BDSF 34
Les Palestiniens luttent pour démanteler
l’apartheid
et pas seulement l’annexion
Salem Barahmeh
Un
Palestinien se repose à côté de soldats
israéliens, près du site du vieux
village connu sous le nom
de
Ein
Hijleh, dans la Vallée du Jourdain, près
de la ville de Jéricho en Cisjordanie,
février 2014.
(Issam
RiImawi/Flash90)
Jeudi 2 juillet 2020 Si on
demande à des Palestiniens de la Vallée
du Jourdain ce qu’ils ressentent par
rapport à l’annexion, nombre d’entre eux
diront qu’il y a longtemps qu’ils ont
été annexés.
La vue depuis la
maison de mes grands-parents à Jéricho,
la ville où j’ai grandi, donne sur les
crêtes montagneuses de la vallée du
Jourdain qui se jettent dans la mer
Morte. Au-delà de l’horizon de ces
montagnes, d’une mer Méditerranée qui se
trouve hors de ma portée en tant que
résidant de Cisjordanie occupée, se
verraient les plus beaux couchers de
soleil. Je me suis toujours demandé si
mes ancêtres, qui vivaient sur la même
terre, appréciaient cette vue autant que
moi.
Ma famille, les
Barahmeh, est l’un des clans indigènes
de Jéricho, dont les racines dans la
vallée du Jourdain remontent à plusieurs
siècles. Pourtant, dès mon plus jeune
âge, j’ai réalisé – comme mon père et
mon grand-père – que ce n’était plus à
« nous » qu’appartenait la vallée.
Peu après que nous
avons été occupés en 1967, Israël a
commencé à construire des colonies comme
Mitzpe Yericho, Yitav et Kalia autour de
Jéricho et dans toute la vallée du
Jourdain, où elles se sont développées
et demeurent jusqu’à aujourd’hui. Cette
politique coloniale et expansionniste
n’a pas commencé avec le Likoud ou
d’autres partis de droite, mais avec le
parti travailliste. Ce vol des terres et
l’annexion ont toujours été au cœur de
l’identité institutionnelle d’Israël, et
ont traversé des générations de
Palestiniens.
En regardant une
carte de la Cisjordanie aujourd’hui,
Jéricho apparaît comme une île
palestinienne isolée, entourée de tous
côtés par un océan de terres contrôlées
par Israël et par des colonies juives.
Bien que j’aie eu le privilège de
voyager à travers le monde, il y a des
endroits à quelques kilomètres de chez
moi que je n’ai jamais visités parce
qu’Israël ne me le permet pas. En tant
que Palestiniens détenteurs d’une carte
d’identité verte, nous sommes l’objet
d’une ségrégation qu’Israël opère entre
nous par un système d’identification à
plusieurs niveaux qui détermine où nous
pouvons ou ne pouvons pas aller. Pour
aller à Jérusalem, la ville où je suis
né, j’aurais besoin d’un permis
militaire israélien.
Des soldats
israéliens patrouillent près de Jéricho
au carrefour de Beit HaArava.
6 mai
2015. (Moshe
Shai/Flash90)
Je n’ai jamais été
autant confronté à cette réalité que
lorsque, à 19 ans, j’ai essayé de me
rendre à la plage de Kalia, sur la rive
nord de la mer Morte, en Cisjordanie
occupée. Bien qu’elles se trouvent à 15
minutes en voiture de Jéricho, ces
plages appartiennent à des Israéliens et
sont gérées par eux. Elles sont
« censées » être ouvertes à nous,
Palestiniens, mais dès mon arrivée, j’ai
été victime d’un profilage racial et on
m’a refusé l’entrée. Pour eux, j’étais
un « invité » indésirable sur les rives
mêmes que mes ancêtres ont fréquentées
pendant des siècles.
Si vous demandez
aux Palestiniens de la vallée du
Jourdain comment ils ressentent
l’annexion, beaucoup vous diront qu’ils
pensaient que nous avions déjà été
annexés il y a longtemps. C’est pourquoi
nous ne pouvons nous empêcher de trouver
ridicule le tollé croissant, alarmiste
et existentiel du monde à l’approche du
1er juillet – date à laquelle le
gouvernement israélien s’est engagé à
initier la mise en œuvre de l’annexion
« de jure ».
