Opinion
Lutte gréviste du front commun
de la fonction publique
Robert Bibeau
Mercredi 10 septembre 2014
L’amorce d’un Front commun syndical
(2015)
La lutte gréviste des employées de la
fonction publique québécoise n’est pas
encore déclenchée que déjà les chefs
syndicaux s’agitent. Afin de mériter
leur hyper salaire, ils doivent mener
des enquêtes et organiser des rencontres
afin de préparer la négociation de la
prochaine convention collective des 300
000 employés regroupés sous le sigle du
Secrétariat intersyndical des Services
publics (SISP), Confédération des
Syndicats Nationaux et Fédération des
Travailleurs du Québec. (1)
Les patrons syndicaux se savent
surveiller par les salariés syndiqués
expérimentés. Afin de redorer leur
blason terni ils ont eu l’idée de signer
une entente d’unité des appareils
syndicaux – question de faire diversion.
Une certaine gauche raffole de ces
discussions à propos des Fronts communs,
ce qui lui permet de faire la leçon aux
travailleurs à propos de la nécessaire
«solidarité» des syndiqués.
Les ouvriers québécois de la
construction (175 000 prolétaires), lors
de la récente négociation de leur
convention collective, ont goûté au
narguilé de la «solidarité syndicale»
quand la moitié des grévistes ont été
invité par leurs dirigeants syndicaux à
rentrer au travail laissant l’autre
moitié sur le pavé. Exit le «Front
commun» des ouvriers de la construction
du Québec.
De l’importance des conventions
collectives dans le secteur public
Que ce soit au Québec, au Canada, en
France ou ailleurs, sous l’économie
impérialiste moderne, l’État bourgeois a
un rôle très important à jouer dans le
processus de reproduction du capital
financier. Entre autres, l’État doit
assurer de nombreux services pour la
reproduction de la force de travail des
salariés (reproduire – former – soigner
– encadrer – réprimer) (2).
Cette fonction cruciale amène l’État à
engager et à payer des milliers et même,
aux États-Unis, des millions d’employés
afin d’assurer cette intendance et cette
gouvernance. L’État bourgeois –
l’émanation politique de la classe
capitaliste – se retrouve donc sur la
sellette pendant ces périodes de
négociations collectives, jouant à la
fois le rôle de l’État
employeur-exploiteur; le rôle de l’État
législateur; de l’État payeur, taxeur et
emprunteur afin d’enrégimenter ces
travailleurs pour leur faire donner le
labeur maximum pour le salaire minimum
socialement acceptable (la moitié des
employés des services publics québécois
gagnent moins de 30 000 $ CAD par année)
(3).
Étant donné l’importance numérique et le
rôle social crucial que joue cette
multitude de travailleurs des secteurs
public et parapublic dans la
valorisation du capital financier, la
classe capitaliste multiplie les efforts
pour encadrer ces salariés; pour
négocier leurs conditions de travail et
leur salaire au plus serré; pour
soudoyer les dirigeants syndicaux et
finalement, pour placer tous ces
travailleurs en concurrence nationale et
internationale entre eux. C’est la
raison des négociations en cours à
Genève sur la «libéralisation» du
commerce des services, afin de conclure
un accord international global (ACS) tel
que dévoilé par Wikileaks (Secret
Trade in Services Agreement – TISA)
(4).
Ainsi, la négociation des conventions
collectives des employés de l’État pose
directement la question du rôle de
l’État bourgeois. Les travailleurs
doivent profiter de cette opportunité
pour s’interroger sur la légitimité de
l’État de droit bourgeois.
L’État est présenté comme œuvrant
au-dessus des classes sociales – comme
un tribunal impartial, ou alors comme un
organe malencontreusement compromis
et corrompu, dévoyé de sa mission
historique d’équité et de justice
(Commission Charbonneau). Les parlements
et les gouvernements devraient être
conquis par la force des urnes et la
puissance des bulletins de vote en
faveur des redresseurs de torts de la
gauche multicolore (sic) qui militent
afin de maintenir l’État
providence et rétablir sa
politique d’abondance, ce qui est
impossible à l’évidence. La conjoncture
économique de crise ne permet plus cette
«générosité» de la part de l’État
corporatiste policier, qui a
remplacé l’État providence.
La conjoncture économique au Québec et
au Canada
L’État provincial, tout comme les
municipalités québécoises, sont aux
prises avec un déficit actuariel
gigantesque pour ne pas avoir payé leurs
contributions aux régimes de retraite de
leurs employés. La défense des fonds de
pension sera donc un enjeu majeur de
cette négociation sur le front
économique de la lutte de classe. De
plus, le déficit courant de l’État
québécois est de plus de trois milliards
de dollars par année et la dette cumulée
est de 267 milliards ou 53 803$ par
habitant (5). Plus de la moitié des
employés de l’État touchent moins que 30
000 dollars par année avant impôt. Avec
ces salaires de misère la défense du
pouvoir d’achat sera un enjeu majeur.
