En point de mire
Libye/Kadhafi:
Portrait d'une fratrie en pleine
déconfiture
René Naba
Dimanche 30 mars 2013
Au terme de vingt-neuf mois d’errance et
d’exil au Niger, Saadi Kadhafi, le
troisième fils de l’ancien dirigeant
libyen Mouammar Kadhafi, a été extradé
en Libye et s’est exprimé, depuis, dans
une brève déclaration, débitée sur un
ton monocorde, pour appeler à la paix
civile et démentir les informations de
la presse sur les mauvais traitements
qu’il a subis.
I – Les aveux de
Sa’adi Kadhafi
Saadi Kadhafi,
accusé par la justice «de crimes visant
à maintenir son père au pouvoir», a été
remis à Tripoli le 6 mars par le Niger
où il avait trouvé refuge en septembre
2011, peu avant la chute du régime de
Mouammar al-Kadhafi après huit mois
d’une révolte armée. Il est détenu à la
prison «Al Hadaba» (La colline) à
Tripoli.
L’ancien footballeur aux frasques
mémorables a présenté ses excuses pour
les troubles et les ennuis qu’il a
occasionnés au pays et lancé un appel au
désarmement de la population, dans un
message diffusé vendredi 29 mars par la
télévision libyenne. «L’Etat seul doit
détenir les armes. Personne d’autres ne
doit porter les armes. Je lance un appel
à tous les porteurs d’armes en Libye et
les invite à remettre leurs armes», a
notamment déclaré Saadi Kadhafi.
Evoquant une «page nouvelle avec les
frères du gouvernement libyen», il a
convié la population à aider le
gouvernement «dans son œuvre de
redressement du pays».
Evoquant son état de santé, Saadi
Kadhafi a tenu les propos suivants: «Il
m’est revenu que j’avais été battu et
hospitalisé. Je voudrai rassurer ma
famille, ma mère, mes proches et les
assurer que je suis en bonne santé, la
nourriture est bonne et suis sous
surveillance médicale constante», a-t-il
déclaré dans ce message diffusé par la
télévision libyenne. Mondafrique
notamment avait fait état d’informations
fiables évoquant son hospitalisation
dans un état comateux.
Habillé d’une chemise en tissu jeans,
Saadi a précisé avoir enregistré ce
message le 27 mars 2014. La date est
probablement erronée. En effet, des
hauts fonctionnaires libyens rencontré à
Paris le 22 mars évoquaient déja
l’existence de ces « aveux ». La mise en
scène est grossière, rappelant des
procès de sinistre mémoire dans les pays
de l’Est de la belle époque. Les
interrogatoires musclés subis par Saadi
portaient notamment sur les avoirs qu’il
avait pu dissimuler à l’étranger.
Les aveux télévisés en arabe de Sa’adi
Kadhafi sur ce lien :
https://www.facebook.com/photo.php?v=619975438084630&set=vb.380750618673781&type=2&theater
II – Eclatement
familial
Depuis la chute du
régime et la mort du père, la famille
Kadhafi a un peu éclaté!
Trois des enfants Kadhafi sont morts au
combat: Seif al Arab, Khamis, et
Mou’tassim
Trois sont réfugiés en Algérie: Mohamad,
Hannibal, son épouse Aline, ainsi que
leur sœur Aïcha qui a accouché d’une
petite fille.
Saadi, réfugié au Niger en compagnie de
huit autres proches de Kadhafi a été
livré le 6 mars 2014 aux autorités de
Tripoli, sans doute après l’épuisement
du pactole de plusieurs milliards de
dollars qu’il avait emporté avec lui.
Seif al-Islam, l’héritier présumé du
clan, a été capturé, puis détenu en
Libye, de même que le beau-frère du
«guide» Senoussi.
Un câble WikiLeaks de 2006 révélait déjà
que tous les enfants de Kadhafi et ses
proches touchaient de gros revenus de la
Compagnie nationale de pétrole et des
autres filiales pétrolières, notamment
le secteur gazier. D’autres fonds
provenaient des activités connexes, les
télécommunications, les infrastructures,
le secteur hôtelier, les médias et la
grande distribution.