Cette
indignation ne porte pas sur nous, les
Palestiniens. Si c’était le cas, le
monde nous aurait écoutés il y a des
années. Il s’agit plutôt de ceux qui
maintiennent en vie une grande illusion
qui leur permet de dormir la nuit au
lieu de s’attaquer à l’oppression
systématique à laquelle les Palestiniens
sont confrontés. Cette grande illusion
est le paradigme d’Oslo qui a échoué et
qui n’a jamais reflété l’horrible
réalité qu’Israël était en train de
façonner sur le terrain, ainsi que le
« processus de paix » en faillite qui a
été conçu pour satisfaire l’imagination
du monde et lui ôter l’obligation
d’agir. Pour ceux qui protègent cette
illusion, la façade de la solution à
deux États est bien plus importante que
la souffrance de millions de personnes.
Je ne sais pas ce
qui se passera le 1er juillet, ni ce
qu’Israël prévoit exactement d’annexer
officiellement. Mais je sais que
l’ensemble de la politique israélienne,
qui vise à réaliser la vision du Grand
Israël, continuera à progresser. Pendant
des décennies, Israël a pris notre terre
et notre eau, a restreint nos
déplacements, a détruit notre économie,
a déplacé nos communautés et a mis fin à
nos vies, tout en nous traitant comme
des êtres humains inférieurs –
simplement parce que nous sommes
Palestiniens. Et après tout cela, le
monde pense toujours que nous n’avons
pas encore franchi le Rubicon.
Un enfant bédouin
palestinien fouille les décombres d’une
tente endommagée par le démantèlement
qu’elle a subi de bulldozers israéliens,
au prétexte qu’elle était dressée sans
permis au camp de
Baq’a,
près de la
ville cisjordanienne de Jéricho, 20 août
2013. (Issam
Rimawi/Flash90)
Le monde ne devrait
pas être surpris par ce qui arrivera le
1er juillet, mais plutôt s’indigner que
nous ayons été contraints de vivre sous
un système qui confère des libertés et
des droits basés sur l’ethnicité. Dans
ce système, nous, les Palestiniens,
sommes soit non libres, soit inégaux,
soit les deux selon que nous sommes
citoyens d’Israël, résidents de
Jérusalem, sujets occupés en Cisjordanie
et à Gaza, ou réfugiés en attente de
retour. C’est un système où le fait
d’être Palestinien peut parfois
représenter la différence entre la vie
et la mort. Un système qui consacre de
manière flagrante la suprématie et la
domination d’un groupe de personnes sur
un autre.
La lutte des
Palestiniens aujourd’hui ne consiste pas
seulement à combattre l’annexion, ce que
nous devons continuer à faire. Il s’agit
de démanteler tout le système de
l’apartheid. Le monde doit reconnaître
cette réalité pour ce qu’elle est, et
imposer une pression politique et
économique à Israël pour que ce système
soit démantelé. Si le monde est plus
intéressé à maintenir la réalité
actuelle parce qu’elle alimente une
façade commode, alors le monde lui-même
est complice.
Au lieu de
maintenir cette grande illusion, ce dont
nous avons besoin maintenant, ce sont de
solutions systématiques qui construisent
un nouveau contrat social entre le
fleuve et la mer, où chacun puisse être
libre et jouir de droits égaux. Il ne
s’agit pas de savoir qui vous êtes ni
d’où vous venez, ni si vous êtes
palestinien ou juif – il s’agit des
valeurs que vous défendez. Nous ne
pouvons pas laisser une autre génération
de Palestiniens grandir sous
l’apartheid.
Salem Barahmeh
est le directeur exécutif de l’Institut
de Palestine pour la Diplomatie
Publique, une organisation indépendante
basée à Ramallah qui défend la liberté
et les droits des Palestiniens dans le
monde entier.
Traduction SF pour
Campagne BDS France Montpellier
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