MADANIYA
La reconnaissance par la France du
génocide arménien: un acte tardif,
incomplet et quelque peu opportuniste
René Naba
Mercredi 24 avril 2019
1 – Une
reconnaissance tardive et quelque peu
opportuniste. Le président
Emmanuel Macron a décidé d’instaurer le
24 avril la «Journée nationale de
commémoration du génocide arménien» dans
une démarche de reconnaissance d’un fait
historique indéniable. Mais pour
méritoire qu’elle soit, cette décision
apparaît tardive, incomplète et quelque
peu opportuniste.
Intervenant cent
ans après le massacre des ressortissants
arméniens chrétiens de l‘Empire Ottoman,
cette décision a paru toutefois répondre
au premier chef à des considérations
électoralistes destinées à glaner les
voix de l’importante communauté
arménienne de France en ce qu’elle
survient alors que la France est en
pleine agitation sociale des Gilets
Jaunes, à trois mois d’élections
européennes capitales pour le plus jeune
président français de la V me
République, en pleine tension de la
France avec la Turquie.
Dans le
prolongement de la «loi sur la
criminalisation de la négation du
génocide arménien», adoptée par Nicolas
Sarkozy, elle aussi, en pleine campagne
électorale pour la réélection du «sang
mêlé», en 2012, cette décision aura pour
première conséquence la rupture de la
coopération entre les deux parrains
essentiels de la défunte opposition
off-shore syrienne, plaçant les deux
pays artisans du démembrement de la
Syrie, en position de guerre larvée.
2 – Les Kurdes,
les nouveaux alliés de substitution de
la France en Syrie, complices des Turcs
dans le génocide arménien.
Curieux
retournement de ses deux vieux complices
dont l’un, la Turquie, unique pays
musulman membre de l’OTAN s’en désengage
progressivement au profit d’une alliance
régionale (Iran, Russie) et l‘autre, la
France, en pleine déroute en Syrie,
s’accroche à un nouvel allié de
substitution, les Kurdes, traditionnels
supplétifs des équipées occidentales en
terre arabe, et pis, complice des Turcs
sur une base sectaire des massacres des
Arméniens de l’Empire Ottoman.
Pour aller plus
loin sur ce sujet, cf :
https://www.madaniya.info/2018/01/05/le-mic-mac-de-la-france-dans-son-projet-de-creation-dun-etat-sous-controle-kurde-a-raqqa-en-syrie/
3 –
Alexandrette : Le bonus de la France à
la Turquie pour le génocide arménien.
Au XX me siècle, la
France, pourtant protectrice des
chrétiens d’Orient, a fait cadeau à la
Turquie, son ennemi de la première
guerre mondiale, d’un territoire syrien.
Une cession qui a paru comme une prime à
un état génocidaire en ce que le
rattachement du district syrien
d’Alexandrette à la Turquie est
intervenu dans la foulée du massacre des
Arméniens.
En retour, la
Turquie votera constamment en faveur de
la France contre l’indépendance de
l’Algérie durant la guerre
d’indépendance algérienne, lors des
débats à l’ONU dans la décennie
1950-1960, déniant aux Moudjahidine la
qualité de combattants, les qualifiant
de «terroristes».
Au XXI me siècle,
récidiviste, la France fera à nouveau
alliance avec la Turquie dans un projet
principalement dirigé contre la Syrie,
qui déviera par la suite dans un projet
contre la Turquie, son ancien partenaire
dans la guerre de démembrement de l’État
syrien, menée sous couvert du «printemps
arabe».
La même aberration
mentale se retrouve dans la décennie
2000, avec la mise à l’index du
président libanais Emile Lahoud
(1998-2007), unique président chrétien
du Monde arabe. Une décision prise par
la France du temps de l’affairisme
chiraco-haririen, en raison du soutien
du président libanais au Hezbollah et à
la Syrie, dont la «responsabilité
implicite» dans l’assassinat de Rafic
Hariri, a été actée d’office, sans
preuves, par l’actuel directeur de la
DGSE Bernard Emié, à l’époque petit pro
consul de France au Liban.