Sans compter la sécurité d’emploi, alors
que le tiers des employés de l’État sont
à statut précaire.
De la stratégie à la tactique de combat
Le choix d’une tactique de lutte dépend
de l’objectif stratégique, des moyens
mis en œuvre et du rapport des forces en
présence. Examinons chacun de ces points
concernant l’éventuelle lutte gréviste
des employés de la fonction publique.
Les travailleurs savent qu’il y a
des grèves perdues d’avance. Ils savent
qu’il y a des grèves facilement gagnées.
Ils savent surtout que la plupart des
négociations de conventions collectives
sont l’objet d’âpres disputes entre les
classes sociales en présence. C’est de
la multiplication des grèves combatives
et à grande échelle que surgira l’espoir
de faire reculer l’État québécois dans
ses visées de rejeter le fardeau de la
crise sur les épaules des salariés. En
attendant ce mouvement espéré, le
militant propose des mots d’ordre
unificateurs qui dirigent l’animosité de
la classe contre l’ennemi principal,
c’est-à-dire contre l’État policier.
Ce mot d’ordre visant l’unité et la
combativité de l’affrontement gréviste
pour faire reculer l’État policier ne
peut pas être : «Luttons pour le
contrôle démocratique de la base sur
l’appareil syndical. Renversons
l’exécutif syndical». Un tel mot
d’ordre perturbateur oriente le combat
ouvrier, non pas contre l’État policier,
employeur et législateur, mais contre
l’exécutif syndical censé organiser la
lutte des travailleurs.
Bien entendu, le militant aguerri
rétorquera que tôt ou tard, comme par le
passé, les bureaucrates syndicaux
trahiront la lutte des travailleurs. Ce
qui est tout à fait exact. Mais si la
grande majorité des travailleurs n’est
pas déterminée à congédier les officiers
syndicaux, le seul résultat d’une telle
consigne sera de provoquer la division
au sein de l’organisation, possiblement
l’expulsion des militants et un
gaspillage d’énergie qui favorisera la
partie patronale, ce dont les salariés
feront reproche aux militant(e)s
engagé(e)s.
C’est dans le cours même de la lutte que
les tergiversations et les trahisons des
bureaucrates syndicaux seront mises au
jour, exposées aux yeux des
travailleurs. Il sera temps alors de les
afficher de façon que les travailleurs
apprennent et se souviennent. Inutile
toutefois pour les militants de gauche
de tenter de s’emparer des postes des
bureaucrates syndicaux évincés. Un
militant de gauche qui devient agent
syndical de combat se transformera plus
tard en syndicaliste d’affaires,
négociateur bien payé de conventions
collectives pour ouvriers sous-payés.
Il ne peut en être autrement sous
l’hégémonie de la classe capitaliste.
Deux cents ans d’histoire du mouvement
ouvrier mondial nous l’ont enseigné.
C’est au moment de l’insurrection que la
classe ouvrière réglera ses comptes avec
les apparatchiks de l’industrie du
syndicalisme. Il est aussi illusoire
de croire à un syndicalisme de combat, à
un syndicalisme de gauche, que de rêver
à un capitalisme humaniste (6).
Les travailleurs décident de leurs
revendications
Grâce à la riche expérience dont
bénéficient les travailleurs des pays
capitalistes avancés ils sont
parfaitement à même de décider de leurs
revendications, de leurs tactiques de
combat et de juger le rapport de force
qui les oppose à leur patron, L’État
policier. Ceci inclue les «
boss » syndicaux. Les travailleurs qui
engagent leur salaire, leur emploi, qui
risquent des poursuites judiciaires, et
l’affrontement avec les forces
policières, décideront des concessions
qu’ils tolèreront et de celles qu’ils
refuseront. De toute façon, aucun
militant n’est en mesure de contraindre
les salariés de sortir en grève illégale
et illimitée si ces derniers jugent le
moment inapproprié ou le rapport de
force mal engagé.
Mener cabale en faveur de telle ou telle
revendication «transversale», soi-disant
non corporatiste et soi-disant
«progressiste» ne peut que saboter
l’objectif stratégique de faire reculer
l’État des riches. Il ne revient pas aux
communistes de choisir les
revendications des conventions
collectives sinon pour supporter les
grévistes qui souhaitent concentrer
leurs énergies sur les enjeux décisifs.
