, selon lui, expliquent
la déroute de 2002, dont les blessures
de Roberto Ayala et Claudio Caniggia
ainsi que l’état physique d’autres
joueurs : « Bati avait une forte douleur
au tendon du genou. Cela se voyait quand
il courrait car il n’arrivait pas à
ralentir et à changer de direction ». La
réussite était également absente,
notamment contre la Suède : « Le
problème, c’est d’avoir dix occasions
par mi-temps sans mettre un but ». En un
mot, il a manqué « cette dose de chance[31] ».
Le défenseur
Diego Placente rappelle
l’héritage de Bielsa : « Pendant ces
années, nous avons occupé la première
place au niveau mondial, en jouant un
football de haut niveau et en gagnant
partout. Il a manqué le couronnement
lors du Mondial ». Il considère injustes
formulées contre son ancien entraîneur,
après l’échec de 2002 : « Il a pris sa
revanche lors de la Copa América
et lors des Jeux Olympiques, qu’il a
remportés. Il continue à démontrer que
c’est un grand technicien. J’espère
qu’un jour il entraînera de nouveau la
sélection[32] ».
Pablo
Aimar, milieu de terrain qui a été
plusieurs fois champion avec Valence en
Espagne, considère Bielsa comme « le
meilleur entraîneur » de sa carrière[33].
Selon lui, c’est « un grand du football
et, surtout, une personne formidable. Il
est difficile de trouver un
sélectionneur comme lui ». Il loue sa
philosophie de jeu en rappelant qu’avec
Bielsa l’Argentine a joué « le football
souhaité par les supporters[34] ».
Gustavo
López, attaquant qui a également
joué en Espagne, partage l’opinion de
ses compagnons de la sélection
nationale : « Pour moi, Bielsa est au
top. Il vit et aime le football. Il est
passionné. C’est quelque chose
d’extraordinaire ». Il se souvient de la
fidélité de son entraîneur à ses
principes footballistiques
« indépendamment des bons ou des mauvais
résultats ». Il lui exprime sa
gratitude : « J’ai beaucoup appris en sa
compagnie et il fait partie des
meilleurs techniciens que j’ai eus dans
ma carrière. C’est le plus exigeant mais
c’est également celui qui est toujours
le plus reconnaissant de l’effort ou du
sacrifice[35] ».
Hernán
Crespo, attaquant qui a marqué le
championnat italien avec de multiples
titres et qui a également embrassé la
carrière d’entraîneur, garde un souvenir
fort de son ancien sélectionneur : « Les
entraîneurs qui m’ont le plus marqué
dans ma carrière sont Ancelotti,
Mourinho et Bielsa ». Grâce à ce
dernier, « j’ai appris à jouer en équipe[36] »,
note-t-il.
Marcelo
Gallardo, milieu de terrain qui a
remporté plusieurs titres en France et
en Argentine et aujourd’hui entraîneur
de l’équipe de River avec laquelle il a
gagné la Copa Libertadores, ne tarit pas
d’éloges à l’égard de son ancien
sélectionneur. « Bielsa fait partie des
techniciens qui m’ont le plus enseigné
[…]. C’est l’une des personnes qui a le
plus suscité mon intérêt pour le jeu[37] ».
Il souligne son influence et son pouvoir
de conviction : « Il fait partie des
entraîneurs qui ont ravivé l’amour pour
le jeu. J’ai connu beaucoup
d’entraîneurs tout au long de ma
carrière mais Bielsa savait mieux que
quiconque transmettre un message. Il a
marqué tous les joueurs qu’il a entraîné[38] ».
Claudio
Caniggia, attaquant qui a marqué
l’histoire de la sélection argentine
notamment grâce à sa complicité avec
Diego Maradona et qui a participé à
trois Coupes du Monde atteignant la
finale en 1990, garde également les
meilleurs souvenir de son ancien coach.
Bielsa « est un type qui tire le
meilleur de chaque joueur[39] ».
Conclusion
Durant les six années qu’il a passé à la
tête de l’Albiceleste entre 1998
et 2004, Marcelo Bielsa a marqué de son
empreinte le football argentin. Aucun
autre sélectionneur dans l’histoire du
pays n’a obtenu de meilleurs résultats.
L’épopée des Eliminatoires pour le
Mondial 2002, qui a permis à l’Argentine
de battre tous les records de points, de
victoires et de buts, ainsi que la
consécration olympique de 2004 restent
dans la mémoire collective des amoureux
du football noble et généreux. Le natif
de Rosario a marqué toute une génération
de joueurs, lesquels gardent un souvenir
ému du Professeur, surnom utilisé
en signe d’affection et de respect[40].
L’élimination prématurée du Mondial 2002
reste, certes, une douloureuse
meurtrissure. Elle laisse également un
sentiment d’injustice car l’idée
footballistique de Marcelo Bielsa
méritait un meilleur sort.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba,
parole à la défense !, Paris,
Editions Estrella, 2015 avec une préface
d’André Chassaigne.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[6]
Bilan de Guillermo Stábile: 85
victoires (66%), 21 matchs nuls
(16,5%), 21 défaites (16,5%).
Seuls les sélectionneurs ayant
dirigé au moins 30 matchs ont
été pris en compte.
[13]
Romain Laplanche, « Marcelo
Bielsa, le dernier amateur »,
op. cit.
[14]
Foot
Marseille,
op. cit.
[16]
Foot
Marseille,
op. cit.
[19]
Foot
Marseille,
op. cit.
[21]
Foot
Marseille,
op. cit.
[27]
Pablo Hacker, « ¿Cuál es el
secreto de Bielsa ? », op.
cit.
[40]
Seules manquent les déclarations
des joueurs José Chamot y
Roberto Bonano, non trouvées.
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