MADANIYA
Le califat dans les imaginaires de
l’Islam sunnite 2/2
Roger Naba'a
Mercredi 6 décembre 2017
8- La fiction des Khulafa’ Rashidun
C’est du fond de
cet horizon d’attente que la fiction des
Khulafā’ Rashidūn serait venue aux
musulmans. Ils l’ont naturellement
acceptée, allant de soi comme une
«vérité» qui ne venant de nulle part
passait pour avoir été toujours-déjà-là.
C’est à mettre en scène la
représentation de la croyance en cette
«vérité» du Califat Heureux que la
fiction des Califes Bien Guidés fut
vouée ; une représentation qui soit
telle que celui qui y croit et lui est
assujetti ne puisse que croire en elle
dès lors que dans cette représentation
l’acteur, la scène et le destinataire
sont sur le même plan : les musulmans
sont tout à la fois, les destinataires
de la fiction, ses auteurs
(«inconscients» devrait-on ajouter) et
les acteurs de la scène du spectacle,
comme acteurs de la crise fitnique :
c’est par et avec eux que s’est
construit cette fiction comme mise en
scène de la sortie de la fitna !
C’est bien pour
cela qu’à la lecture «réaliste» de ceux
qui opposent «réalité/imaginaire», on
préfèrera d’autres qui s’expliqueraient,
chacune, par sa raison d’être, le tout
s’originant dans la fitna.
Trois raisons
d’inégale importance me semblent devoir
être retenues pour appréhender
l’institutionnalisation, en milieu
sunnite, de cette fiction.
-
La première proprement politique est
liée à la da‘wa(1) des Abbassides.
-
La seconde, s’inscrivant dans la
temporalité conflictuelle du califat
fitnique – que j’appellerai
«récit/fiction de démarcation et de
partage» – serait, elle, liée au
conflit qui opposa ceux qui se
dénommeront «sunnites» contre tous
les «sortants» des rangs du
«consensus de la umma».
-
La Troisième et dernière enfin, la
symbolique, qui s’inscrit, elle,
dans la temporalité de l’islam
prophétique.
Conçue comme
stratégie de prise du pouvoir, la da‘wa
abbasside, quand elle fut lancée,
consista à dénigrer les Omeyyades leurs
ennemis, certes sur tous les plans mais
plus spécifiquement au plan de leur
«conformité à la Tradition islamique»
établie. Leur mise à plat emprunta deux
axes d’attaque : au niveau des faits et
de l’histoire ; au niveau de
l’imaginaire sunnite. Au niveau des
faits, ils leur reprochèrent d’avoir
rompu le «‘urf» établi par les premiers
califes, les Bien Guidés, d’une élection
à la transmission par consultation des
(proches) Compagnons et non par
hérédité.
Avec les Omeyyades,
dès Mu’āwiya, le premier d’entre eux, on
passa brusquement d’un principe de
succession «consensuel» au principe
dynastique, présenté par la propagande
abbaside comme un reniement.
Reniement souligné
en abîme par la bid‘a de l’Imam (2) et
de l’Imamat : une hérésie qui, se
confondant avec rawāfid, sert aux
sunnites à dénommer les chiites.
La dissemblance
religieuse vint s’adjoindre au conflit
politique autour de la succession. Si
pour les sunnites en effet, le Prophète
était à la fois un guide spirituel et un
chef temporel, sa succession, elle, ne
pouvait être que temporelle – et pas du
tout «spirituelle» le temps de la
révélation s’étant clos avec la mort du
Prophète.
Pour les chiites
par contre, la prophétie est doublée par
l’Imamat. S’appuyant sur le Coran3 et
des hadīth4, ils affirment que le Coran
a une surface un sens exotérique ou
visible (zāhir) et un sens ésotérique ou
caché (bātin). Et pendant que le
Prophète n’en a révélé que le sens
exotérique, il revient à l’Imam d’en
relever le sens ésotérique. C’est en ce
sens que les chiites ont compris le dit
attribué à ‘Ali : «le Coran ne parle
pas» (Al-Qur’ān lā yantuq), il lui faut
donc un interprète qui ne peut être que
l’Imam. Comble de bid‘a, pour
l’orthodoxie sunnite, et donc source de
fitna.