Les travailleurs ne mèneront que les
luttes qu’ils veulent mener pour les
revendications qu’ils veulent
privilégier.
Les camarades de gauche, plutôt que de
faire des remontrances et de deviser à
propos des revendications que les
salariées doivent prioriser, seraient
mieux avisées d’observer quelles sont
les revendications que les travailleurs
de la fonction publique sont prêts à
défendre et respecter leur choix
tactique. Les camarades devraient
prendre exemple sur les bureaucrates
syndicaux à ce propos. Les «boss»
syndicaux ont une grande expérience de
mener des sondages pour dresser le
cahier des doléances de leurs membres.
Ce n’est pas à cette étape qu’ils
liquident la lutte de résistance. Ils
noient les revendications importantes
dans une masse de demandes en prévision
de leur capitulation aux tables de
négociations marathons. Puis, ils
enclenchent avec l’employeur la «
négociation » de la vente de la force de
travail de leurs membres et ils
conjurent les militants de ne rien
faire. Quand la négociation est en
panne, ils en appellent aux
travailleurs, non pas pour défendre
leurs revendications importantes, mais
simplement pour faire pression pour que
l’État du capital revienne aux tables de
négociation épuisant les salariés par
des actions délurés, ou alors ils
appellent à une grève symbolique ou à
une grève sociale tout en respectant les
services essentiels. C’est à ce moment
précisément qu’ils trahissent la lutte
gréviste.
Un peu d’histoire des luttes grévistes
au Québec
Certains camarades présentent la
création du «Front uni des
travailleurs de Sept-Îles», en 1972,
comme un modèle de Front Populaire qui
aurait donné, disent-ils, de la «profondeur»
et un aspect «insurrectionnel» en
radicalisant la lutte des travailleurs.
Quant à nous, nous pensons que c’est le
radicalisme de la lutte gréviste de ces
travailleurs qui a mené à cette
proclamation d’un «Front populaire»,
lequel, a été rapidement abandonné et
pour cause. Il y avait peu de chance de
créer et de préserver une République
socialiste du Front populaire des Sept
Iles. Les ouvriers militants de cette
municipalité ont rapidement constaté la
nécessité d’un soulèvement prolétarien
continental, à tout le moins, s’ils
souhaitaient préserver leur «Front
populaire» régional.
Il en fut de même au printemps 2012 (Printemps
Érable) lors de la lutte de
résistance syndicale étudiante contre la
hausse des frais de scolarité imposée.
Les étudiants ont choisi eux-mêmes leur
mot d’ordre et leur revendication
«réformiste» sous le slogan : «Stoppons
la hausse», rejetant les
revendications gauchistes en faveur de
la création d’une université
prolétarienne au cœur de la cité urbaine
bourgeoise. Ils se sont dotés d’une
nouvelle organisation syndicale
étudiante suite au refus des
associations existantes de diriger la
lutte de résistance et ils ont lancé le
combat à deux reprises (2005 et 2011)
avant de faire reculer l’État policier,
ce qui était le but visé. Aujourd’hui,
l’Association pour la solidarité
syndicale étudiante (ASSE) débat de
l’affectation qu’elle fera des
cotisations étudiantes qu’elle ne cesse
d’accumuler (!)
Présentement le combat des policiers et
des pompiers pour défendre leur régime
de retraite dévalisé offre un bel
exemple de liquidation syndicale. Les
bureaucrates syndicaux ont commencé à
liquider la lutte en paralysant le front
commun spontané de tous les employés des
municipalités, et en réclamant le droit
de négocier unité par unité
d’accréditation syndicale.
L’attaque gouvernementale ne porte pas
fondamentalement sur le droit de
négocier dans chaque municipalité mais
sur les conditions de contribution des
deux parties (municipalités – employés)
dans les fonds de pension et sur le
paiement des arriérés que les
municipalités n’ont pas versées. Les
policiers et les pompiers ne se battent
pas pour que leurs «boss» syndicaux se
pavanent aux tables gouvernementales
mais pour ne pas perdre 6000 ou 8000 $
de prestation par année pendant la durée
de leur retraire.
Les précédentes négociations des
conventions collectives de la fonction
publique québécoise, en 2005 et en 2010,
sont qualifiées de désastreuses par le
Groupe Internationaliste
ouvrier (GIO). Les camarades
déclarent : «L’organisation autonome
de la classe ouvrière contre le
patronat, l’approfondissement et
l’extension de la lutte tout comme
l’émergence d’une conscience de classe
révolutionnaire ne sont même pas
effleurée dans les documents frontistes
qui circulent dans les assemblées du
groupe Offensive Syndicale et
Front d’Action Socialiste». Tout
ceci amène le GIO à conclure que le
Front social devant englober le
Front commun syndical est
hautement improbable.
