MADANIYA
Médias arabes
1/2 : La déconfiture des médias arabes
pro-atlantistes du «printemps arabe»
René Naba
Mercredi 16 mai 2017
Les médias arabes
pro-atlantistes paraissent frappés de
déconfiture, sept ans après le lancement
de la contre révolution arabe sous
couvert de la séquence dite du «
printemps arabe », en superposition au
craquèlement du syndicat des
pétromonarchies du Golfe consécutif à la
guerre entre l’Arabie saoudite et le
Qatar, les deux incendiaires wahhabites
de la planète.
Cette déconfiture
met en perspective la mort programmée de
la presse périphérique arabe, jadis par
excellence l’instrument privilégié de la
stratégie oblique de contournement des
gouvernements occidentaux et arabes
depuis près de deux siècles.
1 – Vers une
réduction de la voilure du journal Al
Hayat
Al Hayat, longtemps
fer de lance de la guerre médiatique
saoudienne, jadis journal de référence
de l’élite intellectuelle arabe, paraît
devoir réduire sa voilure, conséquence
de la crise financière dans laquelle se
débat la presse écrite arabe,
-particulièrement les publications
parrainées par l’Arabie saoudite, un
royaume en pleine tourmente financière-,
et de la crise politique qui oppose au
sein de la famille royale, le
propriétaire du journal, le Prince
Khaled Ben Sultan, à son cousin le
nouveau prince héritier Mohamad Ben
Salmane.
Al Hayat a ainsi
décidé de quitter son siège de Londres,
qui fut pendant deux décennies le centre
de son rayonnement européen et se
replier vers Doubaï, alors que bon
nombre d’employés du quotidien ont reçu
leurs indemnités de fin de service.
L’important bureau
régional de Beyrouth paraît devoir
reduire sa voilure, en juin 2018, dans
la foulée de la décision du Journal de
mettre l’accent sur l’édition
éléctronique du quotidien.
Pour aller plus
loin sur ce sujet:
La direction du
journal a ainsi décidé de maintenir la
version papier des éditions destinées à
l’Arabie saoudite et aux Emirats Arabes
Unis, et de lui substituer la version
exclusivement électronique pour les
éditions à destination de l’Egypte, du
Liban et de l’Europe occidentale. Ce
même régime s’appliquera à la Revue
«LAHA» (Elle), membre du groupe Al
Hayat.
Ancien interface du
général Norman Schwarkzoff, commandant
en chef de la coalition internationale
durant la première du Golfe (1990), le
Prince Khaled Ben Sultan, -alors
abusivement désigné par la presse
saoudienne comme codirigeant de la
coalition-, était en fait chargé de
l’intendance, le ravitaillement du corps
expéditionnaire de 500.000 soldats
américains, européens et arabes.
De par ses
fonctions lucratives, il avait glané
quelques trois milliards de dollars de
rétrocommissions. Un pactole qui lui
avait permis de s’emparer du journal
libanais « Al Hayat », avec le soutien
de son père, à l’époque ministre de la
défense du royaume, le Prince Sultan Ben
Abdel Aziz.
Sur ce lien, le
rôle du journal Al Hayat, roue dentée de
la diplomatie américaine
http://www.renenaba.com/les-tribulations-de-la-presse-libanaise-2/
Jadis tout
puissant, le clan Ben Sultan, –Khaled
Ben Sultan et Bandar Ben Sultan, ancien
commandant en chef du djihadisme
international– est en pleine disgrâce
face à l’émergence de la coqueluche de
la nouvelle dynastie wahhabite le Prince
Mohamad Ben Sultan (MBS), fils du Roi
Salmane et ambitieux prince trentenaire.
A – MBC, sous la
coupe de Mohamad Ben Salmane
La Chaîne MBC avait
déjà montré la voie, il y a une
décennie, désertant les brumes de
Londres pour les pics de pollution de
Dubaï. En 2017, MBC a dû licencier 50
employés de son bureau régional de
Beyrouth à la suite de la baisse de ses
recettes publicitaires de l’ordre de 25
pour cent.
Al Charq Al Awsat
lui a emprunté le même chemin y
concentrant désormais à Dubaï
l’essentiel de ses activités dans le
Monde arabe, alors qu’Al Qods Al Arabi,
le rival médiatique des médias
saoudiens, a perdu de son éclat et de sa
pertinence depuis son rachat en 2014 par
le Qatar et le départ de son fondateur,
Abdel Bari Atwane.
