MADANIYA
La face cachée d’Abou Dhabi 2/2
René Naba
Mercredi 17 janvier 2018
L’Iran un croquemitaine pour éponger les
déficits américains.
1 – Péril iranien ou
péril démographique? Les asiatiques 60
pour cent de la totalité de la
population des pétro monarchies.
Les
principautés du Golfe présentent cette
singularité unique au monde de compter
davantage de travailleurs expatriés que
de nationaux et le nombre d’ouvriers en
bâtiments dépasse de loin le nombre de
citoyens au point que le Koweït a
cherché dans la décennie 1990 à se
débarrasser des Bidouns (sans papiers,
sans nationalité), en proposant aux
Comores d’accueillir quatre mille
d’entre eux en échange de lourds
investissements koweïtiens dans le
secteur économique.
Abou Dhabi pour décourager
l’installation durable des immigrés
asiatiques, a proposé, lui, de limiter
leur permis de travail et de résidence à
un séjour unique de six ans.
L’offre
koweïtienne a été rejetée par les
autorités comoriennes au motif qu’elle
était périlleuse pour la cohésion
nationale, et la proposition d’Abou
Dhabi également rejetée au motif qu’elle
était contre-productive, nuisible à
l’attractivité des investisseurs
économiques et démotivante sur le plan
de l’efficacité économique.
Le
problème a d’ailleurs atteint une telle
acuité qu’un haut responsable de la
police du Golfe, voulant secouer la
torpeur des dirigeants pétro
monarchiques, n’a pas hésité à braver
l’interdit qui frappe ce sujet tabou en
prédisant l’élection à moyen terme d’un
Indien à la présidence de la Fédération
des principautés du Golfe:
«Barack
Obama n’est que le prélude à un vaste
changement de la climatologie politique
planétaire qui verra un indien se
porter, à moyen terme, candidat à la
présidence de la Fédération», a lancé le
général Dhafi Khalfane, chef de la
police de Doubaï, devant un auditoire
médusé, lors d’un «Forum de l’identité
nationale» tenu à Abou Dhabi en avril
2008, premier forum du genre sur ce
thème depuis l’indépendance des
principautés en 1970, il y a trente huit
ans.
Le nombre des travailleurs asiatiques
dans le golfe est estimé à quinze
millions de personnes, soit près de la
moitié de la population de la zone,
selon un rapport du Conseil de
Coopération du Golfe.
La
situation des Émirats est, à cet égard,
caricaturale: Les immigrés y
représentent 85 pour cent de la
population totale. Sur 3,8 millions
d’habitants, les nationaux ne sont que
le 3me groupe de population (640.000),
bien après les Indiens (1,2 millions
d’habitants) qui sont sur ce point à
égalité avec les Pakistanais. Toutes
nationalités confondues, les asiatiques
représenteraient près de 60 pour cent de
la population totale du Golfe et un
pourcentage largement plus élevé que la
population active.
La
principale hantise des dirigeants du
Golfe est que ces travailleurs étrangers
puissent un jour revendiquer la
nationalité de leur pays d’accueil. Un
véritable casse-tête pour les princes du
pétrole qui ne peuvent se dispenser de
la main-d’œuvre étrangère s’ils veulent
assurer la croissance économique, mais
qui se refusent à leur accorder
néanmoins la nationalité au risque de
dénaturer le caractère arabe des
pétromonarchies.
Une
solution serait de substituer la main
d’œuvre arabe à la main d’œuvre
asiatique et sa naturalisation
conséquente, mais, dans une telle
hypothèse, le risque d’une contamination
politique de la main d’œuvre arabe
pèserait d’un plus grand poids sur la
stabilité des régimes pétro
monarchiques.
Au-delà de cet aléa, la main d’œuvre
arabe est l’otage des conflits inter
arabe. Le Koweït a expulsé près de cinq
cent mille Palestiniens en 1990, de même
qu’Abou Dhabi, pour châtier Yasser
Arafat, chef de l’Organisation de
Libération de la Palestine, pour avoir
privilégié la médiation plutôt que la
confrontation entre l’Irak.
Le Koweït lors de l’invasion irakienne
de la principauté en Août 1990 et
l’Arabie saoudite en avait fait de même
avec près d’un million de Yéménites en
représailles à une position identique du
président Ali Abdallah Saleh.