9 – La fiction
du Califat Bien Guide, une ligne de
démarcation entre les Sunnites et les
«sortants»
Au plan du «Grand
partage», liée au conflit qui opposa
ceux qui se dénommeront « sunnites »(5),
aux « sortants » des rangs de la umma –
ces dissidents ces déviants – la fiction
du Califat Bien Guidé servira à tracer
une ligne de démarcation – et comme tel
un «signe de reconnaissance» – entre
ceux qui suivent la «voie droite», les
sunnites, contre tous les autres ; cette
ligne de partage passera bien évidemment
par la reconnaissance – ou pas – de la
légitimité des trois califes élus avant
‘Ali, mais délégitimés comme usurpateurs
par les «sortants» (chiites et
kharijites confondus) parce qu’élus à la
place de ‘Ali, seul successeur légitime
– aux yeux des seuls chiites, d’où leur
(sur)nom de rawāfid(6).
Or pour en arriver
là, et changer la perception des
évènements et celle de de
l’autre-en-islam, fut institué, à
l’époque abbasside, le récit de la
fiction du Califat Bien Guidé pour
battre le pavillon de la da‘wa
abbasside, car une da‘wa, pour se lancer
et mobiliser, se doit de se battre au
nom du «vrai islam» (en l’occurrence,
celui des Abbassides) contre un islam
fāsiq, pervers et dévoyé (celui des
Omeyyades). Par comparaison avec le
règne des Omeyyades, le Califat Bien
Guidé, régime «heureux» s’il en fut,
servira ainsi de repoussoir et permettra
que l’on précipitât les Omeyyades. Ce
n’est peut-être pas encore une
diabolisation mais c’est sûrement une
stigmatisation doublée d’une exclusion.
Le symbolique, s’il
reprend à son compte l’opposition de «ce
qui est» à «ce qui n’est pas», en change
néanmoins la perspective ajoutant un
«encore» à «ce qui n’est pas» : ce qui
n’est pas encore.
Du coup, elle ne se
lit plus en termes d’exclusivité, «réel»
vs «non-réel/irréel ou imaginaire», mais
dans les termes d’une opposition entre
deux ordres aux échéances
incommensurables, contraires mais non
contradictoires : l’ordre du «réel» et
de la «vérité de fait», la vérité de «ce
qui est» ou «a été» : un califat
fitnique ; vs l’ordre de la «vérité de
droit» de ce qui doit être dans la
mesure où cette vérité – le Califat
Heureux, ici symbolisé par le Califat
Bien Guidé – quand bien même il n’aurait
pas été, «sera parce qu’il doit être»,
et il ne peut qu’être puisque portée par
l’eschatologie de la parole prophétique.
C’est bien cet
ordre «du droit» qui met en récit la
«vérité» du Califat Heureux en Califat
Bien Guidé, et comme telle, d’une vérité
qui ne serait ni opposée à la réalité ni
non plus indexée sur le réel. Elle se
présente comme nécessaire mais dans le
temps indéterminé, nécessaire mais
conditionnée, son accomplissement étant
suspendu à la volonté divine.
Dès lors, on
n’opposerait plus, comme dans la lecture
«réaliste», le fait au non-fait, mais le
fait à la vérité comprise comme signe,
ouvrant par là le champ de l’avenir
humain (à tout le moins musulman
sunnite) au possible divin. Aussi le
récit du Califat Bien Guidé s’est-il
constitué en une scène de fiction où se
déploie une histoire idéale qui
réconcilie les sunnites avec l’Histoire,
et dans laquelle ils se déploient comme
sujet de cette fiction.
C’est par recours
au contrepoint que la tradition sunnite
a pu légitimer la fiction des Khulafā’
Rashidūn en lui assignant un «lieu» de
vérité : la parole même qui en parle, et
parole à travers laquelle se dit le
monde qui fait le monde des musulmans,
celui au sein duquel ils aspiraient à
vivre.
Et c’est
effectivement par l’intermédiaire du
récit du Califat Bien Guidé que fut
soulagé l’antinomie du savoir et du
croire, de l’histoire et de la fiction,
de la réalité et de l’imaginaire,
puisqu’il fallait tout à la fois, et
contradictoirement, savoir la «réalité
malheureuse» du califat des Premiers
temps (objet de la narration historique
et populaire) et croire à la «vérité»
heureuse du Califat, objet de
l’imaginaire et de la fiction, et du
discours savant sur le Califat, sa
nature, sa fonction, soin statut, bref
ce qui doit en être pour se légitimer.