4- La
responsabilité indirecte de la France
dans la destruction du mémorial arménien
de Deir Ez Zor en Syrie
Pis. La connivence
de la France avec la Turquie dans le
démembrement de la Syrie a favorisé
l‘afflux des terroristes néo-islamiques
dans la zone de Deir Ez Zor, provoquant
la destruction du Mémorial du génocide
arménien.
Comment expliquer
cette l’alliance contre nature de la
France, le protecteur des Chrétiens
d’Orient, la Turquie, artisan du premier
état génocidaire du XX me siècle. Contre
la Syrie, qui abrite le mémorial du
génocide arménien à Deir Ez-Zor. Contre
la Syrie, le siège des patriarcats
d’orient depuis la chute de
Constantinople.
Comment expliquer
l’alliance du seul pays au monde qui se
réclame de la laïcité avec les forces
les plus rétrogrades et les plus
répressives du Monde arabe, sous couvert
de combat pour la démocratie; son
prédécesseur gaulliste Nicolas Sarkozy
avec le Qatar, le parrain des
destructeurs des sites islamiques de
Tombouctou, et le successeur post
socialiste, avec le Royaume wahhabite.
Une alliance avec
le parrain des preneurs d’otages des
prélats de Syrie, des destructeurs des
sites religieux, notamment de Maaloula,
dans la banlieue de Damas, -l’un des
plus anciens sites antiques de
l’humanité, dont les habitants parlent
l’araméen, la langue du Christ-, dont
des religieuses –c’est à dire des femmes
civiles et désarmées- ont été retenues
en captivité en guise bouclier humain?
5 – Le sommeil
dogmatique de la France à l’égard des
bourreaux turcs de ses protégés
chrétiens arméniens
Le déploiement de
la Turquie sur la scène régionale du
Moyen Orient sur la base d’une
diplomatie néo-ottomane véhiculée par un
islam teinté de modernisme l’a placé en
concurrence directe avec les intérêts
des anciennes puissances coloniales. Un
électrochoc salutaire qui a conduit la
France à envisager une démarche
réparatrice à l’effet de la réveiller de
son sommeil dogmatique et de sa
mansuétude criminelle à l’égard du
bourreau turc de ses supposés protégés
arméniens.
Barrer à la Turquie
la voie de l’Europe au prétexte qu’elle
n’est pas européenne gagnerait en
crédibilité si cet argument fallacieux
s’appliquait également à sa présence au
sein de l’Otan, le pacte atlantique dont
elle n’est nullement riveraine.
Sceller une Union
transméditerranéenne sur la base d’une
division raciale du travail,
«l’intelligence française et la main
d’œuvre arabe», selon le schéma esquissé
par Nicolas Sarkozy dans son discours de
Tunis le 28 avril 2008, augurait mal de
la viabilité d’un projet qui validait la
permanence d’une posture raciste au sein
de l’élite politico-médiatique
française.
Une posture
manifeste à travers les variations
séculaires sur ce même thème opposant
tantôt «la chair à canon» au «génie du
commandement» forcément français lors de
la première guerre Mondiale (1914-1918),
tantôt «les idées» du génie français
face au pétrole arabe» pour reprendre le
slogan de la première crise pétrolière
(1973): «Des idées, mais pas du
pétrole».
Substituer de
surcroît l’Iran à Israël comme le nouvel
ennemi héréditaire des Arabes visait à
exonérer les Occidentaux de leur propre
responsabilité dans la tragédie
palestinienne, en banalisant la présence
israélienne dans la zone au détriment du
voisin millénaire des Arabes, l’Iran,
dont le potentiel nucléaire est
postérieur de soixante ans à la menace
nucléaire israélienne et à la
dépossession palestinienne.
6 – De
l’instrumentalisation des génocides
La Turquie a
constitué la base arrière du recrutement
djihadiste, en même temps que la
principale voie de transit et de
ravitaillement de l’État islamique dans
la guerre de Syrie. Elle a longtemps
bénéficié d’une sorte d’impunité
vis-à-vis du génocide arménien, un crime
contre l’humanité, en raison de son
alliance avec Israël et de son statut
d’unique pays musulman membre de l’Otan.
