EN POINT DE MIRE
Un été avec Pierre Péan, René Naba
et Tigrane Yegavian
Richard Labévière
Mardi 27 août 2019 Bouffémont,
31 juillet 2019.
Depuis le ciel,
Pierre Péan poursuit inexorablement son
travail d’enquêteur, de révélateur et
détecteur de mensonges, d’idiots et
d’idiotes. Il y a d’abord, les tweets et
autres injures des « réseaux
numériques » – qui n’ont rien de
« sociaux » – et dont certaines relèvent
du pénal. Viennent ensuite des papiers
plus formellement haineux. Ne parlons
pas de ceux de Libération-Torchon,
qui n’appellent plus aucun commentaire
depuis longtemps. Malheureusement et ce
n’est pas une surprise, le Canard
enchaîné a fait le service minimum :
un petit deux colonnes en bas de page !
Quant au Monde qu’on attendait au
coin du bois, ce fut encore plus
lamentable que tout ce qu’on pouvait
craindre sous la plume du sieur
Christophe Ayad, celui qui a l’habitude
de fouiller dans la vie privée des gens.
Il ose commenter et juger les livres de
Pierre, notamment l’enquête consacrée à
Bernard Kouchner, qualifiée de
« pamphlet ». Mais enfin – en
l’occurrence – qui juge qui ? Ce n’est
certainement pas avec les livres de ce
triste sire d’Ayad qu’on va s’endormir
ou passer l’été…
Toujours est-il que
mercredi dernier, nous avons enterré
notre ami Pierre dans son beau village
de Bouffémont. Avec les vacances,
beaucoup d’absents et d’excusés
(Jean-Pierre Chevènement et Hubert
Védrine notamment), mais l’intelligence
de l’amitié était bien là, toujours en
rebonds attendus et plus surprenants !
Ce genre de cérémonie fonctionne
toujours selon une espèce de loi de
thermodynamique quasiment invariable :
au premier cercle de la famille et des
intimes s’en ajoutent trois autres : 1)
la galaxie des amis proches et plus
intermittents ; 2) inévitable, le
deuxième agglutine des curieux et des
mondains – les m’as-tu-vu qui
doivent absolument s’exposer et nous
infliger leur présence de voyeur.
Généralement, ces derniers fuient avant
le cimetière, ce qu’ils ont fait ! Enfin
3), plus sympathiques : les anonymes,
qui veulent exprimer sympathie justement
et respect.
Si belle, la
première tribu – Odile, les enfants et
les petits enfants – a rayonné, comme à
son habitude dans le vrai et
l’authenticité, toujours juste (sans
formalisme ni excès) comme savait l’être
le patriarche. La deuxième, la
galaxie-Péan est aussi diverse que
rhizomatique : les amis d’enfance de
Sablé, les autres d’Afrique, de Serbie
et du Proche-Orient, le père Wenceslas,
Alain l’organisateur des coulisses,
Roland le prof. d’histoire-géo, les deux
Guy (le politique et l’avionneur),
Vanessa la Qatarie, Florence la
défenseuse, Maître Véronique, le fidèle
juge Michel, Marc la patience du
concept, Leslie l’africaniste, Majed
l’Africain asiatique, Jacques la Force
spéciale, Sandrine l’éditrice,
Christophe l’archéologue du trotskysme,
Vincent qui nous réveille le matin, la
petite Justine qui parle si bien, James
le courageux, l’amoureux des chevaux
Jean-Louis, l’Amiral Marin (c’est son
prénom), le marin-commando en grande
tenue et bien d’autres.
Heureusement, le
troisième cercle est beaucoup plus
restreint. Deux cas qui font symptôme :
une ébouriffée qui fait régulièrement
assaut de vulgarité sur les plateaux de
télé-continue, s’étant même permis
d’écrire un papier obligé, truffé de
contre-sens pour tenter de s’attribuer –
sans doute – une part du
professionnalisme péanien. Peine perdue…
Et un autre ahuri, qui pendant la
cérémonie et dans l’église s’il vous
plait, s’est permis de de tirer – sans
gêne aucune – sur sa cigarette
électronique. Faut quand même le faire !
L’aurait-il fait dans une mosquée ou une
synagogue ? Si cher au cœur de Pierre,
les Chrétiens d’Orient auront apprécié !
Comme savait si bien le dire Michel
Audiard : « les cons, ça ose tout et
c’est même à ça qu’on les reconnaît… ».
Heureusement, des villageois et d’autres
sont là, silencieux.
Le fils spirituel –
qu’il faut nommer plus précisément parce
que la perception est unanime -, c’est
l’enquêteur Charles Onana, qui n’a pas
fini de nous étonner. C’est avec lui que
l’auteur de ces lignes s’est échappé de
la gravité du moment pour évoquer deux
livres s’inscrivant dans la filiation de
notre enquêteur-patriote-combattant1.
Le premier – Le Pakistan face au défi
du monde post-occidental et de l’Eurasie2.