Sur ce lien, le
rôle d’Al Charq Al Awsat dans la
collecte de fonds du djihad afghan
Fondée en 1990 par
le beau frère du Roi Fahd Al Ibrahim
dans la foulée de l’invasion américaine
de l’Irak en vue d’acccompagner la
politique atlantiste dans la zone, MBC a
été chronologiquement la première chaîne
tranfrontière arabe. Disposant de quinze
canaux, cette chaine off shore a assumé
un rôle prescripteur de l’opinion arabe
avant l’apparition de sa rivale du Qatar
en 1995, Al Jazeera.
Privé de subsides
publicitaires avec l’arrivée du Roi
Salman, MBC a dû démenager vers Doubai
avant de tomber dans l’escarcelle de
Mohamad Ben Salmane, lors du coup de
force du prince héritier contre ses
porpres cousins germains, dont Walid Ben
Talal, dans le cadre de sa lutte contre
la corruption, le 4 novembre 2017. Dans
sa boulimie le prince a annexé l’autre
chaine saoudienne Al Ikhbaria à son
propre goupe de presse, le groupe As
Sharq al Awsat.
B – « New Arab »
« New Arab », « Les
Arabes Nouveaux », qui se proposait à
l’instigation du Qatar de prendre la
relève d’Al Qods Al Arabi, sous la
houlette du transfuge communiste
palestinien Azmi Bishara et du supplétif
français Bourhane Ghalioune, apparaît
six ans après sa parution comme une
caricature de la presse, une caricature
des Arabes, une caricature de la
nouveauté, une caricature des nouveaux
Arabes.
Sans doute l’un des
plus influents éditorialistes arabes,
Abel Bari Atwane, le fondateur d’Al Qods
Al Arabi, a lancé, lui, le journal en
ligne « Ar Rai Al Yom », éclipsant par
son audience et sa pertinence la
totalité des médias saoudiens réunis.
Sanctionnée d’une
chute vertigineuse de son audience du
fait de son alignement sectaire sur la
ligne confrérique du Qatar, Al Jazeera a
perdu, elle, en même temps que sa
crédibilité, son rôle prescripteur de
l’opinion arabe.
C- Al Arab TV
Une autre chaîne,
«The Arab TV», basée à Manama, a dû,
elle aussi, fermer au terme d’un
fonctionnement le plus court des annales
des médias, -jour-, victime à la fois de
la censure du Bahreïn, en pleine
fermentation contestataire et de la vive
rivalité opposant son propriétaire, le
prince Walid Ben Talal à son cousin, le
Prince Mohamad Ben Salmane, qui se veut
l’unique représentant de la génération
de la relève des princes saoudiens.
Le prince Walid a
ainsi renoncé à la constitution d’un
empire médiatique, fermant sa chaîne
télévisée, cinq ans après la fermeture
de son bouquet satellite du groupe
ROTANA (cinq canaux) opérant sur
Arabsat.
Son conseiller de
presse, Jamal Khashooggi, et directeur
de la Chaîne «Al Arab» a été placé en
résidence surveillée en Arabie pour sa
participation jugée indue à un débat aux
États Unis sur l’élection de Donald
Trump et libéré au bout de neuf mois de
rétention pour être finalement autorisé
à refaire usage de ses réseaux sociaux.
D- MURR TV : 50
employés sur le tapis pour prix d’un
recentrage politique.
Un autre
milliardaire a dû aussi serrer les
cordons de la bourse et expédié sur le
tapis une cinquantaine de ses employés.
Invoquant une baisse de ses recettes
publicitaires, MURR TV, la chaîne de
Michel Murr, bailleur des fonds des
équipées des milices chrétiennes durant
la guerre civile et père d’Elias El
Murr, président d’Interpol, s’est
débarrassé du correspondant de la
station auprès des groupements
djihadistes, dont il était devenu
l’apologiste, Hussein Khreiss, de même
que du Directeur de l’Information Amjad
Iskandar, un proche de Samir Geagea, le
chef des Forces Libanaises.
Ce plan d’économie
s’est accompagné d’un recentrage
politique afin de placer la chaîne en
phase avec la ferveur populaire qui
s’est emparée de la population libanaise
en faveur du Hezbollah lors de sa
victorieuse offensive contre les
groupements terroristes islamistes dans
la zone frontalière syro-libanaise
d’Ersal.
2- Le naufrage
de l’Empire financier de Saad Hariri et
de son groupe médiatique (Radio Orient,
Future TV, Al Mostaqbal)
Enfin, Radio
Orient, le relais arabophone de la
France dans sa guerre médiatique contre
la Syrie, a, elle aussi, subi une purge
drastique réduisant considérablement ses
prestations, conséquence de la quasi
faillite financière de son propriétaire
Saad Hariri.