Cette alliance
qualifiée par les stratèges atlantistes
et leur relais médiatiques d’«alliance
entre les deux grandes démocraties du
Moyen Orient» constituait en fait une
«alliance de revers» en vue de
l’étranglement de la Syrie, un des
derniers pays du champ de bataille avec
le Liban à refuser de pactiser avec
l’Etat Hébreu. Elle scellait une
alliance contre nature entre le premier
état génocidaire du XX me siècle et un
état abritant les survivants d’un des
grands génocides de ce même siècle.
Voir à ce propos le
raisonnement justificatif de cette
alliance
https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-1-page-235.htm#
La donne a depuis
lors changé en raison de la crise dans
les relations entre Ankara et Tel Aviv.
Une fraction de la
communauté arménienne de France
aiguillonnée par un ancien compagnon de
route du mouvement de libération
nationale de l’Arménie, l’ASALA (armée
secrète arménienne pour la libération de
l’Arménie), Ara Toranian, gravite
désormais selon «La règle de jeu» du
philosophe du botulisme Bernard Henry
Lévy, en vue de se mouler dans le mode
opératoire de la communauté juive de
France dans une alliance des survivants
des deux grands génocides du XX me
siècle, dans une belle illustration de
l’instrumentalisation opportuniste des
génocides !
Cf à ce propos la
stratégie de convergence des victimes
des génocides arméniens et juifs
https://www.madaniya.info/2015/04/25/hommage-aux-victimes-du-genocide-armenien-et-du-groupe-manouchian/
Sauf que la
convergence des génocides arménien et
juif ne fait pas l’unanimité au sein de
la diaspora arménienne en raison
notamment du rôle trouble de juifs
ottomans avec les architectes du
génocide arménien, de la position
constante de l’Iran vis-à-vis de
l’Arménie, dont elle est un allié
indéfectible, qui explique le soutien de
la section libanaise du Tachnag, le plus
grand parti arménien, au Hezbollah
libanais, la bête noire d’Israël et du
lobby pro israélien en France
Sur la connivence
de Juifs Ottomans avec les architectes
du génocide arménien, cf à ce propos cet
article du «Times Of Israel»
https://fr.timesofisrael.com/des-juifs-ottomans-soutenaient-les-architectes-du-genocide-armenien/
Les Arméniens de
France et de la diaspora ne sauraient
être dupe d’une telle manœuvre, d’autant
plus affligeante que son partenariat
avec la Turquie dans le démembrement de
la Syrie a provoqué par ricochet la
destruction du Mémorial du génocide
arménien de Deir Ez Zor (Syrie).
Les Arméniens de
Syrie ne sont pas dupes d’une telle
manoeuvre à en juger par l’article
publié par le supplément en arabe du
journal Aztag, titrant sur elf ait que «
Les Arméniens syriens ne sont pas des
passagers en transit en Syrie, mais bel
et bien une des composantes de la
population syrienne».
Pour aller plus
loin sur ce sujet, cf ce lien pour le
lectorat arabophone, l’article de Léon
Zaki
https://www.aztagarabic.com/archives/26686?fbclid=IwAR0cwWAcIGyWnRCbqJqYF_bUU89M4dezZm58odMS7Mvkq7B_NusmvK2HmpY
https://www.madaniya.info/2014/10/03/la-presence-armenienne-au-machreq-une-peau-de-chagrin/
L’instauration
d’une journée commémorative relèvera
d’une démarche opportuniste à
connotation démagogique si elle ne
s’accompagnait pas d’explications sur
les alliances contre nature et
répétitives d’un pays qui se réclame de
la rationalité cartésienne.
La commémoration du
génocide arménien ne saurait se célébrer
sans une franche explication du
comportement erratique de la France,
particulièrement de ses turpitudes tant
vis à vis à des Arméniens que de la
Chrétienté d’Orient, non pas tant par
appétence sadique d’auto flagellation,
mais au titre de pédagogie citoyenne,
afin d’éviter la répétition de telles
aberrations qui souillent l‘Histoire de
la «Patrie des Droits de l’Homme».
Pour aller plus
loin, cf:
https://www.renenaba.com/genocide-armenien-le-jeu-trouble-de-la-France/
https://www.renenaba.com/france-vatican-les-deux-francois-et-la-chretiente-d-orient.
https://repairfuture.net/index.php/fr/genocide-armenien-reconnaissance-et-reparations-point-de-vue-de-turquie/etudes-sur-le-genocide-armenien-les-ravages-du-dogme-academique
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