Parallélisme que l’on peut suivre tout
au long de l’histoire de l’islam où
narration et fiction ont coexisté,
chacune d’entre elles allant son chemin,
juxtaposées sans s’influencer.
Paradoxe d’une
telle coexistence que j’expliquerai pour
ma part par le fait que leur finalité et
les enjeux qui s’y rattachaient, étaient
(et le sont toujours) différents.
Si ceux de la
narration sont de relater les faits en
les authentifiant, pour la fiction,
plutôt que d’accréditer contre les faits
l’inaccréditable, sa finalité aura été,
je pense, de tracer une frontière entre
l’acceptable et l’inacceptable : la
réalité fitnique du califat qui est un
savoir, acceptée et reconnue comme tel ;
et ce qui ne peut ni ne doit être
accepté ou reconnu : l’impossibilité
d’un Califat Heureux qui relève du
croire ; car pour ce faire et que
s’établît cette frontière, la logique de
production de cette fiction a pénétré
les logiques et les modalités – non pas
de la fixation des événements, œuvre des
chroniqueurs – mais du sens à leur
donner.
Si les musulmans
sunnites se sont donc accommodés de la
réalité fitnique du califat, ils s’en
accommodèrent selon le double moulinet
du contrepoint : pendant qu’ils
acceptaient la réalité «malheureuse» et
s’y résignaient, ils n’acceptaient pas
qu’elle s’imposât comme seule et unique
«vérité».
C’est bien cette
impossibilité d’un Califat Heureux que
nie l’imaginaire de la fiction des
Khulafā’ Rashidūn. Certes, ce qui est
nié, c’est toujours une réalité, mais il
s’agit cette fois de la réalité d’une
expérience collective et historique,
sans cesse renouvelée et renouvelée en
premier sous la guidance de l’excellence
des Compagnons du Prophète (Abu Bakr,
‘Umar. ‘Uthman, ‘Ali) ; et au creux de
cette négation liminaire, se dissimule
une autre, celle de l’impossibilité
d’une umma Une et réconciliée avec
elle-même selon l’injonction du
Prophète.
10- À Chaque
imaginaire, sa réalité
Comme l’on voit, à
chaque imaginaire sa réalité.
L’imaginaire où s’inscrit la fiction des
Rashidūn, laisse entendre que la réalité
fitnique du califat des Premiers temps
(le savoir et les faits) n’a pas
entraîné et (n’entraine toujours pas),
ipso facto, l’abandon en la croyance de
la «vérité» d’un Califat Rāshid et
Heureux.
En dépit des faits,
contre eux, par-delà et au-delà d’eux, a
pu être sauvegardée du naufrage où elle
sombrait l’unité de la umma, peut-être
pas comme réalité effectuée dans le
«passé/présent» ; mais certainement
comme «Vérité» dans le «présent/avenir»
(ou le futur comme il convient de dire
aujourd’hui) dès lors que la fiction «à
travers ce qui est dit… – ce qu’elle
raconte quant à l’histoire des Khulafā’
Rāshidūn – … il y a ce qui se dit» :
Que la umma pourra
échapper à son destin, à l’éclatement où
l’a vouée le califat fitnique des
Premiers temps, et donc que l’expérience
décevante du passé ne saurait récuser la
croyance certaine en sa nécessite à
venir et l’espérance qu’elle induit.
En réduisant, pour
réussir à franchir les frontières du
réel décevant, la réalité fitnique à
l’accidentel, en la soumettant à la
seule conjoncture historique,
s’affichait dans la fiction que cette
vérité décevante ne saurait être la
vérité, ou une vérité nécessaire et
irréversible : elle aura eu ce mérite
immense de sauver ce qui ne pouvait
l’être.
