Nimr al-Nimr, symbole de la résistance à
l'oppression
et de la liberté d'expression
Salah Lamrani
Lundi 11 janvier 2016
Suite à
mon article sur l’exécution de Nimr
al-Nimr et les tensions entre l’Arabie
Saoudite et l’Iran, je publie un extrait
d’un discours de Cheikh Nimr al-Nimr
datant du 7 octobre 2011. Prononcé avant
la prière rituelle du vendredi, il
comprend deux sections, l’une religieuse
et l’autre politique, une disposition
traditionnelle chez les chiites depuis
la Révolution Islamique de l’Imam
Khomeini.
Cet extrait se
situe à la transition entre ces deux
sections, et en plus d’apporter des
informations précises sur le « Printemps
arabe » en Arabie Saoudite – soumis à un
embargo politico-médiatique depuis 2011
–, il permet de voir comment la religion
peut être non pas un vecteur
d’oppression et d’arriération, mais bien
un instrument de libération et
d’émancipation des peuples, conception
avec laquelle l’Occident n’est pas
forcément familier.
La dénonciation
politique de la religion en tant
qu’instance de domination réactionnaire,
inculquant la résignation aux peuples
face au pouvoir politique temporel en
échange d’hypothétiques récompenses
éternelles, était combattue par Marx,
farouchement athée, mais également par
Rousseau,
Robespierre et
Jaurès, dont la pensée s’inspirait
largement – et explicitement – de
sources religieuses.
Par sa dénonciation virulente, éloquente
et courageuse d’un régime barbare qui
compte parmi les plus tyranniques au
monde (mais ne laisse pas d’être un
allié stratégique de Washington, Londres
et Paris) et son combat pacifique pour
la liberté et la dignité, qui n’étaient
certes pas de vains mots pour lui, Nimr
al-Nimr est incontestablement un martyr
de la lutte pour l’auto-détermination
des peuples et la liberté d’expression.
Loin de l’étouffer et de l’éteindre, son
exécution ne fera que donner un plus
grand écho à sa voix.
Salah Lamrani
Transcription
:
[…]
Ces soldats, ces
officiers, ces journalistes, ces
écrivains, tous ces gens-là sont des
valets de ce régime tyrannique. Ils
vendent leur religion au tyran contre
les profits du monde d’ici-bas : ils
tuent, écrivent [des mensonges], versent
le sang, etc., en mercenaires. Ce sont
les pires créatures de Dieu, les plus
viles. Ils vendent leur religion pour
des avantages matériels, pour qu’un
tyran reste au pouvoir, pour que le
tyran jouisse et se délecte dans
l’oppression du peuple. Ces gens-là,
quel est leur destin ? Le Feu de
l’Enfer, éternellement ! Ce sont les
pires créatures de Dieu.
Eh bien, nous, dans
de telles conditions et face à de tels
événements, face à ces plumes
mercenaires, face à ces langues
calomniatrices et à ces âmes perverties,
nous devrions nous taire ? Proclamer la
vérité est un devoir impérieux. Car
lorsque nous sommes confrontés à une
volonté et des actions agressives visant
à frapper la société, à commettre des
actes criminels contre la société, tuer
les citoyens, les arrêter, les
terroriser, lorsque nous sommes
confrontés à un pouvoir oppresseur
déterminé à écraser l’aspiration des
citoyens à la liberté et à la dignité,
lorsque des écrits, etc., soutiennent
ces actions et machinations des
oppresseurs, le silence est un péché.
Le Prophète (paix
et bénédictions de Dieu sur lui et sa
famille) a dit : « Rester silencieux
lorsque proclamer la vérité est
obligatoire est une innovation (péché
mortel). » Lorsqu’il y a une nécessité
impérieuse de s’exprimer, faute de quoi
l’honneur des gens serait violé, leur
sang versé, et que les croyants se
verraient agressés, alors il devient un
devoir (religieux) de proclamer la
vérité et de dénoncer le mensonge et les
manipulations, les révélant pour ce
qu’ils sont.
Le Prophète (paix
et bénédictions de Dieu sur sa famille)
a déclaré : « Lorsque les innovations
apparaissent... »
Certains
demanderont où voit-on des innovations ?
L’oppresseur est un innovateur, et la
pire des innovations est l’oppression de
l’oppresseur. Car qu’est-ce que
l’innovation ? C’est quelque chose qui
revêt (frauduleusement) l’habit de la
religion. Un despote qui s’arroge une
légitimité religieuse, c’est là la plus
grande des innovations. La plus grande
des innovations est qu’un tyran
s’habille des vêtements de la religion,
et qu’il se considère comme le
dépositaire de l’autorité divine auprès
des hommes et des croyants. C’est la
plus grande des innovations !