La lutte gréviste est défensive
Toute négociation d’une convention
collective, toute lutte défensive sur le
front économique de la lutte de classe
est par nature un compromis, une lutte
défensive et de résistance. Du moment
qu’un travailleur vend sa force de
travail contre salaire, il consent qu’en
vertu du droit bourgeois son surtravail
lui soit confisqué et dès lors il tolère
son sort d’esclave salarié spolié.
Le fait que l’employé demande et négocie
une augmentation de salaire pour son
travail nécessaire seul ou regroupé en
syndicat ne remet nullement en cause sa
soumission à son patron qui l’achète
contre rémunération. Il n’y a là rien de
révolutionnaire.
Spontanément, et sans l’idéologie
marxiste révolutionnaire, la lutte
réformiste syndicale est le plus loin
que puisse aller la lutte de classe «en
soi». D’instinct, l’ouvrier reconnaît
qu’il est plus avantageux de vendre
collectivement sa force de travail en
étant organisé en syndicat pour
marchander plutôt que de se vendre à la
criée, isolé. Si aussi peu que 10% des
travailleurs américains sont syndiqués,
c’est que l’État policier étatsuniens
réprime fortement la syndicalisation et
ils compensent par des prestations
sociales et des services pour une partie
du manque à gagner des non-syndiqués.
Sans compter qu’une partie des patrons
étatsuniens ajustent les salaires en
fonction de ce qui est consentis par les
grandes entreprises syndiquées.
Que font les communistes dans cette
galère «syndicaliste réformiste» ?
Les communistes engrangent de
l’expérience de lutte par la lutte et à
travers les luttes grévistes (syndiquées
et non syndiquées). Nous venons
clarifier les enjeux et stigmatiser les
compromis, identifier les parties et
leurs intérêts respectifs et faire
comprendre à notre classe que ce jeu des
négociations-marchandages de leurs
conditions de survie n’aura jamais de
cesse et que la partie est au bout du
compte perdue d’avance.
Les lois de l’économie capitaliste
forceront les patrons à céder de moins
en moins de salaires et à réclamer de
plus en plus de surtravail non payé.
Pire, tous les efforts réclamés à la
classe ouvrière pour augmenter la
productivité et rétablir la
profitabilité sont vains, car le système
économique capitaliste ne peut se
perpétuer, sinon, en détruisant nombre
de moyens de production et en éliminant
nombre de forces productives (guerres).
Chaque gain de productivité ouvrier, ce
sont des emplois qui disparaissent. En
travaillant plus le salarié est assuré
de gagner moins sous le système
capitaliste.
Front commun ou pas de front commun ?
Nous allons parmi les salariés, avec ou
sans Front commun syndical (cette
question n’est pas cruciale, l’unité
ouvrière naîtra dans la lutte et par la
lutte), pour expliquer à notre classe
qu’il lui faudra un jour se résigner à
dépasser les luttes de classe «en soi»,
pour sauver son pouvoir d’achat et
pour survivre, et elle devra
entreprendre la lutte de classe «pour
soi», pour la conquête du pouvoir
d’État, l’expropriation sans
compensation des moyens de production,
d’échanges et de communication,
l’établissement de la dictature du
prolétariat et pour l’édification du
mode de production socialiste. Au moment
de l’insurrection, la question de la
direction des syndicats de collaboration
de classe se réglera d’emblée (7).
Nous sommes la mémoire des luttes au
service de notre classe et nous venons
ici aujourd’hui soutenir la lutte
gréviste.
Notes
1.
http://www.pressegauche.org/spip.php?article18131
2.
http://www.pressegauche.org/spip.php?article17465
3.
http://www.leftcom.org/fr/articles/2014-05-13/le-front-commun-n-aura-pas-lieu-r%C3%A9ponse-au-camarade-alain-savard-du-front-d
4.
https://wikileaks.org/tisa-financial/
ET
http://www.fr.lapluma.net/index.php?option=com_content&view=article&id=1975:2014-07-06-13-23-57&catid=94:monde&Itemid=427
5.
http://www.iedm.org/fr/57-compteur-de-la-dette-quebecoise
et
http://www.pressegauche.org/spip.php?article18131
6.
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/lindustrie-du-syndicalisme-daffaire/
7. Rosa Luxembourg
(1906) Grève de masses, parti et
syndicat.
https://www.marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve2.htm
A LIRE EN COMPLÉMENT :
http://www.publibook.com/librairie/livre.php?isbn=9782924312520
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