1. Mohamad,
l’ainé
Fils d’un premier mariage, il est
l’artisan de l’implantation en Libye
d’Alcatel via sa holding privatisée
qu’il présidait Libyana Mobile Phone à
la faveur d’une transaction qui lui a
permis d’empocher 330 millions de
dollars. Ingénieur discret, titulaire
d’un doctorat en management de
l’Université de Liverpool, obtenu en
2006, il présidait l’Association
Méditerranéenne des Echecs. Fils unique
du premier mariage de Mouammar Kadhafi
avec Fatiha al Nuri, la première épouse
du «Guide», tombée en disgrâce. Sa
discrétion tranchait avec l’exubérance
de ses frères.
Capturé lors de la chute de Tripoli, en
Août 2011, il s‘est échappé pour se
réfugier en Algérie en compagnie de sa
sœur Aicha, de son frère Hannibal et de
l’épouse de ce dernier. des archives sur
les gateries faites à des personnalités
étrangères ont été transportées de la
Libye vers l’Algérie. Les services
algériens en ont des copies.
2. Seïf
Al-Islam, l’héritier
«Le glaive de l’Islam» est le premier
enfant du colonel Kadhafi avec sa
deuxième femme Safia Farkash, une
croate. Aîné de sept enfants, il se
vivait comme le prétendant au trône de
cette République dynastique. Architecte
peintre, playboy dilettante à ces temps
perdus, il se voulait le parangon de la
modernisation de la Libye. Le «Glaive» a
joué un rôle clé dans le règlement de
tous les contentieux, notamment ceux nés
des attentats terroristes commandités
par Tripoli depuis la décennie 1980.
En France, il est surtout connu pour son
rôle dans la libération des infirmières
bulgares, en 2007, et l’indemnisation
des familles des victimes de l’attentat
de Lockerbie (Ecosse) et du DC-10 de la
compagnie française UTA abattu au-dessus
du désert du Ténéré en 1988. Deux
attentats qui constituaient l’obstacle
majeur à la normalisation des relations
entre la Libye, les Etats-Unis et
l’Europe.
Présidant la Fondation Kadhafi,
organisation caritative non
gouvernementale, il déploiera des
talents de négociateur au service d’une
véritable diplomatie parallèle,
ponctionnant l’argent des hydrocarbures
pour amadouer les Occidentaux à coups de
contrats d’armements. Sa politique
d’ouverture a permis le retour en Libye
de grandes compagnies pétrolières,
l’américaine Exxon Mobil, la britannique
BP et l’italienne ENI. Au fil de ces
multiples «bons offices», l’héritier
présumé a fait oublier l’image du
playboy qui voyageait accompagné par ses
deux panthères lorsqu’il était étudiant
à Vienne. Après des études
d’architecture à Tripoli, interdit de
visa à Paris dans les années 1990, il
avait en effet poursuivi des études à
l’International Business School de
Vienne (Autriche) où il s’était lié
d’amitié avec le chef de la droite
populiste Jörg Haider.
Pour les besoins de l’arrimage de la
Libye à la Mondialisation, les journaux
occidentaux adossés aux conglomérats de
l’armement et des travaux publics ont
limé la partie contondante et abrasive
de son prénom pour le désigner plus
sombrement du prénom de Seïf, amputant
la partie essentielle de son prénom,
celle qui constituait au regard de son
père la phase conquérante et
révolutionnaire de son programme que ce
prénom induisait.
L’héritier qui se préparait à la
succession aurait payé à la chanteuse
Mariah Carey la somme d’un million de
dollars (728.000 euros) pour qu’elle
vienne lui chanter quatre de ses tubes
sur l’île de Saint Barthélémy, dans la
mer des Caraïbes. Soucieux toutefois de
se doter d’un vernis de respectabilité,
ce propriétaire d’une luxueuse résidence
à Londres se donnera les moyens de
décrocher un diplôme à la prestigieuse
London School of Economics sur la base
d’un mémoire soutenu en 2008 sur le
thème «le rôle de la société civile dans
le processus de démocratisation», une
distinction universitaire assortie d’un
don de 1,5 millions de livres sterling
de sa Fondation à l’établissement
londonien en vue de créer un Centre pour
les Etudes de la Démocratie.
Après la mort du colonel Kadhafi, Seïf
Al-Islam a pris la relève à la tête du
combat du clan. Membre le plus recherché
du clan depuis la mort de son père, Seif
Al Islam fait l’objet d’un mandat
d’arrêt d’Interpol et de la Cour pénale
internationale (CPÏ). Il est
actuellement détenu en Libye.