Le deuxième – Père Bernard Kinvi –
Mission3.
Parler de ces deux ouvrages est une
façon, pour la rédaction de prochetmoyen-orient.ch de
continuer l’été avec Pierre, René et
Tigrane, ces deux enquêteurs
s’inscrivant parfaitement dans l’esprit
et la méthode de notre ami toujours là !
René Naba n’est pas
un perdreau de l’année. Ecrivain (on lui
doit de nombreux livres dont une enquête
définitive sur l’ancien Premier ministre
libanais Rafic Hariri), ancien de l’AFP
et de RMC-Proche-Orient, il dirige
désormais le site ami
https://www.madaniya.info/membre du
groupe consultatif de l’Institut
scandinave des droits de l’homme (SIHR).
Installé à Marseille, ses fulgurances
qui visent toujours juste, encouragent
maintenant la sardine qui bouche le
Vieux-Port… Plus rationnellement, disons
qu’il est, au jour d’aujourd’hui, l’un
des meilleurs experts des Proche et
Moyen-Orient.
Entre les Orients
compliqués et les pays du nord de la
Méditerranée, depuis des années,
inlassablement René Naba nous fait
partager sa connaissance profonde des
crises qui déchirent le mare nostrum.
Sa dernière étape pakistanaise répond à
un impératif catégorique des plus
kantiens : « Première République
islamique de l’histoire, le Pakistan, un
pays tout entier voué à l’Islam, a
longtemps fait office de « bodyguard »
de la dynastie wahhabite, le gardien des
lieux saints de l’Islam, l’incubateur
absolu du terrorisme islamique. Mais,
face au double défi représenté par le
« monde post-occidental » et l’Eurasie,
marqué par la montée en puissance de
l’Asie au premier rang des continents de
par son importance économique et
démographique, le « Pays des purs » tend
à abandonner sa fonction hideuse de base
arrière du jihadisme planétaire pour un
rôle plus valorisant de partenaire
stratégique de la Chine, via le projet
OBOR des Routes de la soie, la première
puissance mondiale en devenir. Un
bouleversement stratégique radical. La
vengeance des empires terrestres
eurasiatiques ».
On l’aura compris,
puisque nous parlions précédemment des
« fulgurances » de René Naba, le livre
n’est pas, à proprement parler une
dissertation de sciences politiques,
mais plutôt un recueil de perles
encyclopédiques. Introduction :
« L’inclination au totalitarisme eu sein
des mouvements relevant de l’Islam
politique revient d’ailleurs en premier
lieu à un Pakistanais, Abu Al Alà Al
Maududi, premier islamiste du XXème
siècle à prôner le retour au jihad. Ce
théologien fondamentaliste nourrissait
un objectif masqué, repris d’ailleurs
des Anglais, qui se résumait par ce mot
d’ordre : diviser pour régner. Il
estimait en effet que le Pakistan
méritait tous les sacrifices, y compris
au prix de la sécession avec l’Inde,
nonobstant les importants déplacements
de population que cette décision
impliquait ».
Six chapitres en
béton armé de sources et références peu
usitées dans l’école française
d’islamologie : 1) La créance du monde
musulman à l’égard de l’Occident ; 2) De
la problématique sunnite/Chi’ite :
vertébrés contre reptiles ; 3) Benazir
Bhutto : un fantasme exotique absolu
pour les intellectuels occidentaux ; 4)
« Shining India », l’Inde, un « Swing
State », pays de rêves non de rêveurs ;
5) Le testament d’Auguste ; 6) Le
Pakistan : de « Body Guard » de la
dynastie wahhabite au partenaire de
l’OBOR chinois.
Ne pas manquer
l’épilogue : « La théorie des anneaux
maritimes de l’Amiral Harrisson – Un
effet boomerang » qui reprend nos
vieilles obsessions maritimes : « Les
Américains ont ainsi articulé leur
présence sur un axe reposant sur trois
positions charnières : le détroit de
Béring, le détroit d’Ormuz et son
prolongement le golfe arabo-persique,
enfin le détroit de Gibraltar, en vue de
provoquer une marginalisation totale de
l’Afrique, une marginalisation relative
de l’Europe et de confiner dans un
cordon de sécurité un périmètre
insalubre constitué par Moscou-Pékin-New
Delhi-Islamabad, contenant la moitié de
l’humanité, près de 4 milliards de
personnes, mais aussi le plus forte
densité de misère humaine et la plus
forte concentration de drogue de la
planète ».
Il va sans dire que
l’enquête péanienne de René Naba s’avère
indispensable à qui veut comprendre
« les merdiers actuels », pour reprendre
les propres termes du roi René. D’une
lecture d’été, et grâce à ce petit livre
très nerveux, on pourra prolonger une
réflexion de plus longue durée –
braudelienne – sur la Méditerranée,
mer-monde.