Sur ce lien, le
point de la situation sur Radio Orient
Ses autres médias
satellites -la chaîne libanaise « Future
TV » et le journal en langue arabe Al
Mostaqbal-, ont eu droit au même
traitement énergique de dégraissage ; un
total de 200 employés sur le tapis.
Signe de sa
déconfiture, le chef du clan saoudo
américain au Liban, -de nouveau premier
ministre du Liban au terme d’un exil de
cinq ans, grâce au «feu vert» de son
rival absolu, le Hezbollah libanais-, a
dû même céder ses actions dans l’Arab
Bank, la plus grande banque arabe, à un
consortium saoudo jordanien, indice
indiscutable de son désarroi financier,
alors que son entreprise phare «Saudi
Oger», -au passif financier de l’ordre
de 10 milliards de dollars-, a été
déclarée en cessation de paiement par
son parrain saoudien excédé par la
gabegie de son poulain.
AH la terrible
ingratitude d’un commanditaire vaincu :
Au plus fort de la guerre de Syrie, Saad
Hariri n’avait pourtant pas hésité à
missionner, au mépris de son statut
parlementaire, son factotum chiite, le
député Okab Sakr auprès des djihadistes
islamistes de Syrie, afin de les
ravitailler, depuis la zone frontalière
turque, en armes, munitions et
rémunérations, ravitaillement
pudiquement qualifié de «lait en poudres
et couvertures».
En vain. Exit Saad
Hariri de toute présence significative
financière en Arabie Saoudite, un pays
dont il porte pourtant la nationalité.
C’est cet homme-là,
un premier ministre failli d’un empire
financier failli, que François Hollande
a gratifié d’une distinction honorifique
française, l’élevant au grade de
«Commandeur dans l’ordre de la Légion
d’Honneur», au même titre que l’ancien
prince héritier saoudien le Prince
Mohamad Ben Nayef, lui aussi gratifié du
même grade, trois mois avant son
éviction.
Ah le terrible
égarement de la caste politico
médiatique française. La réception de
Saad Hariri par le nouveau président
français Emmanuel Macron, l’été 2017, au
lendemain de l’éradication des
groupements djihadistes dans la zone
frontalière syro-libanaise, visait à
détourner l’attention sur l’écrasante
victoire du Hezbollah, matérialisée par
la reddition de Daech à la milice
chiite, dont le premier ministre
libanais s’était d’ailleurs abusivement
attribué le mérite.
La complaisance des
médias français à l’égard de Saad Hariri
lors de sa visite à Paris, a révélé, par
contre coup, le rôle que la France
entendait assigner à l’héritier déconfis
dans la reconstruction de la Syrie.
Pas un média, pas
plus le journal le Monde que C8, la
chaîne de télévision dont le
propriétaire Vincent Bolloré caresse le
projet de participer au chantier
d’agrandissement du port de Tripoli
(Nord-Liban), n’avait interrogé l’homme
d’affaires libano saoudien sur le
licenciement arbitraire, sans
indemnités, de plusieurs centaines
d’employés français de sa firme
Saudi-Oger, en cessation de paiement; Ni
non plus sur le sort de plusieurs
milliers d’employés de diverses
nationalités privés de ressources et
d’indemnités, dans la pure tradition du
capitalisme sauvage.
Exclue du
gigantesque marché de syrien, de l’ordre
de 350 milliards de dollars, du fait de
sa belligérance exacerbée à l’encontre
de la Syrie, la France envisageait de
confier à Saad Hariri le rôle de cheval
de Troie des entreprises françaises dans
une opération à double détente destinée
à renflouer un de ses derniers points
d’ancrage au Liban, en même temps que de
reprendre pied en catimini en Syrie.
Avanie suprême, les
deux superstars de la vie médiatique
internationale, Walid Ben Talal et Saad
Hariri, deux binationaux libano
saoudiens, ont été déchus de leur
piédestal le même jour par le pouvoir
royal saoudien.
Walid Ben Talal a
été placé en résidence surveillée sur
ordre de son cousin germain, le Prince
héritier Mohamad Ben Salmane, dans le
cadre de la campagne saoudienne de la
lutte contre la corruption, le 5
novembre 2017, de même que Walid
Al-Ibrahim, fondateur de la Chaîne MBC
et beau frère du défunt du Roi Fahd,
alors que Saad Hariri, -sans précédent
dans les annales diplomatiques
internationales-, était forcé à la
démission de son poste de chef de
gouvernement libanais et placé en
résidence surveillée à Ryad, otage d’un
Royaume impétueux.