2- Le Golfe, une
gigantesque base flottante américaine,
une pompe à finance des déficits
américains.
Face à
l’Iran, les pétromonarchies arabes, un
des principaux ravitailleurs du système
énergétique mondial, font office de
gigantesque base militaire flottante de
l’armée américaine, qui s’y ravitaille à
profusion, à domicile, à des prix
défiants toute concurrence. Tous, à des
degrés divers, y paient leur tribut,
accordant sans états d’âme, des
facilités à leur protecteur.
La zone
est, en effet, couverte d’un réseau de
bases aéronavales anglo-saxonnes et
françaises, le plus dense du monde, dont
le déploiement pourrait à lui seul
dissuader tout éventuel assaillant
éventuel, rendant superflu un tel
contrat. Elle abrite à Doha (Qatar), le
poste de commandement opérationnel du
Cent Com (le commandement central
américain) dont la compétence s’étend
sur l’axe de crise de l’Islam qui va de
l’Afghanistan au Maroc; A Manama
(Bahreïn), le quartier général d’ancrage
de la V me flotte américaine dont la
zone opérationnelle couvre le Golfe
arabo-persique et l’Océan indien.
S’y
ajoutent, dernier et non le moindre des
éléments du dispositif, Israël, le
partenaire stratégique des États-Unis
dans la zone, ainsi que la base relais
de Diego Garcia (Océan indien), la base
aérienne britannique de Massirah
(Sultanat d’Oman) ainsi que depuis
janvier 2008 la plate forme navale
française à Abou Dhabi.
De
surcroît, des barrages électroniques ont
été édifiés aux frontières de l’Arabie
Saoudite et des Émirats Arabes Unis pour
décourager toute invasion ou
infiltration.
Le
barrage électronique saoudien a été
édifié avec le concours des Français,
celui d’Abou Dhabi, avec le concours de
la firme israélienne AGT (Asia Global
Technologies), dont le contrat de trois
milliards de dollars concerne aussi bien
la protection des frontières que la
protection de quinze sites pétroliers de
l’émirat, ainsi que la fourniture de
Drones, les avions de reconnaissance
sans pilote, de fabrication israélienne.
Faiblement peuplées, entourées de
puissants voisins tels l’Iran et l’Irak,
de création récente et inexpérimentées
en la matière, les pétromonarchies ont
longtemps confié leur protection à des
pays amis aguerris, ou, à défaut, à des
compagnies militaires privées, les
mercenaires des temps modernes.
Les fabuleux contrats d’armement qui
excédaient les capacités d’absorption
des servants locaux, étaient
généralement perçus comme des polices
d’assurance déguisées, en raison des
mirifiques rétro commissions qu’ils
généraient.
La
protection de l’espace aérien saoudien a
été longtemps confiée aux aviateurs
pakistanais, le territoire national du
Sultanat d’Oman aux bédouins de la
Légion Arabe jordanienne, les
mercenaires occidentaux se chargeant du
reste, avec une répartition des rôles
entre les Anglais, surtout présents dans
leur ancienne zone d’influence,
notamment les émirats pétroliers du
Golfe.Les Américains ayant la haute main
sur l’Arabie Saoudite et le reste du
Moyen-Orient.
3- Abou Dhabi, sous
protection de mercenaires occidentaux
La
protection du Cheikh Zayed Ben Sultan
Al-Nahyane, le père de l’actuel Émir
d’Abou Dhabi et ancien président de la
Fédération des Émirats du Golfe, ainsi
que l’encadrement des troupes omanaises
dans la répression de la guérilla
marxiste du Dhofar, dans les années
1965-1970, ont relevé de la
responsabilité de «Watchguard», une des
deux compagnies de mercenaires
britanniques, dont le siège est à
Guernesey.
Fondée
en 1967 par David Sterling, un ancien
des commandos de l’air britanniques (Special
Air Services), elle passe pour être un
instrument d’influence de la diplomatie
britannique. Outre Blackwater, qui s’est
fâcheusement illustrée en Irak, les
États-Unis comptent, eux, deux grandes
sociétés privées militaires: Vinnell
Corp, dont le siège est à Fairfax, en
Virginie, et BDM international.
Toutes
deux filiales de la multinationale
Carlyle, elles apparaissent comme les
bras armés privilégiés de la politique
américaine en Arabie et dans le Golfe.