3- Saadi, le
footballeur
Président du comité olympique de son
pays, a connu la notoriété
internationale pour avoir provoqué une
fusillade mortelle dans un stade de foot
à Tripoli. Membre de l’équipe de Pérouse
(Italie), sa carrière internationale
passe pour avoir été l’une des plus
courtes de l’histoire footballistique
mondiale. Jamais sélectionné dans ce
club qu’il s’est fait pourtant offrir
par son père, il sera condamné en 2003
pour dopage.
Actionnaire du club italien de football
de «La Juventus», il a dirigé
aujourd’hui une unité d’élite de l’armée
dont il s’en servait pour faire pression
dans des affaires commerciales, avant
d’être envoyé à Benghazi, au début des
troubles pour mater la rébellion. En
vain. L’homme est passé à la postérité
pour être «le buteur du millénaire», à
la faveur d’un match commandité le 31
décembre 2000 à 23HOO pour lui permettre
de marquer un but, spécialement, au
passage vers le nouveau millénaire. Sa
compagne dans la vie n’est autre que
Vanessa Hessler, mannequin italien de la
publicité Alice de la firme ADSL.
4- Mou’tassem,
le militaire.
Médecin et militaire de formation, ce
colonel de l’armée libyenne a présidé
jusqu’en 2007 le Conseil national de
sécurité, avant d’en être écarté pour
abus d’alcool et tentative de putsch
contre son père.
Au terme d’un exil égyptien destiné à
calmer les remous familiaux que son
comportement a suscités, il y sera
réintégré en tant que conseiller, avec
en prime un chèque de 2,8 milliards de
dollars pour s’offrir sa propre unité
militaire afin de ne pas faire pâle
figure par rapport à ses frères Saad et
Khamis. Avec Seif Al Islam, il était
l’autre successeur pressenti pour
poursuivre le règne du père fondateur.
Tous deux furent invités et reçus comme
des princes héritiers, Seif par George
W. Bush à la Maison-Blanche, et
Mou’tassem au département d’État, sous
Barack Obama, par Hillary Clinton. Le
quatrième fils de la fratrie est mort
aux combat aux côtés de son père lors de
leur tentative conjointe de forcer le
blocus de Syrte le 20 août 2011.
5 -Hannibal, le
fêtard
Celui qui s’est choisi comme pseudonyme,
Hannibal, porte un nom prestigieux,
associé à l’épopée de Carthage.
Antépénultième des cinq descendants
mâles de la famille Kadhafi, il s’est
distingué par ses abus de comportement
et ses excès de langage, se révélant
comme la pâle copie d’une marionnette
vaudevilliste, usant et abusant du
comique de répétition.
Fougueux, habitué des gazettes des faits
divers, il avait confondu en 2004, au
terme d’une nuit chargée de bruits et de
fureurs, la prestigieuse avenue
parisienne des Champs Elysées avec un
circuit automobile de Formule 1,
démarrant en trombe à 140 heures km à
l’heure. Récidiviste en 2005, il avait
roué de coup sa compagne libanaise
d’alors, à l’époque enceinte. En 2006,
son nom a été mentionné dans un réseau
de prostitution de luxe opérant à Cannes
(sud de la France).
En 2008, en charge de l’intendance, il
avait eu l’ingénieuse idée de commander
en Suisse les montres Chopard destinées
à honorer les hôtes de marque conviés à
la commémoration du régime. Dans un coup
de colère dont il est coutumier, il
avait roué de coup des membres de son
entourage suscitant son interpellation
par la police suisse et une crise
diplomatique subséquente entre la Suisse
et la Libye. Un an et demi après son
arrestation à Genève, le fils prodigue
du colonel Kadhafi aurait de nouveau
fait des siennes. En vacances à Londres
pour Noël, Hannibal aurait provoqué
l’intervention de la police après avoir
roué son épouse de coups.
Dépensier et fêtard, il a fait scandale
à Saint Barth, en 2009, lors d’une
soirée festive en présence de Jay-z et
Beyoncé. Il passe pour avoir réclamé à
son géniteur la somme astronomique de
1,8 milliards de dollars (1,3 milliards
d’euros) pour se constituer «sa propre
milice», à l’identique à celle dont
dispose ses frères. Ses vœux seront
exaucés par son propre frère Khamis, qui
se chargera de lui satisfaire son
caprice, en lui donnant la possibilité
de «commander un groupe de force
spéciale qui lui sert d’unité de
protection du régime».