11- Donner un
sens nouveau à une réalité qu’il fallait
maitriser pour être à même de produire
un présent
Dans la perspective
de ce propos, l’irruption de la fiction
des Khulafā’ Rashidūn ne devrait donc
pas être interprétée en termes de
falsification de la réalité ou de sa
méconnaissance…; mais, authentique «acte
de création», elle traduirait plutôt
l’impérieuse nécessité où se trouvaient
les musulmans sunnites à donner un sens
nouveau à un passé qu’il fallait
maîtriser pour être à même de produire
un présent qui pût s’inscrire dans un
sens qui allait au-delà de son sens
«réaliste», un sens dans la perspective
eschatologique d’un avenir porteur du
Salut de la umma au sein de son unité
retrouvée «comme l’on retrouve un objet
perdu», eût pu ajouter Freud. Néanmoins,
si la sortie de la fitna représentée par
la fiction du Califat Rāshid, se
présente comme une nécessité, comme
toute chose est selon la volonté
d’Allah, c’est une nécessité reçue comme
un don plutôt qu’un dû, une promesse de
salut et non une dette.
12- La
proclamation de l’État islamique du
Calife Ibrahim : une déclaration
blasphématoire en ce qu’elle établit une
comparaison entre des termes -le
Prophète/al-Baghdādi- incommensurables
Or donc le 29 juin
2014, en plein mois du ramadan qui
coïncide avec le début de la révélation
coranique, ash-shaykh, al-Moudjāhid, Abu
Muhammad al-‘Adnāni ash-Shāmi7,
porte-parole officiel de l’État
Islamique, proclame la restauration du
califat quelque quatre-vingt-dix ans
après son abolition par Atatürk, sur des
territoires qui relèvent de deux Etats,
l’Irak et la Syrie, de la postérité de
l’exécution de l’Empire ottoman à la fin
de la Première Guerre mondiale.
Cette proclamation
intempestive a remis en mémoire la
question du califat en terre sunnite.
Qu’en fut-il exactement de sa réception
auprès des milieux concernés ?
Fut-elle perçue
comme s’inscrivant dans le sillage du
tableau de l’imaginaire ici rapidement
esquissé ? ou bien en rupture avec,
initiant un nouvel imaginaire ? Fut-elle
acceptée ou rejetée ?
En s’arrogeant le
droit de déterminer l’indéterminable
temps du Califat Heureux, la
proclamation califale d’Abu Bakr
al-Baghdādi semble s’être inscrite en
rupture avec la promesse prophétique
(8). Ce n’est pas la restauration du
califat comme tel qui a été rejeté par
la masse des musulmans sunnites dits
«modérés», mais son modus operandi : son
mode de proclamation et de naissance. Si
son comportement public a dû sûrement
contribuer à son rejet, ce rejet en
recouvre un autre – tu certes, mais à
fleur du dire -, et qui me semble à moi
nécessaire quoiqu’il n’ait pas mérité
attention.
Car alors
l’attention fut prise par quatre des
aspect de cette restauration : bien
évidemment, par son comportement public
«sauvage», qui s’originerait dans un
rigorisme qui n’accepte pour islamique
que seulement ce qui peut être
authentifié par le sceau du moment
prophétique ou, à tout le moins, par
celui des Premiers Compagnons, lequel
s’achèvera avec la fin du Califat Bien
Guidé et la mort de ‘Ali ;
-
Un second aspect, la dimension
géopolitique de l’entreprise
néo-califale qui balayait la
balkanisation régionale des
Provinces arabes de l’Empire
ottoman, voulue à l’époque de leur
puissance par la Grande-Bretagne et
la France, aux lendemains de la
Première Guerre mondiale
-
Le troisième retenu, la résurgence
de l’imaginaire califale, dit
abusivement «islamique», qui ne se
serait jamais (?) désillusionné et
travaillerait toujours, semble-t-il,
la psyché musulmane ; le quatrième
peut être la soumission de
l’Occident non-musulman à la sharī’a
et, pour ce faire, «purifier»
l’islam de ses éléments
«hérétiques», nommément chiites et
soufis
-
Enfin le dernier retenu, la mise en
scène apocalyptique de la «mission»
du califat, qui, dramatisant à
l’extrême l’affrontement avec
l’ennemi, joue pleinement, en
pathos, sur le registre de l’urgence
Or il est un autre
enjeu, resté dans la pénombre, qui n’a
pas mérité attention. Se situant sur un
autre plan, on en retrouve les traces,
les signes ou les indices, mais
nettement et très clairement, dans le
discours de Proclamation de la
restauration du califat, lu par
al-‘Adnā’ni.