Vinnel corp, dont la mission saoudienne
a fait l’objet d’un attentat à Khobbar
en 1995, a la haute main sur la
formation de la Garde nationale
saoudienne, tandis que BDM gère la
formation du personnel de l’armée de
l’air, de la marine et des forces
terrestres saoudiennes.
Cf à ce propos: Un Émirat sous
protection de mercenaires occidentaux
4- «Politics of
Fears»: L’Iran, un prétexte pour éponger
le surplus de pétrodollars arabes
Ainsi
donc par un subterfuge que les
politologues américains désignent du
vocable de «Politics of Fears», la
politique de l’intimidation, qui
consiste à présenter l’Iran comme un
croquemitaine, l’Arabie saoudite et ses
alliés pétro monarchiques ont été
contraints de se doter, non d’une
défense tous azimuts, mais d’une posture
défensive anti iranienne, autrement dit
de renforcer le royaume «face à l’Iran»,
puissance du seuil nucléaire, et non
Israël, puissance nucléaire de plein
exercice, de surcroît puissance
occupante de Jérusalem, le 3me haut lieu
saint de l’Islam.
5- Israël, le sésame
magique
La
raison de la complaisance occidentale à
l’égard d’Abou Dhabi trouve sa raison
dans la connivence souterraine entre
l’Émirat et l’État hébreu.
Précurseur dans le domaine de la
normalisation feutrée avec Israël, Abou
Dhabi a ainsi confié la protection de
ses champs pétrolifères à une firme
israélienne dirigée par l’ancien député
de gauche Yossi Sarid. La firme
israélienne AGT a édifié un barrage
électronique dans la région frontalière
entre les Émirats Arabes Unis et le
Sultanat d’Oman afin de prévenir les
infiltrations hostiles. Le barrage est
en en fait un «mur intelligent» qui
recèle des caméras pouvant enregistrer
les traits de visage de ceux qui
touchent le mur. Des données
immédiatement transférées dans les
fichiers des services de renseignements
et de la police capables de déclencher
une intervention des forces de
sécurité». «Le maître d’œuvre du projet
est la firme AGT, dirigée par Mati
Kochavi, un israélien installé aux
États-Unis».
Cf. «Le business secret d’Israël dans
le golfe Persique».
Mieux, Abou Dhabi a participé à des
exercices aériens avec l’armée de l’air
israélienne, dans des manœuvres
conjointes aux États Unis et en Grèce,
ce que même l’Égypte, pourtant
signataire d’un traité de paix avec
Israël, s’est abstenu de faire.
Épilogue
1re
vérité: Le Monde arabe est redevable à
l’Iran d’une part de sa culture et
l’Islam d’une partie de son rayonnement,
qu’il s’agisse du philosophe Al Fârâbî,
du compilateur des propos du prophète,
Al Boukhary, du linguiste Sibawayh, du
théoricien du sunnisme Al Ghazali, des
historiens Tabari et Shahrastani, du
mathématicien Al Khawarizmi
(Logarithmes), et naturellement du
conteur du célèbre roman Kalila wa
Doumna, Ibn al Mouqaffah, ainsi
qu’Avicenne (Ibn Sinna). De même,
l’expansion de l’Islam en Asie centrale
aux confins de la Chine n’a pu se faire
sans le passage par la plate forme
iranienne.
2me
vérité: Le Monde arabe est redevable à
l’Iran d’un basculement stratégique qui
a eu pour effet de neutraliser quelque
peu les effets désastreux de la défaite
arabe de juin 1967, en substituant un
régime allié d’Israël, la dynastie
Pahlévi, le meilleur allié musulman de
l’État hébreu, par un régime islamique,
qui a repris à son compte la position
initiale arabe scellée par le sommet
arabe de Khartoum (Août 1967) des «Trois
NON» (non à la reconnaissance, non à la
normalisation, non à la négociation)
avec Israël.
Il a
ainsi offert à l’ensemble arabe une
profondeur stratégique en le libérant de
la tenaille israélo iranienne, qui
l’enserrait dans une alliance de revers,
compensant dans la foulée la mise à
l’écart de l’Égypte du champ de bataille
du fait de son traité de paix avec
Israël. La Révolution Islamique en Iran
a été proclamée le 9 Février 1979, un
mois avant le traité de Washington entre
Israël et l’Égypte, le 25 mars 1979. En
retour, les Arabes, dans une démarche
d’une rare ingratitude, vont mener
contre l’Iran, déjà sous embargo, une
guerre de dix ans, via l’Irak, éliminant
au passage le chef charismatique de la
communauté chiite libanaise, l’Imam
Moussa Sadr (Libye 1978), combattant
dans le même temps l’Union soviétique en
Afghanistan, le principal pourvoyeur
d’armes des pays du champ de bataille
contre Israël.