Hannibal aura aussi égayé les vacanciers
européens, deux étés durant en 2008 et
en 2009, allant jusqu’à provoquer une
crise diplomatique entre la Suisse et la
Libye, alors que son père faisait
l’objet fin Août d’une citation à
comparaître devant la justice libanaise
pour sa complicité dans la disparition
du chef spirituel chiite libanais l’Imam
Moussa Sadr. Un homme d’affaires
français, Pierre Bonnard, très proche de
l’ancien ministre du pétrole trouvé mort
dans le Danube après la chute du régime,
a joué un rôle éminent dans sa
libération.
Fondant son pouvoir sur la
transgression, l’alcool, le sexe et la
violence, usant du charme d’un physique
avantageux, Hannibal est victime de la
contradiction de son père qui clame sa
cesse sa volonté de révolutionner les
mœurs arabes, mais qui se révèle
incapable de donner une vraie éducation
à ses fils, dont Hannibal est le plus
démonstratif, contrairement à Seïf
al-Islam, qui s’abstient des frasques au
grand jour.
A chacun de ses dérapages, s’abritant
derrière l’immunité diplomatique que lui
confère son statut de «fils à papa» pour
se doter d’une impunité, il a usé et
abusé de sa position en une pathétique
dérive caricaturale du pouvoir libyen
qui se revendiquait comme une
populocratie (gouvernement des masses)
mais qui s’est révélé comme une des plus
grandes supercheries politique de
l’histoire arabe contemporaine
6 -Seïf Al Arab,
l’amoureux de vitesse.
Ce fils Kadhafi avait eu maille à partir
avec la police allemande qui lui a
confisqué sa Ferrari pour excès de
vitesse et conduite dangereuse. Simple
officier, formé en Allemagne et proche
de son père, il a été tué dès le 30
avril 2011, dans un raid de l’OTAN.
7- Khamis, le
benjamin
Formé en Russie, il dirigeait une
brigade spéciale chargée de la sécurité
de son père, le point d’équilibre et
d’interposition de la compétition inter
clanique, entre Seïf Al Islam Kadhafi
(le réformateur) et Mou’tassam Bilal,
conseiller pour la sécurité nationale,
qu’une vive rivalité pour le pouvoir a
opposée dans la succession paternelle. A
la tête de l’unité d’élite des forces
spéciales, il était en charge de la
défense de Tripoli, tenant la dernière
base militaire pro-kadhafiste de la
capitale jusqu’au 27 août. Il a été tué
lors d‘un bombardement de l’OTAN. La
télévision libyenne a confirmé sa mort
le 17 octobre 2011.
8 -Aïcha,
l’unique fille
La préférée du Guide était la présidente
de la fondation caritative «Waatassimou»,
par référence aux premiers termes d’un
verset du Coran qui stipule
«cramponnez-vous à la croyance en Dieu
et vous dispersez pas». Son activité
caritative camouflait mal ses nombreuses
acquisitions octroyées par son père dans
«les secteurs de l’énergie et de la
construction, ainsi que des intérêts
financiers dans la clinique privée de St
James à Tripoli.
Juriste flamboyante, elle a participé au
comité, elle a participé au comité de
défense de l’ancien président irakien
Saddam Hussein. Diplômée de l’Université
Paris V (René Descartes), elle est
l’auteur d’une thèse sur le tiers monde
dirigée par le professeur Edmond Jouve,
intitulée «Le tiers monde face à la
légalité des actes du Conseil de
sécurité».
La benjamine de la famille ambitionnait
un rôle de premier plan dans son pays
jouant la carte de la féminité et de
modernité. Portant lunettes noires et
jeans, cette fausse blonde décolorée
était présentée par la presse
internationale au gré des rumeurs de son
comportement tantôt comme la «Claudia
Schiffer de la Libye», tantôt comme la
lofteuse «Loana» de la téléréalité
française, sans qu’il soit possible de
savoir si cette extravagance constitue
un atout ou un handicap dans une société
majoritairement d’extraction bédouine.
Aïcha a fui en direction de l’Algérie le
29 août 2011. Elle donnera naissance à
une petite fille quelques heures plus
tard, dans une clinique, à proximité de
la frontière.
9- Hana,
(douceur sereine). Elle est la fille
adoptive du colonel, tuée lors du raid
américain contre Tripoli en 1986.
-
René Naba est l’auteur du livre «Kadhafi,
portrait total entre soulèvement
populaire et intervention militaire
occidentale, du fossoyeur de la
cause nationale arabe au fossoyeur
de son peuple». Golias Avril 2011.
Tous droits
réservés © René Naba • 2014
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