Discours plaidoyer qui, afin de plaider
sa cause et légitimer le califat
(auto)-proclamé, s’essaie à justifier la
légitimité de l’entreprise califale.
Cette légitimation
se fait, tout au long de la plaidoirie,
dans les termes d’un parallèle entre
deux périodes de l’histoire islamique
-celle prophétique/celle d’aujourd’hui-,
qu’elle fait se correspondre
homologiquement terme à terme.
Dans les deux cas,
les Arabes à l’époque prophétique/les
musulmans d’aujourd’hui, étaient/sont
dans la Jāhiliyya : ils étaient/sont
impuissants et humiliés, pauvres et sans
ressources. Or, il a fallu un Prophète
pour sauver les Arabes de la Jāhiliyya,
il faut donc de nos jours, une sorte de
«délégué» du Prophète, pour sauver les
musulmans d’aujourd’hui de la nouvelle
Jāhiliyya (9).
En s’autoproclamant
calife, Baghdādi s’affiche comme l’homme
providentiel, choisi par le Prophète et
agréé par Dieu, pour conduire à bien
cette mission.
Parallèlement aux
raisons de son immoralité et de sa
«sauvagerie», c’est du fait de cette
homologie que l’État Islamique aurait
été, me semble-t-il, et le serait
toujours, rejeté par la masse des
musulmans sunnites dits «modérés» :
parce que, dans l’absolu, c’est une
proclamation blasphématoire qui établit
une comparaison entre des termes -le
Prophète/al-Baghdādi- incommensurables ;
et que, relativement aux choses de la
succession, la restauration telle
qu’elle s’est actée l’a été en dehors de
tout «‘urf», de tout modus operandi
connu dès lors qu’elle s’est faite en
battant en brèche la fiction du «ijmā‘»
qui, quoique fictif, semble
symboliquement nécessaire pour légitimer
une entreprise de ce genre qui se doit
de sacrifier à la fiction du
«consensuel».
Déplacer le centre
de gravité du rejet sunnite vers le
modus operandi de la proclamation,
permet de mettre au jour que ce qui a
été rejeté ce n’est pas la croyance
toujours recommencée en la promesse d’un
Califat Heureux !
Et je pense, que
tant que la croyance en cette promesse
ne se serait pas d’elle-même
désenchantée elle continuera à figurer
dans l’horizon d’attente des sunnites en
ce que cette promesse Califat incarne le
retour de la umma a elle-même, unifiée
sous et par la sharī’a.
Pour aller plus
loin
http://www.madaniya.info/2016/07/18/liban-symboles-temps-de-detresse/
Notes
1- Dans son sens
courant, da‘wa signifie prédication et
se traduit comme «appel à l’islam».
Comme tel, ce peut être le fait de tout
musulman d’appeler de non-musulmans à
embrasser l’islam. Au fil des temps,
certains d’entre eux, les prédicateurs
(dā‘ia/du‘āt) ont consacré leur vie à
prêcher la bonne parole islamique.
Mais da‘wa s’entend
aussi autrement, comme dans les
expressions «la da‘wa prophétique ; la
da‘wa ‘abāsiyya ; la da‘wa fātimiyya ;
da‘wat al-Husayn, Etc.», que l’on
retrouve sous la plume des historiens
musulmans, notamment Tabari et Ibn
Khaldūn. Certes, c’est toujours un appel
à l’islam, mais d’un autre genre
puisqu’il ne s’agit plus de conversion,
mais de faire triompher une cause (celle
de l’islam, évidemment), en brandissant
l’étendard de la révolte contre une
dynastie parce qu’elle aurait dévié dans
un islam fāsiq (perverti et dévoyé).
Dès lors qu’il
s’agit de prise du Pouvoir, cette
da‘wa-là devait souscrire à certaines
conditions :
-
quand le califat était encore le
fait des Arabes (avant l’irruption
des Turcs qui a tout chamboulé)
sahib ad-da‘wa (celui qui lance
l’appel) devait être un qurayshite,
de la « tribu » du Prophète (Abu
Bakr al-Baghdādi n’a-t-il pas fait
éditer un opuscule prouvant son
ascendance quraychite)
C’est un mouvement
à base populaire, bien qu’encadré par
les partisans et conduite par une
direction, qui se mobilise pour faire
triompher la cause de sahib ad-da‘wa,
qui se confond en l’occurrence, avec la
cause de l’islam.