3me
vérité: Le Monde arabe s’est lancé,
au-delà de toute mesure, dans une
politique d’équipements militaires,
pendant un demi-siècle, payant rubis sur
ongle de sommes colossales pour
d’arsenal désuets, pour des livraisons
subordonnées à des conditions politiques
et militaires draconiennes, alors que,
parallèlement, les États-Unis dotaient,
gracieusement, Israël de son armement le
plus sophistiqué.
Le différentiel de traitement
entre Arabes et Israéliens.
Israël a
bénéficié, à ce titre, de cinquante et
un (51) milliards de dollars de
subventions militaires depuis 1949, la
majeure partie depuis 1974, plus
qu‘aucun autre pays de la période
postérieure à la II me Guerre mondiale,
selon une étude du spécialiste des
affaires militaires Gabriel Kolko, parue
dans la revue «Counter punch» en date du
30 mars 2007.
A deux
reprises au cours du dernier quart de
siècle, les pays arabes ont participé à
des guerres lointaines par complaisance
à l’égard de leur allié américain,
parfois au détriment des intérêts à long
terme du Monde arabe, s’aliénant même un
allié naturel, l’Iran, un voisin
millénaire, dans la plus longue guerre
conventionnelle de l’époque
contemporaine, sans pour autant
bénéficier de la considération de leur
commanditaire américain.
A
l’apogée de la puissance occidentale, au
plus fort de leur alliance avec l’Iran,
ni les États Unis pas plus que la France
n’ont jamais réussi à faire restituer à
leur propriétaire arabe légitime les
trois îlots du golfe, propriété d’Abou
Dhabi: Abou Moussa et les deux iles Tomb,
occupés par le Chah d’Iran, dans la
décennie 1970.
Au vu de
ce qui précède, les Émirats
constituent-ils vraiment un«point
d’équilibre entre les continents
européen, africain et asiatique»?. Un
point d’équilibre ou un marche pied de
l’Otan? Un instrument d’asservissement
du Monde arabe à l’hégémonie
israélo-atlantiste ?
La
déclaration du président français
relève-t-elle d’un exercice classique de
flagornerie diplomatique? D’une réelle
méconnaissance de la nature profonde
d’une principauté qui passe notamment au
Yémen, d’être un suppôt des groupements
terroristes islamiques, notamment d’Al
Qaida pour la Péninsule Arabique (APA),
ordonnateur du carnage de Charlie Hebdo,
en janvier 2013. Ou alors d’une
duplicité fâcheuse de la part d’un
président qui prône la moralisation de
la vie publique ?
De même
exhorter le Hezbollah à renoncer à son
arsenal militaire pour se fondre dans la
vie libanaise en tant que parti
politique, sans piper mot du formidable
arsenal nucléaire israélien, relève
sinon d’une naïveté inquiétante à tout
le moins d’une mauvaise foi criante, en
tout cas d’une partialité pro
israélienne manifeste.
Le plus
jeune président de la République
Française n’est pas propulsé par une
audacieuse pensée novatrice, mais
corseté par un conformisme passéiste.
Les mésaventures du poulain de la
France, Saad Hariri, en Arabie saoudite
devrait l’inciter à purger sans retard
le lourd passif de ses calamiteux
prédécesseurs, le post gaulliste Nicolas
Sarkozy et le post socialiste Français
Hollande et non de se placer dans leur
désastreux sillage.
Que les
roitelets du Golfe, dans cette
perspective, songent au sort funeste du
Chah d’Iran, l’ancien super gendarme du
golfe, à celui de l’ancien président
zaïrois Joseph Mobutu, interdit de
séjour en France après avoir pourtant
abondé la classe politique française de
ses mallettes et de ses djembés ou
encore à celui du fugitif tunisien, Zine
El Abidine Ben Ali, interdit de survoler
l’espace aérien français, dans sa fuite
de son pays après avoir servir de «tour
operator» à la caste politique
médiatique française.
Reçu de René Naba pour publication
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