« Lorsque les
innovations apparaissent dans ma
Communauté, que le savant expose son
savoir, et s’il ne le fait pas, la
malédiction de Dieu est sur lui. »
(Hadith du Prophète) Et si, au
contraire, le savant ajoute l’innovation
à l’innovation et défend le tyran... Que
Dieu nous en préserve !
C’était là une
introduction sur (les péchés) que peut
causer la langue (calomnies,
impostures...). Poursuivons notre
propos.
Le Ministre de
l’Intérieur a publié un communiqué
menaçant, mensonger, manipulateur et
falsificateur, qui s’inscrivait
clairement dans les déclarations et
rencontres précédentes indiquant que
l’Etat et le gouvernement s’apprêtaient
à commettre un massacre dans ce pays,
mais ce projet a échoué grâce à la
réponse appropriée de la jeunesse qui
est revenue à la sagesse et à la raison.
Ils avaient longuement préparé leur
complot, car durant la journée, avant
même les événements de la nuit, ils ont
lancé l’accusation d’ingérence
étrangère. Tous les faits, toutes les
déclarations télévisées sont disponibles
pour confirmer qu’il s’agissait d’une
provocation planifiée. Ils avaient tout
préparé pour pousser les gens à la
réaction et perpétrer un massacre, pour
répandre le sang, terroriser le peuple.
Ils ont donc publié leur communiqué.
Appliquons maintenant nos principes.
« Celui qui tait
(ne proclame pas) la vérité est un
diable muet. » (Hadith du Prophète).
C’est ce que nous enseigne le hadith, «
Celui qui tait (ne proclame pas) la
vérité est un diable muet. » Allons plus
loin. Si quelqu’un ne tait pas la
vérité, mais la pervertit, mélangeant le
vrai et le faux, c’est encore pire ! Ou
s’il inverse la vérité et le mensonge,
c’est encore pire ! Que dirons-nous à
leur propos ? Si « Celui qui tait (ne
proclame pas) la vérité est un diable
muet », alors celui qui mélange le vrai
et le faux, ou pervertit le vrai, et
revêt le faux des vêtements de la
vérité, alors il est pire que le dernier
des chiens ! Il est pire que le dernier
des chiens !
Pour tous ces
gens-là (journalistes, fonctionnaires, «
savants » au service des Saoud), on peut
utiliser ces termes. L’Etat vous
demande... « Celui qui tait (ne proclame
pas) la vérité est un diable muet »,
allez donc ! Prononcez les paroles de
vérité ! Appliquez ce hadith !
Appliquez-le quand il le faut ! Dites la
vérité ! Ecrivains, savants, penseurs,
tous ceux qui publient des déclarations
ou écrits.
Vous voulez vous
taire ? Vous ne pouvez pas parler ? Vous
êtes excusés. Car le hadith condamnant
celui qui tait la vérité ne concerne que
ceux qui ont la capacité de s’exprimer.
Quiconque ne peut pas, il est excusé, il
peut ne pas s’impliquer. Mais parler
pour dire des contre-vérités, revêtir la
vérité du mensonge, prendre le parti de
l’oppresseur contre l’opprimé, cela en
fait les pires des diables, si celui qui
se tait est un diable muet !
Eh bien,
poursuivons. Leur communiqué présentait
leur position, à nous de présenter la
nôtre. Leur communiqué nous demande de
proclamer clairement notre position
vis-à-vis de ces événements, donc
revenons sur tout ce qui les a précédé
pour leur donner leur portée véritable.
Depuis 100 ans,
nous subissons l’oppression, la
tyrannie, la peur et la terreur. Depuis
l’instant de notre naissance, nous
sommes confrontés à la peur, à la
terreur, au harcèlement et aux
persécutions. Nous sommes nés dans un
environnement de terreur tel que même
les murs nous faisaient peur. Même les
murs ! Que n’a pas subi chacun d’entre
nous en fait de terreur, d’injustice et
d’oppression dans ce pays ?
J’ai plus de 50
ans, soit un demi-siècle. Depuis que je
suis venu au monde et jusqu’à ce jour,
je ne me suis jamais senti en sûreté ou
en sécurité dans ce pays, nulle part,
depuis mon enfance. Car nous sommes
continuellement accusés en tous lieux en
en toutes circonstances, et menacés à
chaque instant. Et c’est ce que m’a dit
le chef de la police judiciaire en
personne, lorsque j’ai été arrêté, il
m’a dit : « Vous les chiites, il faut
tous vous tuer. »Telle est leur logique
! « Vous tous ! » C’est le mot du chef
de la police de la région orientale,
lui-même ! Et bien d’autres choses
similaires...
Où est donc la
sécurité ? Et comme dit le Commandeur
des Croyants (l’Imam Ali), « Il n’y a
aucun bienfait dans un pays, si ce n’est
avec la sécurité et le bonheur. » Et
nous manquons de l’un et de l’autre.