Dans un autre
style, mais de la même filiation, le
témoignage du père Kinvi, retranscrit
par Tigrane Yegavian – grand spécialiste
de l’Arménie et de ses prolongements
régionaux et internationaux – nous
plonge d’emblée dans l’une des autres
grandes géopolitiques de crises. « A mon
arrivée en Centrafrique, le président
François Bozizé est au pouvoir »,
rappelle le père Kinvi ; « il a renversé
le président Ange-Félix Patassé lors
d’un coup d’Etat en 2003. Le pays est
enclavé par des voisins turbulents. A
l’est, les deux Soudan. Au sud, les deux
Congo. A l’ouest, le Cameroun
déstabilisé par les agissements du
groupe terroriste Boko-Haram. Au nord,
le Tchad menaçant d’où affluent la
plupart des rebelles. Lorsqu’on entend
parler d’une rébellion, celle-ci
provient généralement du nord et du
nord-ouest, à savoir les zones
frontalières avec les deux Soudan et le
Tchad ».
Au début de l’année
2012, on commence à entendre parler de
la rébellion « Séléka ». Cette
association de plusieurs groupes
rebelles est active dans le nord-ouest
de la Centrafrique, l’une des régions
les plus reculées du pays, frappée de
plein fouet par le sous-développement,
l’absence de routes et
d’infrastructures. Le mot « Séléka »
signifie « alliance » en sango.
L’objectif de ces activistes armés est
de renverser le président Bozizé. A
l’évidence, les Séléka ont pour ambition
de prendre le pouvoir afin de développer
leur territoire ou de s’en détacher. A
leur tête, Michel Djotodia, un Musulman
formé en Union soviétique, chef du
mouvement politico-militaire de l’Union
des forces démocratiques pour le
rassemblement (UFDR).
En mars 2013, lâché
par sa garde prétorienne tchadienne et
le contingent sud-africain censés le
protéger, le président Bozizé est
renversé et doit se réfugier au
Cameroun. Michel Djotodia s’autoproclame
président de la République. Il est aidé
par des mercenaires tchadiens et des
braconniers soudanais assoiffés d’or et
d’ivoire. Les Séléka sont soutenus par
des groupes de musulmans radicalisés,
d’anciens combattants rebelles de
Hissène Habré et des Peuls, ces nomades
musulmans qui ont délibérément choisi
leur camp multipliant les atrocités à
l’encontre de la population civile.
Tandis que
l’occupation Séléka devient de plus en
plus intolérable, on commence à entendre
parler d’un mouvement de résistance :
les « anti-Balaka ». En sango, cela
signifie « anti-balle AK », en référence
aux munitions des mitrailleurs AK. Ils
combattent en priorité trois ennemis :
les Séléka, les Peuls et les Musulmans.
Très vite, trop vite, la presse toujours
pressée résume l’affrontement entre
Musulmans et Animistes. Le père Kinvi :
« J’ai même entendu une journaliste
parler d’une ‘milice catholique’. Au
lieu de décrypter les racines de la
crise, ces ‘grands reporters’
improvisent des explications
superficielles, comme si leur terrain
était cantonné au périmètre du bar de
l’hôtel Ledger Plaza de Bangui, le
rendez-vous luxueux des experts en herbe
de la Centrafrique ». Pauvre Pierre !
Homme de foi et de
terrain, le père Kinvi le répète, tout
au long de son poignant témoignage
vécu : « il est difficile de définir un
Séléka comme un Musulman et inversement
un anti-Balaka comme un Chrétien… ».
Toujours est-il que le père va sauver
d’une mort certaine des milliards de
Musulmans, de Chrétiens et d’autres…
L’histoire de ce jeune religieux
togolais, membre de l’ordre des
Camiliens est aussi un livre de foi et
d’espérance chrétienne – certes – mais
pas seulement… Un « espoir » digne de
notre Condition humaine éternellement
ravivée, lorsque Tchen tente de lever la
moustiquaire jusqu’à sa mort alors qu’il
essaie de tuer Tchang Kaï-Chek. Malraux,
éternel aussi… tellement présent dans le
message du père Kinvi.
Merci, grand merci
à notre cher confrère Tigrane Yegavian
d’avoir ainsi aidé à la mise en forme de
ce destin hors du commun, rempli d’amour
et d’une rare lucidité, dès lors qu’il
s’agit d’essayer de comprendre les
conflits oubliés qui ravagent encore le
grand continent.
Voilà mon cher
Pierrot deux livres « nécessaires » qui
s’inscrivent dans le prolongement des
chemins que tu as ouverts. Contrairement
à ceux qui ne mènent nulle part, à n’en
pas douter ils annoncent les prochaines
livraisons (nous y reviendrons à la
rentrée) de notre ami Charles Onana, le
« fils spirituel » avec lequel nous
venons d’échanger à Bouffémont.
Encore salut à toi,
cher Pierrot, bon été et bonne lecture
au ciel et parmi nous, dans la meilleure
des compagnies.
Source :
http://prochetmoyen-orient.ch/un-ete-avec-pierre-pean-rene-naba-et-tigrane-yegavian/
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