Pour aller plus
loin sur ce sujet c.f, les liens
suivants
3 – An Nahar :
Gébrane Tuéni ou la fin de l’esbroufe
journalistique
Il en a été de même
du journal libanais «An Nahar», la roue
dentée de la diplomatie atlantiste du
Monde arabe, objet, lui aussi, d’un
important plan de licenciement, de
l’ordre d’une centaine d’employés,
conduisant le quotidien à se concentrer
sur le numérique sous la houlette de sa
nouvelle dirigeante inexpérimentée Nayla
Tuéni, fille de Gébrane Tuéni.
An Nahar, qui a
abrité une cohorte d’éditocrates verbeux
n’ayant produit le moindre scoop depuis
dix ans, est désormais l’ombre de
lui-même. Un astre mort.
Le parcours de
Gébrane Tuéni, assassiné en 2005,
constitue à cet égard un cas d’école des
alliances politiques rotatives du Liban
de l’après-guerre civile, avec une
prédilection particulière toutefois pour
la fréquentation du grand capital et les
hommes de pouvoir au faîte de leur
autorité, notamment Michel-El-Murr,
Michel Aoun ou Rafic Hariri.
L’homme, qui a bâti
sa réputation comme le chantre d’un
libanisme intégral pur et dur, d’une
spécificité chrétienne libanaise, devra
son élection au siège de député de
Beyrouth lors de la première
consultation électorale libanaise
suivant le retrait syrien, en juin 2005,
à l’important apport de voix musulmanes
exigé de ses électeurs par son chef de
liste Saad Hariri pour sauver de la
déconvenue son nouvel allié richement
doté mais mal-aimé.
Avide et cupide,
soucieux de rentabilité «Gaby» avait
coutume durant son absence du Liban de
louer aux mafieux de la drogue sa
voiture blindée offerte par Rafic
Hariri.
Nul au sein de la
commission d’enquête internationale ne
s’est hasardé à fouiller cet aspect
marécageux du dossier de son assassinat,
sans doute pour ne pas écorner le
processus de construction du mythe du
«martyr de la presse libanaise».
Pis ! Au terme de
quatre générations (Gébrane, Ghassane,
Gébrane, Nayla), si la succession
dynastique est assurée dans ce journal
fondé en 1933, elle ne le sera pas à
titre patronymique en ce que le fils de
la directrice, Gébrane Malek Maktabi, né
en 2010, porte un nom de famille en
référence à son père Malek Maktabi,
animateur d’un talk-show à la chaîne
libanaise LBC et héritier d’une
importante famille chiite d’importateurs
de tapis persans.
An Nahar s’est
offert au milliardaire libano saoudien
Rafic Hariri, puis au milliardaire
saoudo libanais, le Prince Walid Ben
Talal, avant de se flétrir par
péremption du produit.
«An Nahar» est
désormais, paradoxalement supplanté par
son rival beyrouthin, le dernier né de
la scène médiatique libanaise,
«Al-Akhbar», à la tonalité davantage
nationaliste et constitué non moins
paradoxalement d’anciens collaborateurs
de la famille Tuéni excédés par les
dérives autocratiques et politiques du
clan. Malgré le recrutement de
transfuges de l’ancien vivier communiste
libanais, «An-Nahar» s’apparente, par
moments, de même que son compère
francophone «l’Orient – le Jour», par
ses tendances irrédentistes et ses
préoccupations libano centristes, à un
bulletin paroissial face à la grande
configuration journalistique du Moyen-
Orient.
A n’y prendre
garde, son étoile, longtemps brillante
au firmament de la constellation de la
presse arabe, pourrait ne devenir qu’un
simple phénomène d’hystérésis : une
étoile, brillante certes mais
éteinte…brillante uniquement dans
l’imaginaire de ses anciens lecteurs, au
titre du fantasme.
Pour aller plus
loin sur ce sujet, voir ce lien :
Dans le camp
adverse, le journal «As Safir», le
porte-parole de la coalition palestino
progressiste lors de la guerre du Liban
(1975-1990), a cessé sa parution faute
de moyens, alors que le quotidien
libanais «Al Akhbar» et la chaîne «Al
Mayadeen», fondée par des contestataires
à la ligne islamiste d’Al Jazeera, se
taillent une place de choix dans le
paysage médiatique arabe, de même que la
chaîne du Hezbollah «AL MANAR» à la
crédibilité incontestable.
Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
Les dernières mises à jour
|