Quels sont les bienfaits de ce pays ? Où
est le bonheur ? Qui jouit du bonheur ?
Il n’y a que des couches de misères.
Dans tous les domaines : misère
sécuritaire, misère économique, misère
sociale, misère politique, misère de la
connaissance, une misère universelle !
Et c’est pourquoi nous avons une
position claire, qui constitue une
réponse au communiqué mensonger du
jour.
Incroyable ! La
presse d’aujourd’hui m’attribue des
déclarations qui justifieraient la
répression contre ma communauté ?! Que
Dieu nous préserve ! Ils n’ont pas le
droit ! C’est une infamie ! Les journaux
d’aujourd’hui et d’hier écrivent que
Nimr al-Nimr, de la ville d’Al-Awamiya,
appelle à la cessation des
manifestations, etc. Ils retournent mes
propos et les pervertissent pour leur
faire dire le contraire de ce qu’ils
signifiaient ! Mes déclarations sont
enregistrées et publiées. Je n’ai jamais
appelé à cesser les manifestations,
jamais ! Ce sont des manifestations
autorisées (du point de vue de la loi
religieuse).
L’Etat avait un
plan, mais nous avons déjoué cette
machination et nous avons déclaré aux
jeunes que ce n’était pas vrai. Cette
nuit même, dans cette région, aux
habitants d’Al-Awamiya : nous n’avons
pas appelé à arrêter les manifestations,
nulle part, ni à disperser les
regroupements où que ce soit ! A Al-Awamiya,
les jeunes ont demandé : « Comment
parvenir à une issue avec un tel Etat,
face à de tels développements ? » Je
leur ai dit de manifester cette nuit
même. Qu’ils sortent et manifestent !
Pourquoi devrions-nous laisser l’Etat
nous manipuler, se jouer de nous, etc. ?
Mais cet Etat (est aussi falsificateur)
que ceux qui ont prétendu « Dieu n’a pas
dit ‘Malheur à ceux qui boivent’ mais
‘Malheur à ceux qui prient’. » Voyez
avec quelle impudence ils déforment les
paroles ! Eh bien, poursuivons.
Ce que nous avons
dit (qu’ils mentent autant qu’ils
veulent dans leurs communiqués), j’ai
dit que le pouvoir est coupable, que
c’est lui qui a provoqué le peuple, et
pendant plus de trois heures, la police
tirait à balles réelles sur le peuple.
Pourquoi n’ont-ils pas reproduit cette
déclaration ?
Et j’ai condamné le
pouvoir, et j’ai dit que personne n’a le
droit de critiquer ou de persécuter ces
jeunes. Pourquoi ne l’écrivent-ils pas ?
Pourquoi ? En plus de ça, vous voulez
encore utiliser mes déclarations pour
frapper ma communauté en mon nom ? Votre
machination a échoué, et la manipulation
des médias étatiques s’est retournée
contre vous. Car les déclarations du
chef des forces de sécurité ont mis à
jour votre machination face aux médias
étatiques. Maintenant, vous voulez une
caution de la société (pour vos actes) ?
Nous avons invité
les groupes à maintenir leurs
manifestations pacifiques, et vous voyez
maintenant les campagnes dans la presse
et les médias. Leur plan est toujours
d’actualité, à savoir perpétrer un
massacre et déverser le sang, bienvenue
à vous ! Nous sommes prêts ! Notre sang
n’est pas cher payé lorsqu’il s’agit de
la défense de nos valeurs ! Nous ne
craignons pas la mort, et convoitons le
martyre ! Nous revendiquons nos droits !
[...]
Nous avons rappelé
que ces choses se produisent depuis 100
ans ; revenons maintenant aux derniers
événements. Il y a quelques mois, la
flamme de l’aspiration à la dignité a
commencé à brûler chez les jeunes. La
flamme de la liberté scintille : le
peuple est sorti pour demander des
réformes, sa dignité et ses libertés.
Il y a des
manifestants qui sont prisonniers depuis
plus de 16 ans, injustement opprimés. Et
après cela, nous avons vu l’armée
saoudienne traverser la péninsule pour
violer et écraser le Bahreïn. Puis
arrestations après arrestations. Qui a
donc est responsable de la sédition et
des violences ?
Est-ce celui qui a
manifesté pacifiquement, ne portant que
des pancartes, de manière tout à fait
légale et licite, et il ne se trouve
aucun jurisconsulte (autorité
religieuse) pour l’interdire. Qu’un
individu manifeste pacifiquement pour
demander son droit, sa dignité, aucun
jurisconsulte ne peut interdire cela. Et
celui qui interdirait cela (au nom de la
religion) n’est pas un jurisconsulte,
car un (authentique) jurisconsulte
n’interdirait jamais cela. Les gens
peuvent nommer (indûment) de telles
personnes « jurisconsultes » ou «
savants »... Et comme disait l’Imam al-Sadiq,
« Peut-on trouver un seul jurisconsulte
(authentique) dans cette ville ? ». De
telles personnes ne sont pas des
jurisconsultes.