Elle comprend enfin
une sorte de non-dit : l’issue doit en
être heureuse, sanctionnée par la
victoire, c’est-à-dire la conquête du
Pouvoir, pour passer l’éponge sur le
temps de la fitna/rupture qu’elle a
suscité et prouver par-là que l’Unité de
la umma est sauve puisque retrouvée ; et
si la da‘wa venait à échouer, elle
serait vouée aux gémonies de la fitna et
condamnée à l’oubli «officiel». La da‘wa,
l’abbaside (qu’on a appelé Révolution
abbasside, ce qui n’a pas de sens), la
fatimide, Etc., souscrivent en gros à ce
protocole que l’on peut induire de la
Muqaddima d’Ibn Khaldūn.
Comme telle, et
bien qu’elle comprenne une appréciable
mobilisation populaire, da’wa n’est pas,
ne peut et ne doit pas être confondue
avec «révolution» au sens que lui a
donné la Modernité occidentale ; pour
une raison à tout le moins : en dernière
analyse, une da’wa ne cherche qu’à
corriger ou à rectifier le tir –
l’exercice du Pouvoir, la pratique de
l’islam – mais elle n’a jamais cherché à
«révolutionner» le régime islamique :
jamais, dans aucune des da‘wa, il n’a
été question d’une sortie de l’islam
pour proposer un autre régime de
pouvoir, un autre discours, une autre
«idéologie». Ainsi la «Révolution
islamique» de Khomeyni, si elle peut
être perçue comme une révolution parce
qu’elle a réussi à changer le régime
politique en place, il reste que c’est
une da‘wa plutôt qu’une révolution au
sens moderne du mot : après tout, elle
ne cherchait pas à «inventer» un régime
politique nouveau, inédit, mais tout
simplement à restaurer le régime
islamique vieux de l’époque du Prophète
ou de l’Imamat.
2- Ne pas confondre
l’ »Imam » (Majuscule) du chiisme et
l’«imam» (minuscule) de la prière,
celui-ci étant celui qui dirige la
prière du vendredi et qui est placé «amam»/devant
les fidèles le temps de la prière ; il
peut s’agir également d’un réfèrent qui
fait autorité en matière religieuse,
ainsi les fondateurs des mazāhib (écoles
juridiques) sunnites ont le titre
d’imam.
3- Coran : 3,7 ;
3,190 ; 29,43 ; 72,26-27
4- qui font dire au
Prophète : «Le Coran possède un
extérieur (zāhir) et un intérieur (bātin),
une limite (hadd) et un lieu vers lequel
on s’élève (muttala‘)» ou encore : «Le
Coran a été révélé selon sept lectures (ahruf);
chaque verset a un extérieur et un
intérieur»
5- De l’arabe
«سني»/sunnī, signifie la «voie»,
sous-entendue celle suivie par le
Prophète. Le mot sunnite en est un
dérivé, la «sunna» représentant la ligne
de conduite de Muhammad, attestée par
ses dires et ses actes – à valeur de
modèle – compilés dans des recueils de
logions appelés Hadīth. Partant du
principe qu’il existerait effectivement
quelque part une orthodoxie musulmane
facilement identifiable, à l’aune de
laquelle il serait facile de mesurer le
degré d’aberrations théologiques des uns
ou des autres, ceux qui deviendront les
sunnites, se prétendant seuls à suivre
cette «Voie», se sont érigés en parangon
et taxèrent de déviants tous les autres
islams.
6- Précisément,
ceux qui refusent de reconnaitre la
légitimité des trois premiers califes.
7- dont on trouvera
l’intégrale en français, ici :
http://w41k.com/89121
8- … quand bien
même elle s’intitulerait «Ceci est la
promesse d’Allah», se donnant pour
promesse accomplie.
9- Lieu commun et
thème récurrent de ce genre de discours,
que l’on retrouve chez, par exemple,
Hasan al-Banna, Sayyid Qutb, Muhammad
‘Abdel-Wahhab.
Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
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