C’est le pouvoir
qui cause la sédition, les conflits et
les violences dans la ville d’Al-Awamiya,
et non le peuple. Ceux qui causent la
sédition, les conflits et les violences
sont le gouvernement et ses forces
tyranniques. Et avant ces incidents, ils
provoquaient déjà le peuple en tirant à
balles réelles sur les passants qui
marchaient simplement dans la rue, et
ils écrasaient les gens avec leurs
véhicules : combien de passants ont été
écrasés volontairement (par les
véhicules des forces armées), combien de
passants ont été blessés ou tués par
balles, combien d’actes de provocation
aux points de contrôle, sans parler des
arrestations et de la répression.
Qui cause donc la
sédition, les conflits et les violences
? Celui qui subit la répression ? Celui
sur qui on tire à balles réelles ? Celui
qu’on emprisonne ? Celui qu’on opprime ?
C’est le pouvoir qui cause la sédition,
les conflits et les violences, et pas le
peuple ! Dans ce pays, personne n’a
causé la sédition, les conflits et les
violences sinon le gouvernement !
Pourquoi les gens
manifestent-ils ? Ils demandent leur
dignité. Ils manifestent leur solidarité
avec le peuple du Bahreïn. Ils demandent
la libération des prisonniers
(politiques). Ils demandent des
réformes. Ils demandent des droits.
Enonçons les trois points principaux et
laissons le reste de côté (les réformes,
la dignité, la liberté, la justice,
etc.).
1 / Les prisonniers
que vous arrêtez durant les
manifestations ;
2 / Les prisonniers
que vous détenez depuis plus de 16 ans ;
3 / L’ingérence de
l’armée saoudienne pour frapper notre
peuple au Bahreïn.
Ce sont ces trois
points qui ont provoqué, entrainé et
amplifié la sédition, et leur maintien
ajoute à la sédition. Et nous
continuerons à défendre les prisonniers,
passés et présents, nous nous tiendrons
à leurs côtés, et nous sommes prêts à
être arrêtés avec eux, et même à ce que
notre sang soit versé pour eux, en leur
défense. Et nous persisterons à nous
mobiliser et à manifester de plus en
plus notre soutien à notre peuple au
Bahreïn. Même si l’armée saoudienne
n’était pas intervenue, il aurait tout
de même été de notre devoir de nous
tenir aux côtés du Bahreïn qui est notre
peuple, alors qu’en est-il maintenant
que l’armée saoudienne elle-même
participe à l’écrasement, au meurtre, au
viol de l’honneur et au pillage ?
Ils veulent nous
intimider et nous imposer le silence,
mais nous ne nous tairons pas ! Nous ne
resterons pas silencieux !
Ils sont la source
de la sédition ! Ils veulent mettre fin
à la sédition ? Alors qu’ils se retirent
du Bahreïn ! Qu’ils relâchent les
prisonniers ! Qu’ils fassent des
réformes ! Qu’ils rendent au peuple sa
dignité.
Certaines personnes
viennent nous dire : « Mais vous n’êtes
pas les seuls à être opprimés. »
Incroyable ! Est-ce là une excuse (pour
le régime) ? Mais c’est pire encore ! «
Vous n’êtes pas les seuls, il n’y a pas
que les chiites, beaucoup d’autres se
font arrêter (injustement). » Mais c’est
pire encore ! Qui prétend que cela
serait une excuse (pour le régime) ?
Pourquoi arrêtent-ils (injustement) des
sunnites ? Sur quelle base ? Pourquoi
arrêtent-ils ces milliers de personnes
(sunnites et chiites) ? « Vous n’êtes
pas les seuls à vivre dans la misère,
d’autres la subissent aussi. » Pourquoi
tolèrerions-nous que d’autres soient
dans la misère ? Où est l’argent, où
sont les milliards ? Pourquoi nous
disent-ils « Vous n’êtes pas les seuls à
subir le chômage, vous n’êtes pas les
seuls à être emprisonnés, vous n’êtes
pas les seuls à être privés de ceci et
cela, etc. » Mais c’est encore plus
grave, c’est pire pour le régime, c’est
une accusation plus grande encore lancée
contre lui !
C’est ce pouvoir
tyrannique qui a causé cette sédition.
Mais qu’il sache que nous persisterons à
défendre les prisonniers, à défendre
notre peuple au Bahreïn et à manifester
notre solidarité avec eux, jusqu’à ce
qu’ils l’emportent et récupèrent leurs
droits, avec la volonté de Dieu.
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